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Billet de blog 28 août 2012

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Gloire, Passions et Éléments

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© jesebbach


Depuis une trentaine d’année, le Festival de la Chaise-Dieu s’est fait une spécialité du baroque sacré français et n’aime rien tant que de faire redécouvrir un chef-d’œuvre oublié du répertoire : c’est le cas aujourd’hui avec la Messe et le Te Deum de Jean Gilles, restaurés avec soin par le chef Jean-Marc Andrieu, à la tête de son ensemble baroque Les Passions et du chœur Les Éléments.

Jean Gilles (1668-1705) reste pour beaucoup un inconnu. Au mieux, certains passionnés auront entendu, et aimé, son magnifique Requiem. Les explications de cet anonymat sont nombreuses — il est mort relativement jeune, sa carrière a été assez erratique, de Tarascon à Toulouse en passant par Agde et Aix, et, contrairement à son condisciple Campra, il n’a jamais mis les pieds à Paris — mais totalement injustes. Dans le sud ouest, en revanche, et surtout à Toulouse, où, en 1697, il a succédé à Campra comme maitre de musique de la Cathédrale Saint-Etienne (et où il est resté jusqu’à sa mort prématurée), c’est presque une icône. Installé à Montauban avec son Ensemble Les Passions, Jean-Marc Andrieu s’est donné pour mission de lui redonner sa place dans le panthéon musical français. Après deux volumes discographiques consacrés au Requiem et aux Lamentations (chez Ligia Digital), il continue sur sa lancée, écumant les Bibliothèques et les collections. C’est à la Bibliothèque Nationale qu’il a retrouvé une Messe en ré, qui n’a sans doute jamais été joué depuis sa création (a-t-elle même été joué du vivant du compositeur ? On dispose si peu d’éléments biographiques qu’on ne peut en être certain). Le manuscrit retrouvé ayant été copié à Aix, vingt-et-un ans après la mort du compositeur (, on peut toutefois supposer que cette Messe a été composée lorsque le Jean Gilles assurait là-bas l’intérim de son professeur, Guillaume Poitevin. L’œuvre serait antérieure à 1695, et donc une œuvre de jeunesse. Le jeune homme y fait toutefois preuve d’une maturité confondante et, comparé à d’autres musiciens français de la même époque, d’une grande sensualité qui n’est pas sans rappeler l’Italie.

C’est cette sensualité que choisit de nous faire entendre Jean-Marc Andrieu, qui insuffle à la partition un élan large et magnifique. Optant pour des tempi modérés, mais sans s’appesantir toutefois, il privilégie l’amplitude du geste, pour profiter au mieux de la vaste acoustique de l’Abbatiale Saint Robert et libèrer les lignes musicales qui s’épanouissent avec majesté. Et si Les Passions se révèlent parfois un brin systématiques dans leurs articulations et diminutions, le raffinement mélodique de Jean Gilles n’en est pas moins mis en valeur par la très belle projection du chœur et des solistes, particulièrement dans les fabuleux ensembles vocaux qui rayonnent et bondissent avec allégresse. 

C’est surtout par le jeu de juxtaposition de cette Messe avec le Te Deum que l’on constate le chemin parcouru entre l’une et l’autre. Composé en 1698, ce Te Deum témoigne d’une écriture qui a largement gagné en richesse et complexité. En pleine possession de ses moyens, Jean Gilles se lance dans des exercices inouïs, parfois périlleux techniquement, véritables prouesses musicales. Ainsi du trio de basses du Tu devicto mortis aculeo, dont le continuo est à peine coloré par quelques interventions très réservées des violons, du chœur jubilatoire du Ætern Fac ou encore des très nombreux contrepoints qui émaillent la partition.

S’éloignant de la nonchalance de la Messe, ce Te Deum destiné à fêter les accords de Ryswick de 1697 n’a toutefois pas le triomphe clinquant, ni même véritablement brillant. C’est une célébration joyeuse, mais en rien martiale : le triomphe de la paix.

 > Abbatiale Saint-Robert, 26 août 2012

 > Ce programme a été enregistré et est sorti sous le label Ligia…

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