Billet de blog 20 février 2010

Matthieu Baumier

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Léon Blum, personnage de premier roman

Cette amitié espagnole est un premier roman. Cependant, la maturité d’écriture qui traverse les pages de ce livre ne surprendra pas ceux qui ont lu l’importante biographie que Greilsammer a consacrée à Léon Blum chez Flammarion. En un certain sens, ce roman vient en prolongement du travail du biographe, et les lecteurs s’intéressant à la vie de Blum seront heureux de le retrouver ici, peut-être encore plus en chair et en os que dans le travail, pourtant exceptionnel, de l’historien Greilsammer. Non que la biographie soit moins réussie, ce n’est pas mon propos, mais que le roman et la fiction ont des pouvoirs, presque magiques, qu’aucun travail de sciences sociales ou historiques ne possède. Avec Une amitié espagnole , Greilsammer poursuit ce qu’il faut bien appeler une réhabilitation de Léon Blum, longtemps demeuré comme un « social-traître » dans un imaginaire collectif nourri de Pif Gadget . C’est la première force de ce roman : Blum en est le héros, un personnage complexe que l’on suit depuis le moment de ses études à l’Ecole Normale Supérieure, où il ne se plaît guère, qu’il doit quitter, non sans avoir rencontré ce bibliothécaire qui influença plusieurs générations d’intellectuels et d’acteurs politiques de gauche. Nous traversons Paris en sa compagnie, rencontrons ses amis autour de La Revue Blanche . Une époque rendue avec une telle émotion, simplicité et beauté de l’écriture, que nous regardons la Seine au-delà des ponts. Par les yeux de Blum. Puis, nous assistons à l’ascension de Blum au sein de la SFIO, le parti socialiste de l’époque, jusqu’à être enfermés en sa compagnie par le gouvernement nommé par Pétain. Entre temps, le lecteur est monté à la tribune avec Blum, lors du Congrès de Tours, temps de la scission entre socialistes « réformistes » et socialistes « révolutionnaires », les seconds devenant massivement staliniens, les premiers orchestrant les réussites du Front Populaire. Ironie de l’histoire réelle, loin des propagandes. La seconde force de ce roman tient alors à l’un des personnages qui regarde Blum lors de ce congrès. Elle est assise là, pas loin, et ses yeux trahissent une sorte de colère. Elle ? Maria Elvira Santa Cruz, jeune femme issue de l’aristocratie espagnole, passionnée de littérature, amie de Blum à Paris, présente dans les salons de La Revue Blanche ; c’est avec elle que Léon Blum marche dans Paris, qu’il parle de littérature. C’est elle qui lui dit combien sa poésie est médiocre. Mais le pense-t-elle vraiment ? Et le bibliothécaire, ce Lucien dont trop peu de gens savent aujourd’hui l’influence, qui lui explique… Alors, Maria quitte Paris, rejoint l’Espagne, quitte sa famille, rejoint les rangs de la révolution, grimpe les marches de l’échelle du parti, choisit la fidélité à l’Urss, écrit à Blum, sa colère, sa haine, ses appels à l’aide aussi, jusqu’à lui demander de veiller sur sa fille après sa mort. Quel roman ! Des pans entiers de notre histoire, de celle de la guerre d’Espagne, des pages exceptionnelles sur les caractères humains de Blum et de Maria… Mais aussi, le visage de Paris. Mais encore une construction faite d’allers et de retours entre le présent, celui des années 30, et le passé, celui du jeune Blum. Construction rendue encore plus intéressante par le poids épistolaire de la relation entre Maria et Blum, comme par le « je » du narrateur. Que dire ? Un aveu : ouvrant ce roman, je pensais pénétrer dans le genre exact de fiction qui ne m’intéresse guère. Cette lecture m’a ensuite bouleversé. Difficile de dire plus. Il y avait longtemps, bien longtemps, que je n’avais pas pleuré en refermant un roman. Les critiques littéraires pleurent aussi.

Ilan Greilsammer, Une amitié espagnole, Grasset, 2010, 300 pages

Matthieu Baumier

http://www.lavielitteraire.fr/

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