Billet de blog 30 décembre 2009

Matthieu Baumier

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Les sangsues serbes de Albahari

Il est parfois de bon ton de critiquer les éditions Gallimard, dans certains milieux ante ou post modernes. Sans doute ne s'est-on pas rendu compte que l'éditeur publie les romans de Albahari, quatre déjà, avant Sangsues.

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Il est parfois de bon ton de critiquer les éditions Gallimard, dans certains milieux ante ou post modernes. Sans doute ne s'est-on pas rendu compte que l'éditeur publie les romans de Albahari, quatre déjà, avant Sangsues. L'écrivain n'a pas trouvé un vaste public en France, pas plus un écho extraordinaire dans le sein de la critique. C'est très regrettable. Pour qui connaît son œuvre et vient de lire ce roman, une évidence saute aux yeux : Albahari est à « ranger » sur l'étagère des nobélisés et nobélisables. Le serbe est un des grands écrivains de ce monde et nous ne le savons pas, ou pas assez. Avec Sangsues, Albahari plonge son lecteur dans la Belgrade des années 90, ville qu'il connaît évidemment très bien, même s'il vit aujourd'hui au Canada. Le narrateur, écrivain lui-aussi, chroniqueur hebdomadaire dans un magazine très lu, assiste par accident à une gifle, violence subie par une très belle femme au bord du fleuve ; violence donnée par un homme en imperméable ou manteau long, comme il en erre visiblement beaucoup dans ce Belgrade là. Il va alors suivre les protagonistes de cette scène, découvrir le fond de cette ville dans laquelle il vit sans savoir réellement ce qui s'y passe ; on a le sentiment de regarder vivre un homme absent tandis que Pétain et ses proches envoyaient des Juifs en Allemagne. C'est cette ambiance qui pèse dans Sangsues. Alors, nous découvrons l'incroyable et puante montée de l'antisémitisme en Serbie, la manière dont l'écrivain narrateur tache d'alerter la population, par sa chronique, entraînant le contraire, la violence quotidienne, la violence qui s'accentue de jour en jour, les pressions, les menaces et les étrons sur le paillasson. Une violence tue par tout un chacun, jugée normale par ce tout un chacun. En même temps, le narrateur croise la trahison de son meilleur ami, les bras de la jolie femme giflée, se découvre lui-même et participe à une irrationnelle volonté de résistance, sur fond de Kabbale, un des points forts, parmi tant d'autres de ce roman, cela, de nous faire découvrir la richesse de l'univers spirituel juif comme du travail de ses artistes. Puis, vient le moment de s'enfuir. C'est cela, Sangsues, le roman de la découverte du vrai monde, de l'incapacité à empêcher la mise en œuvre du mal, sauf à fuir. Sangsues n'est pas seulement un roman à lire, c'est le roman d'un très grand écrivain. David Albahari, Sangsues,Gallimard, 2009, 400 pages.

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