
Depuis une vingtaine d'années, Patrick Bismuth s'attache, avec une rigueur mêlée de fantaisie et d'humour, à donner au violon baroque, et au violon en général, un nouveau souffle de vie. C’est un violon plein d’éclat, de couleurs et de fantaisies. S’il fait parfois des manières, ce n’est jamais aux dépens de la musicalité mais par goût du jeu, dans tous les sens du terme, et la musique comme le mélomane ne font qu’y gagner. Il allie dans son jeu la précision des articulations et l’exubérance du ton. Il donne à ses interprétations un sens, une dynamique, un mouvement — dansant, virtuose, calme, introspectif —, le tout dans une volubilité changeante, tour à tour brillante ou absorbée. Après nous avoir offert une vision magnifique et rafraîchissante du violon de Bach (STIL 1209 SAN 91), après une incursion vers les territoires foisonnants de la musique tzigane (Enesco/Ravel, Zig-Zag Territoires ZZT 010801.2) et un superbe coffret consacré aux Sonates du Rosaire de Biber (ZZT 040801.2), ainsi qu'un magnifique coffret consacré au grand violoniste français, Jean-Marie Leclair (ZZT 060401.3), Patrick Bismuth poursuit son tour d'Europe du violon baroque avec un album dédié au sévillan Francisco Correa de Arauxo (1584-1654).
Titulaire de l'orgue de la cathédrale de Ségovie, il est l'un des plus éminents compositeurs de Tientos. Ce mot, qui signifie littéralement "tâter" en espagnol, désigne un genre de contrepoint très en vogue durant la renaissance espagnole — déclinaison ibérique des fantaisies ou fugues allemandes et des ricercar italiens — et donne son nom à cet album volume paru au label Paraty, qui met au prise l'orgue, assez austère avouons le, de Louis Thiry, et le violon de Patrick Bismuth, dans d'exquis et singuliers mélismes.
C'est un violon très étrange que nous propose Patrick Bismuth. Du reste, ce n'est pas uniquement du violon, et il jongle sans souci avec trois instruments : violon, alto, et viola da spalla — ce dernier instrument, qui se joue comme les deux autres, mais dans une tessiture proche de celle du violoncelle, est l'une des hypothèses proposées pour répondre à la question de la destination de la Sixième Suite de Bach. Loin de toute virtuosité brillante, le jeu de Patrick Bismuth apparait apaisé, délié, valsant avec grâce avec le discours de l'orgue, autour duquel il s'enroule et s'emmêle avec bonheur.
Un disque à ne pas manquer, ne serait-ce que pour le plaisir du découvrir deux artistes qui mériteraient davantage de reconnaissance ainsi qu'un univers musical bien trop rare sur nos scènes et sur nos ondes : celui de la musique espagnole du XVIIème siècle...