Un deuxième roman superbe, signé S. Aaron.
Soazig Aaron obtenait la bourse Goncourt du Premier roman en 2002, avec le très beau Nom de Klara , édité par Maurice Nadeau. C’était il y a huit ans, et c’est de mon point de vue très bon signe, point de vue confirmé par la lecture de cette sentinelle tranquille sous la lune dont il ne faudra pas tout dévoiler, sous peine de la déflorer. Contrairement à nombre de manuscrits qui circulent dans le cloaque, ce roman n’a pas été bâclé en urgence, dans les deux mois qui précèdent la date limite de remise du manuscrit à un éditeur pressé de publier chaque année un roman de son poulain à 10 / 15 000 exemplaires avant passage en poche. Chaque page, chaque ligne, chaque mot, chaque son, chaque rythmique de ce roman de Soazig Aaron a été décidé, choisi, travaillé. Pensé et vécu en même temps. Harmonieux. On aimera ou pas, on trouvera ce livre grand ou non, tout dépendra du mode d’entrée du lecteur dans ces pages, de son goût aussi pour un travail autour de la Grande Guerre, un de plus diront les méchantes langues, lesquelles feraient bien de réaliser une thèse à ce sujet, que l’on comprenne en effet pourquoi tant de nos écrivains reviennent à la guerre de 14. Et au nazisme, aussi. On se demande ce que font nos chercheurs quand ils ne cherchent pas à répondre à cette question : pourquoi écrit-on, maintenant, autant sur le nazisme ? Je lance l’idée, l’on se jettera dessus. La guerre est terminée mais il faut plusieurs mois à Jean pour revenir chez lui, retrouver son frère, sa mère, la terre et le village. Le temps, et Proust caché par là, le retour, la guerre, la mémoire, la terre et la vie de cette terre, la famille, le rapport à la mère, les cauchemars de la guerre. Une partie des thèmes de ce roman qui foisonne sans en avoir l’air. L’amour aussi, l’attente surprenante de la venue d’un amour qui légitimera ensuite l’écriture de ce livre, de cette histoire racontée à une enfant longtemps après les faits, longtemps après les années 20, histoire contée pour être reprise et racontée derechef par l’écrivain, caché par là, lui ou elle aussi ; La sentinelle tranquille sous la lune est autant l’un des personnages de ce roman, furtif et pourtant essentiel, comme le secret de l’alcôve, que le roman lui-même, le roman en tant qu’il est l’écrivain qui écrit ce roman. Voilà qui aide à comprendre pourquoi Soazig Aaron a mis près de dix ans à écrire ou éditer ce texte. Ce n’est pas rien d’écrire un vrai livre, histoire en même temps que travail fondamental sur ce qu’est la narration et l’acte d’écrire ; écriture aussi, très poétique, de la terre qui souche les hommes ; narration d’un siècle écoulé, de ses drames, de ses beautés, dans le cœur d’un homme, par la femme qu’il aime. C’est toute notre mémoire qui vient à nous au travers du chemin tracé par Jean, la mémoire de ce 20 e siècle qui fait ce que nous sommes maintenant, mémoire qui nous ancre dans le réel quand notre début de siècle voudrait nous déréaliser. En cela, ce roman est un acte de résistance littéraire, mais aussi poétique. La politique, la vraie. Soazig Aaron, La sentinelle tranquille sous la lune, Gallimard, 2010, 295 pages. Matthieu BaumierBillet de blog 20 mars 2010
La sentinelle tranquille sous la lune
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