Les éditions Bourgois traduisent Léonard Michaels. Né à New-York en 1933, de parents polonais, Léonard Michaels est surtout connu pour ses nouvelles, dont celles qui composent le recueil Conteurs, menteurs, paraissant chez le même éditeur en même temps que ce texte, Sylvia.
Spécialiste de la littérature romantique, enseignant à Berkeley, Michaels a provoqué un débat littéraire, dans les années 80, en publiant ce que d’aucuns considèrent comme son meilleur roman, The men’s club. Un livre lu, à l’époque, comme une sorte de texte manifeste en faveur de l’émergence d’une conscience masculine. Léonard Michaels en tant que fondateur d’une espèce de masculinisme comme il y avait alors un féminisme vivace et vivant ? On peut le penser à la lecture de Sylvia.
On peut aussi en douter tant ce texte, servi par une forte introduction de Diane Johnson, renseigne sur la genèse de l’écriture et des préoccupations masculines du romanesque de Léonard Michaels. Bien que l’écrivain soit peu connu en France, il convient de noter la place importante qu’il tenait dans les lettres américaines jusqu’à son suicide en 2003. Michaels écrivait dans le New York Times Book Review, enseignait la critique littéraire et l’écriture, était considéré comme l’un des plus importants nouvellistes américains. Il a aussi reçu nombre de prix.
Sylvia n’est pas un roman, pas plus une nouvelle. Il s’agit du récit, entrecoupé de pages du journal intime de l’époque, entrepris trente ans après les faits, de la relation amoureuse et maritale entre l’écrivain et Sylvia. L’action se déroule principalement dans Manhattan et Michaels tente d’écrire, de frapper sur sa machine à écrire, entre deux moments pulsionnels. Car si les deux amoureux entament une relation sous de bons auspices, cela prend vite une tournure violente tant Sylvia est affectivement perturbée. Dis comme cela, on pourrait croire tenir entre les mains une sorte de texte autobiographique, écrit à trente ans de distance, ou une espèce de texte égotique. Il n’en est rien. Revenant vers son passé, avec le recul, l’auteur de Sylvia conte de façon quasi clinique la perversité, la violence, le harcèlement d’une relation passionnelle dans laquelle le rapport amoureux, le « sexe » comme l’écrit Michaels, vient ponctuer une déferlante. Et, par moments, entre les deux protagonistes viennent s’intercaler Kérouac ou Ginsberg. Ce qui est intéressant dans ce texte, outre l’écriture de Michaels, laquelle traduit l’état second dans lequel il vivait alors, réside dans la plongée au cœur d’une perversité relationnelle, perversité qui voit Michaels céder pas à pas, tenter de résister, être happé par la folie de Sylvia. En ce sens, il y a bien quelque chose d’une conscience masculiniste en ce texte. Sauf que Sylvia n’est pas la femme, simplement une jeune femme fragile, « folle », et que ce n’est pas elle mais bien cette folie qui oppresse, opprime l’écrivain. C’est cela le point de vue donné avec le recul. On ne peut que s’interroger : quel eut été celui de Sylvia ? Elle qui décide de se tuer, allongée sur l’indifférence d’un homme qui tente alors d’échapper à ce qu’il faut bien appeler des griffes. Michaels chronique effectivement une déchéance mais cette déchéance est double.
Léonard Michaels, Sylvia, Christian Bourgois, 2010, 150 pages, 17 euros. Matthieu Baumier