Billet de blog 11 février 2010

Matthieu Baumier

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Un texte exceptionnel en lice pour le Goncourt du Premier Roman

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Publiant le premier roman de Laurent Binet, Grasset pose la question de la nature même du romanesque.

Sélectionné dans la dernière liste du Goncourt du premier roman, l’excellent texte de Laurent Binet. HHhH, « Himmlers Hirn Heist Heydrich ». Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich. L’auteur est professeur de lettres dans un établissement difficile de Seine Saint-Denis. HHhH est, de prime abord, une interrogation devenue classique sur la nature du mal qui anime un monstre en uniforme de SS, Heydrich. L’homme, concepteur et patron des services de renseignements nazis, tenu sous contrôle par Hitler pour ses supposées origines juives, est l’un des principaux responsables du génocide juif. Et le chouchou de Himmler. Un salaud intégral. C’est la première gageure et la première réussite du livre de Laurent Binet : Heydrich est montré pour ce qu’il est, sans pathos littéraire, un pauvre type procédurier, un type monstrueux en même temps que banal, votre voisin en somme ; mais un voisin qui monte dans les strates du pouvoir à la faveur d’une conjoncture devenue favorable pour les types dans son genre. Pourtant HHhH n’est ni un livre d’histoire (bien que l’écriture de l’histoire soit ici une réussite) ni une biographie (bien que la personnalité et la vie de Heydrich soient parfaitement rendues). Il s’agit bel et bien de littérature, et même d’un roman. C’est la deuxième gageure pleinement réussie par l’écrivain : Binet donne, il faut insister sur ce point, avec ce premier roman, un texte abouti dont le fond est de penser le romanesque et plus largement la littérature. C’est en cela que ce livre est une œuvre. Cela ressort de la construction littéraire adoptée par l’écrivain. Bien sûr, Laurent Binet raconte une histoire. Il conte l’engrenage qui conduit, en mai 1942, deux jeunes parachutistes, l’un tchèque, l’autre slovaque, à attenter à la vie de Heydrich, dictateur absolu de Prague. Comment, aussi, l’attentat, en partie raté, provoque malgré tout la mort du bourreau. L’écrivain nous plonge donc dans le parcours de Gabcik et Kubis sur le chemin du lacet de virage où ils attendront la voiture de Heydrich. Pourtant, nous sommes très loin de tenir en mains un roman de plus sur le nazisme. Laurent Binet procède par va et vient entre l’histoire racontée et celle de la construction du texte, roman qui n’en est pas un, insiste l’auteur à plusieurs reprises. Et un roman qui en devient un tout en prétendant ne pas l’être, car finalement HHhH est bel et bien un roman. Plutôt, ce texte est tout autant un roman, une fiction, qu’un travail de l’intérieur sur ce qu’est le roman, ce qu’est la fiction contemporaine, par une construction qui semble être le journal écrit d’un roman en train de s’écrire. Laurent Binet donne autant à lire l’histoire qu’il raconte que l’écriture du roman en train de s’écrire. HHhH est à la fois un grand roman, une prouesse et une réussite littéraire.

Laurent Binet, HHhH,Grasset, 2010, 442 pages

Matthieu Baumier

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