Billet de blog 17 février 2010

Matthieu Baumier

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Venise est une fête !

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Où comment Garlini "fictionne" le romanesque d'Hemingway, par Luc Abel

Révélé en France par un roman publié chez le même éditeur en 2008, Un sacrifice italien, Alberto Garlini revient vers nous avec ce curieux Venise est une fête. Garlini n’est pas seulement romancier, il est aussi poète et critique littéraire. C’est surtout un homme tellement plongé dans la littérature que le réel et la fiction ne cessent de se parler, de se croiser, de se superposer, au point qu’il n’est guère étonnant que les éditions Bourgois défendent et promeuvent son travail. Garlini est à sa place, dans la vitrine, aux côtés de Villa-Matas, Sebald ou Lobo Antunes. Un sacrifice italien était en (petite) partie un roman autour de Pasolini, sur les liens entre le réel et la fiction, la réalité et l’image, en relation avec le cinéma. Venise est une fête, à son tour, travaille le réel, au sens où l’on dit qu’un alchimiste travaille son athanor. Et ce réel, c’est celui de l’écrivain Ernest Hemingway.Le célèbre romancier américain est à Venise, en délicatesse avec son épouse Mary, du fait de son goût prononcé pour les très jeunes femmes, à l’époque mineures bien qu’âgées de plus de 18 ans, ici Adriana. Une jeune femme de bonne famille, noble, de Venise. Outre le clin d’œil du titre à Paris est une fête, tout le roman est un hommage à l’œuvre romanesque de Hemingway, mais pas seulement ; c’est aussi un travail de la fiction dans la fiction de Garlini, par la fiction de Hemingway. Il en naît une œuvre romanesque d’une profonde originalité. Il y a une histoire, elle commence d’ailleurs par de très belles pages relatant, par Hemingway lui-même finalement, la mort du romancier américain. Puis, Garlini nous entraîne à Venise, ville qui est le principal personnage du roman, le seul vrai personnage peut-être. Les autres, tous les autres sont plus vrais que nature, ils sont cependant réinventés au gré de la puissance d’écriture, du ton, de Garlini. Car ce roman a un ton et c’est bien pourquoi il fait œuvre littéraire. Le livre fermé, on rêve de le voir transposé dans la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon, par un metteur en scène talentueux, profondément contemporain, Ostermeier par exemple. Dans Venise est une fête, les histoires se croisent. Celles de Hemingway, de Maria, de Roberto, des personnages apparemment secondaires, mais il ne faut pas s’y fier, que sont les portiers d’hôtels ou les barmen, la plupart membres des sociétés secrètes voulues par Hemingway, initiations aux femmes, au vin et au martini. Entres autres. Les vies se croisent et se rencontrent en courts chapitres, vies réelles réinventées, vies inventées rendues réelles par Garlini. Car Roberto et Maria ne sont pas n’importe quels personnages de roman, ils proviennent en droite ligne de Pour qui sonne le glas, texte exceptionnel qu’Hemingway consacra à la Guerre d’Espagne. Roberto revit ici, sous les traits et dans l’uniforme d’un résistant ; Maria passe par là, aristocrate fuyant les pesanteurs du palais, en chemise de nuit, pieds nus. L’amour, les gondoles, la poursuite burlesque dans les ruelles et sur les canaux de la Cité des Doges… Ce roman est une fête rendue à la littérature, c’est bien pourquoi Hemingway y mettra un terme en tirant un feu d’artifice, romancier bien obligé de mettre le nez dans cette histoire. Pour qu’elle se termine.

Alberto Garlini, Venise est une fête, Christian Bourgois, traduit par V. Raynaud, 2010, 275 pages

Luc Abel

http://www.lavielitteraire.fr/

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