Lorsque l'histoire du football français, dans la seconde moitié du vingtième siècle, sera retracée, il ne fait aucun doute que Guy Roux y occupera une place importante. Les quarante quatre années qu'il a passées à la tête de l'AJ Auxerre lui ont conféré une aura sans égale parmi ses pairs. Dans le palmarès des participations de clubs français à des compétitions européennes, il est en deuxième position derrière l'excellent Robert Herbin. Et, dans ce domaine, malgré toute l'estime et l'amitié que je porte à Stéphane Alliès, force est de constater que le pauvre Domenech n'apparaît pas et n'apparaîtra jamais.
Dans ce club de l'AJA qu'il a hissé de la division d'honneur régionale à la ligue 1, en lui faisant donc gravir sept échelons, il a incarné tour à tour le gestionnaire et le pédagogue. Il a fait de ce club une véritable pépinière de grands talents, de Cantona et Boli à Boumsong, Mexès et Cissé en passant par Coquard, Saïb, Lamouchi, Ferreri et Laslandes, entre autres. Il a su, par sa stature de surveillant général d'antan, diriger des personnalités chaotiques qu'aucun autre entraîneur n'a pu maîtriser, à l'exception de Sir Alex Ferguson à Manchester United avec Eric Cantona. Très régulièrement, il a laissé partir tous ces talents suffisamment tôt pour le plus grand confort des comptes de l'AJA. Sa réputation s'est bâtie sur la rigueur, symbole d'une France profonde et rurale près de sa terre et de ses deniers. Il a promu un football classique, fondé sur le travail, la solidarité et le respect des règles, en opposition totale avec l'image nauséabonde et affairiste véhiculée par Tapie. Dans ce contexte, Auxerre est devenu le village gaulois et Guy Roux une sorte de croisement entre Astérix, pour sa ruse et son intelligence, et Obélix, pour son apparence physique.
Tout a donc été réuni pour engendrer la popularité, et, devant un tel parcours, on était presque prêt à oublier des dérapages fréquents et franchouillards sur l'arbitrage et une multiplication de contrats publicitaires, pour tirer les bénéfices d'une notoriété acquise sur le tard et due non seulement aux Guignols, mais aussi à ses apparitions télévisuelles en tant que consultant – du reste techniquement toujours très avisé – à TF1 puis à Canal +. La gestion de l'image et des gains qui vont avec semble être une obsession chez cet homme. Il veut volontiers apparaître comme un catholique fervent et humble, mais sa volonté de tirer la couverture ternit sérieusement cette humilité présumée. Ainsi, ce soir du 5 juin 2005, lors de la dernière victoire de son club en finale de la coupe de France, son manque de modestie et son goût prononcé pour la mise en scène l'ont conduit à voler la vedette à ses joueurs, au demeurant dépités, en annonçant sa retraite sportive devant les caméras de TF1, au moment où le capitaine allait recevoir la coupe. Donc, on aurait volontiers oublié tout cela, étant donné le très respectable parcours.
Mais deux épisodes sont venus écorner le mythe Guy Roux. Tout d'abord, contre toute attente le 5 juin 2007, à 68 ans bien tassés, il signe un contrat d'entraîneur avec le RC Lens et plonge le petit monde du football dans la stupéfaction, puisqu'il rompt sa volonté de prendre du champ, et la Ligue Professionnelle de Football dans l'embarras, puisqu'il a largement dépassé l'âge de la retraite. Ce petit épisode donnera naissance à l'assemblée nationale à l'amendement Guy Roux, pour lui permettre de travailler, au-delà de 65 ans pour gagner plus, évidemment. On sait comment cette aventure piteuse s'est terminée, puisqu'un mois et demi plus tard le même Guy Roux jetait l'éponge et abandonnait son poste, sans doute dépassé physiquement et peut-être également démodé, puisqu'il se dit un peu partout qu'il persistait à utiliser la craie et le tableau noir pour ses analyse tactiques. Invité quelque temps après à commenter le passage météoritique de Roux à Lens, Aimé Jacquet lâchera avec une vive irritation, révélatrice de sa désapprobation, qu'il n'a pas suivi "les petits soubresauts de l'été". Quelle mouche a donc piqué l'ex-entraîneur de l'AJA, pour aller en six semaines, détruire son image auprès de la France du football ? Comme on le sait, à l'issue de cette même saison, le RC Lens a été relégué en ligue 2. Nul ne peut affirmer avec certitude que c'est la faute de Guy Roux, néanmoins on peut considérer qu'il n'a pas facilité la tâche de son successeur, Jean-Pierre Papin, et encore moins celle des joueurs. Carton jaune quand même.
Un épisode plus récent, qu'Aurélien Ferenczi a dénoncé avec une juste véhémence dans le dernier numéro de Télérama, remet Guy Roux sous les projecteurs. Il s'agit d'une publicité pour une marque d'eau minérale, qui, malgré les louanges obligés et rémunérés de ce dernier, est nettement moins bonne que l'eau du robinet – en tout cas celle de Besançon. Donc, déjà, Guy Roux n'est pas très "vert". Circonstance aggravante, le texte de ce message publicitaire est proprement affligeant. Outre le fait que l'ex-entraîneur "gâche" en récitant comme un enfant du primaire, il aligne sept bouteilles de sa marque préférée, en précisant que le journal qu'il tient entre les mains lui a coûté le même prix que l'ensemble des bouteilles. Or le journal qu'il lit ressemble étrangement à L'Equipe. Certes ce journal n'a plus l'aura qu'il avait, et, l'exercice de grand écart entre les articles contre le dopage et ceux destinés à chanter les louanges de Lance Armstrong fatigue le lectorat. Cependant, cette réserve ne saurait justifier la saillie poujadiste indirecte de Guy Roux contre la presse. Deuxième carton jaune. Et, en football, le règlement est clair : au deuxième carton jaune, expulsion automatique !