Une étrange ambiance règne dans ce quatorzième roman signé Christian Gailly. Une ambiance impulsée par le caractère des personnages, Braine en premier lieu. Drôle de prénom, quelque chose d'américain pour un personnage français dans une fiction se déroulant en France.
En apparence, du moins ; car cette France-là, celle d'hier, des années 60, ressemble furieusement à une Amérique de cinéma indépendant. La tranche de vie de Braine et de sa femme Lily donnée à lire par l'écrivain se déroule pourtant près de Paris. Braine est de retour.
Il retrouve Lily, son fils Louis, la chienne Lucie, personnage à part entière dans une histoire où tout un chacun semble la considérer comme le deuxième enfant de la famille. Mais Lily et Braine n'est pas l'histoire d'une famille. C'est plutôt une variation musicale autour de l'amour et du désir. Si Braine revient et retrouve sa femme sur le quai de la gare, ainsi qu'un fils quitté quand il avant moins d'un an, c'est de la guerre.
De quelle guerre ? Nous ne le savons pas au début du roman et il faudra attendre les dernières pages pour avoir un indice plutôt qu'une certitude. La guerre, les blessures, la « raclée » comme dira le père de Lily, l'épuisement de la défaite et du voyage de retour. Braine n'a pas la force de parler, à peine de dormir, pas celle de vraiment reconnaître sa femme. Le commencement de Lily et Braine, sans en avoir l'air, est composé de pages terribles sur le décalage entre celui qui est parti et ceux qui sont restés, précipice infranchissable entre ceux qui poursuivent une vie normale et celui qui était à la guerre, au cœur des combats, réalité absolument insaisissable, incompréhensible pour ceux qui ne l'ont pas connue. On lui demande si c'était « bien », à Braine, il ne répond guère, on ajoute que c'était « dur » sans aucun doute. C'est le moins que l'on puisse dire : Braine est un homme évacué du front, un homme détruit par une guerre menée dans l'armée d'un autre pays que le sien. Il reprend vie et goût à la vie, retrouve le garage où il travaillait avant.
Deux ans seulement ont passé mais pour Braine le temps s'est comme arrêté, notre monde va trop vite, bien trop vite. Vers quoi ? Nul ne le sait. Survient alors Rose Braxton, superbe femme, blonde, désirable, une actrice de cinéma américain, personnage dont on se demande s'il provient bien de la réalité. En tout cas, Rose est là, dans la réalité de Lily et de Braine.
Ce dernier est attiré, la femme blonde le désire, semble sûre d'elle-même, on dirait qu'elle le connaît et se souvient de lui, Braine tombera dans ses bras, forcément, sûre d'elle comme elle est, certaine du pouvoir de l'argent. Elle peut tout avec son fric, sans avoir l'air d'y toucher : elle peut même retrouver les anciens amis de Braine, ceux avec qui il jouait du bugle, menait un groupe de jazzmen talentueux. Les amis sont de retour, on se prépare à changer de vie. Rose veut ouvrir un club, un peu comme à New-York, et elle veut que Braine et ses amis en soient les musiciens. Survient une très jeune femme... Braine la désire, elle l'aime. Cet homme, décidément, plaît aux femmes. Lily est enceinte. Tout cela finira mal.
Mais quel est ce tout cela ? Une part des années 60, sans doute les choses vécues par Braine. Mais tout se mélange, un peu comme dans un rêve, ou plutôt comme dans les derniers instants d'un homme blessé, allongé sur un brancard, peu avant de mourir. Lily et Braine pénètre profondément en l'âme de son lecteur et cette façon de vous saisir ne vient pas que de l'histoire que conte Gailly.
Elle tient aussi, peut-être surtout, à l'écriture, simple en apparence, foncièrement travaillée en réalité, avec coupures, alternances de temps et de narrations. On se parle mais le dialogue est enté dans la vigueur du récit et les mots sont coupés, comme les vies, comme la vie de Lily et de Braine. Christian Gailly, Lily et Braine, Minuit, 2010, 190 pagesMatthieu Baumier