Les Passions ont 25 ans ! En guise de cadeau pour fêter ce quart de siècle, cet orchestre baroque installé à Montauban s’offre un petit festival : trois concerts en deux jours…
Voilà vingt-cinq ans que le flûtiste à bec Jean-Marc Andrieu a fondé l’orchestre baroque Les Passions. Vingt-cinq ans qu’il travaille à la défense de la musique baroque, à sa renaissance, son enseignement et sa popularisation. Un formidable labeur, un travail de fourmi, qu’il fait modestement, dans l’ombre de formations plus prestigieuses — qui drainent les subventions et l’attention des médias —, mais avec la même passion, le même sérieux, la même exigence. Un travail discret mais non moins remarqué et applaudi, qui se veut au surplus profondément ancré dans le territoire. Pour Jean-Marc Andrieu et ses musiciens, le concept de résidence n’est pas un vain mot. Contrairement à d’autres formations, en résidence ici ou là, dont les membres et les chefs ne font dans les institutions qui les accueillent qu’un passage ponctuel et obligé à l’occasion des concerts et autres activités de leur ensemble sur place — activités qui, pour ponctuelles qu’elles soient, n’en sont pas pour autant de moindre qualité et de moindre ampleur, soyons honnêtes — les Passions prennent une part active à la vie musicale du département du Tarn et Garonne, où elles sont installées, et de la région Midi-Pyrénées, enchaînant des concerts, actions de sensibilisation de nouveaux publics, animations de classes de conservatoire, et s’attachant même au développement d’une activité amateur. Explorant tous les répertoires du baroque européen, les Passions ne cachent pas leur prédilection pour certains compositeurs familiers de leur climat : on a ainsi pu apprécier leur remarquable travail autour de Jean Gilles (1668-1705), compositeur né à Tarascon devenu maître de musique à la Cathédrale Saint-Etienne de Toulouse en 1697, après des séjours à Aix-en-Provence et Agde.
Cependant, il manquait jusqu’à aujourd’hui une pièce au puzzle des Passions : une vitrine véritable dans leur ville de Montauban. Malgré quelques événements ponctuels (dont un festival de jazz), la ville d’Ingres et de Bourdelle (lui-même grand admirateur de Beethoven) est en effet jusqu’à présent dépourvue d’une saison musicale digne de ce nom. D’où une frustration naturelle de l’ensemble, qui se produit un peu partout, en France et à l’étranger — d’après la FEVIS (Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés), dont les Passions sont membres, les ensembles de ce type donnent au moins 30% de leurs concerts hors de nos frontières. Et sa volonté d’y remédier.
C’est chose faite aujourd’hui avec cette première édition des Passions baroques à Montauban, un beau week-end de musique avec un programme des plus équilibrés, alternant sans y paraître le rare et l’ultra connu, l’exigent et le plus facile, l’érudit et le populaire. Le tout sans ennui ni lourdeur.
Samedi après midi, l’honneur d’ouvrir les festivités revient au claveciniste Benjamin Alard, dans un concert hommage au grand clavecin français. François Couperin (1668-1733), bien sûr, arrive en tête, avec huit Préludes extraits de l’Art de toucher le clavecin. Sobre et fin, Benjamin Alard nous livre un Couperin fleuri et décomplexé. Il prend le temps des phrasés, un temps presque théâtral, qui convoque celui de la déclamation, et met en lumière la clarté de la ligne mélodique. Sans avoir l’air d’y toucher, il révèle au détour d’un prélude ce qui était au cœur du travail de Couperin : les Goûts réunis. Et annonce également les efforts de Bach dans ce sens. Suit la Première Suite de pièces de viole mises en pièces de clavecin d’Antoine Forqueray (1672-1745). Virtuose de la viole de gambe, on dit que Forqueray fut le seul à avoir jamais égalé le grand Marin Marais. Entonnant cette Première suite avec une fierté ombrageuse, Benjamin Alard y semble moins nonchalant qu’auparavant : moins clair dans son toucher, moins distinct dans l’équilibre des voix, il insiste un peu trop lourdement sur les hémioles. Son jeu se fait guindé, engoncé dans des diminutions et des articulations un poil systématiques. Heureusement, ce passage à vide est de courte durée, et les dernières pièces, plus enjouées et presque joueuses, sont superbes.
Après Les Grâces de Jacques Duphly (1715-1789), aux couleurs harmoniques audacieuses et nues, Benjamin Alard conclut son récital en nous gratifiant d’une série de danses extraites des Indes Galantes de Jean-Phlippe Rameau (1683-1764), et transcrites pour le clavier, par ses soins ou par le compositeur lui-même. Son jeu s’y fait majestueux et brillant, sans jamais se départir d’un flegme imperturbable, qui cache un sourire délicat.
Le soir venu, les Passions elles-mêmes se produisent en le Temple des Carmes, reprenant le programme de leur prochain disque, Beata est Maria, sorti aujourd’hui même chez Ligia Digital, et consacré aux Motets à trois voix d’hommes de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Un concert superbe qui souligne sans éclat superflu la beauté intimiste de ces partitions sublimes. La basse continue, d’une puissance inattendue pour son effectif réduit (un orgue positif tenu par Aline Zylberajch, une basse d’archet et un théorbe), surprend par ses contrastes dynamiques et son énergie. Elle fournit une base idéale aux conversations qui s’établissent entre les dessus (deux flutes à bec et deux violons) et les trois chanteurs (le contreténor Vincent Lièvre-Picard, le grand ténor Howard Crook — en remplacement de Sébastien Obrecht qu’on entend sur le disque — et le magnifique baryton Jean-Manuel Candenot, dont la voix à la fois grave et veloutée séduit dès la première note).
Malgré une conclusion en demie teinte, avec une Nathalie Stutzmann maniérée et cabotine dans un programme Vivaldi pourtant servi avec talent par son ensemble Orfeo 55, cette première édition est un vrai succès, autant musical que public, qui augure bien de la seconde. Celle-ci est en effet déjà dans les tuyaux, comme on l’a appris le dimanche en fin de journée : la municipalité a décidé de pérenniser l’événement en reconduisant ses subventions.
Une bonne nouvelle pour les Passions, comme pour la musique baroque et le tissage culturel du territoire…
> Montauban, les 22 et 23 octobre 2011
Photos : © J.-J. Ader