Billet de blog 20 août 2022

Germain Filoche Le Toullec (avatar)

Germain Filoche Le Toullec

Professeur de lettres-histoire et théâtre en lycée professionnel

Abonné·e de Mediapart

A la découverte du Nouveau Théâtre Populaire

Comme tous les étés depuis 14 ans, la troupe du Nouveau Théâtre Populaire organise à Fontaine-Guérin dans le Maine-Et-Loire un festival à ne pas rater. Cette année, trois pièces sont incontournables.

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L’art de la satire.
C’est l’histoire d’un chômeur à qui Gilles Bouleau annonce qu’un algorithme l’a choisi pour devenir le prochain président de la République. « Soleil déréglé » d’Elie Salleron présente aux spectateurs une France déjantée, en mille morceaux, où tout semblerait possible si elle ne se repliait pas sur elle-même. A travers des personnages impensables et authentiques, ingénieux ou méprisables, réels ou fictifs, Elsa Grzeszczak
met en scène avec fougue et espièglerie cette aventure dans les profondeurs du système politique où ninjas tueurs à gage côtoient flics et zombies, Gilles Bouleau et Anne-Sophie Lapix. La mise en abîme offerte par l’écriture lapidaire de son auteur renvoie aux spectateurs l’image de cette société désorientée, déréglée, qu’on aurait tort d’ignorer. Violences policières, discriminations, antisémitisme, corruption, tant de sujets qui construisent l’image de Paris comme capitale aux abois, baignée dans la coke et la misère spirituelle où l’on ne sait plus qui domine parmi les arcanes sombres du pouvoir. Suivre l’intrigue ne sera pas chose facile nous prévient d’entrée de jeu Loïc Riewer qui interprète un scientifique passionné par sa propre chaîne YouTube. En revanche, c’est un puzzle que l’on reconstitue avec passion.

"1789, j’adore".
Dans une autre pièce visible à Fontaine-Guerin jusqu’au 27 août, Sacha Todorov propose une reprise de la célèbre pièce « 1789 » créée et mise en scène par le théâtre du soleil en 1971 et très peu reprise depuis. Il faut dire que la version initiale était inséparable de l’esprit de la troupe installée dans l’ancienne réserve militaire du bois de Vincennes. L’improvisation systématique des comédiens, la part d’un public déchaîné depuis 68 et la dimension multipolaire de la pièce ont nécessité de revisiter le texte. Todorov n’a d’ailleurs pas souhaité s’appuyer sur la captation de la pièce disponible sur YouTube. Il a certainement préféré relire Kropotkine, l’historien russe et anarchiste du XIXeme siècle qui a écrit un pavé incontournable sur le sujet. Ainsi, cette histoire populaire de la révolution, dépoussiérée, parvient à séduire un nouveau public. « J’ai enfin compris la révolution » disait Adèle, une jeune spectatrice à l’issue de la représentation. Quand aux enfants, ils se délectent autant que les grands du jeu burlesque des comédiens, à l’image de Garance Robert de Massy, survoltée dans son rôle d’officier de la garde nationale qui refuse de donner les armes au peuple. « Écoutez moi, je vais vous raconter comment, nous le peuple de Paris, nous avons pris la Bastille » lui rétorque Benjamin, un ouvrier parisien. S’ensuit une narration palpitante et émouvante de cette journée du 14 juillet qui replace le peuple parisien au cœur des événements. Le public s’interrogera sur rien de moins que la dialectique de l’histoire mais aussi sur la construction des principes universels qui fondent nos sociétés comme la liberté et les limites de celles-ci mais aussi l’usage du droit de propriété et la place de l’héritage dans les inégalités sociales. A qui ont servi les droits de l’homme de 89, à quelles fins, dans quelles perspectives? Dans cette pièce, ni les réponses ni les registres ne sont uniformes. A l’image des idées et des courants qui parcourent la révolution, il n’est pas possible de classer cette pièce tant elle déborde d’ingéniosité et bouleverse ceux qui y assistent. Des costumes savamment conçus aux chansons subtilement interprétées, l'histoire de la révolution rejoint avec élégance les attentes d'un public populaire. Dommage qu’elle ne puisse être visible en l’état sur d’autres plateaux de théâtre.

Illustration 1
Installation du public, "1789", Festival du NTP © Germain Filoche

De Paul Claudel à Simone de Beauvoir.
Ce regret sera sans doute partagé par les spectateurs de « l’Echange » de Claudel, mis en scène par Pauline Bolcatto. Si le texte est plus difficile d’accès et certainement moins humoristique, l’effervescence du jeu d’acteur - notamment d'Ayoub Kallouchi, fraichement sorti du conservatoire - permet aux spectateurs d’apprécier, d’explorer les relations croisées entre les quatre personnages. Leur quête de sens et d’identité sont augmentées par les variations de plusieurs grands philosophes et penseurs comme Simone de Beauvoir ou Baruch Spinoza. Bi-frontal, hors champs, projection numérique, la maîtrise de la mise en scène fait ressortir le choix judicieux de montrer les personnages faisant semblant, de boire - les verres et bouteilles sont tristement vides -, de tirer - les détonations sont grossièrement buccales - de mettre le feu - la scène est enregistrée à l’avance - comme pour mieux pointer la spirale aliénante dans laquelle tombent les personnages et pour mieux déjouer les pièges suscitées par les explicitations à la fin de la pièce.

Un festival de bonne humeur.
Le festival du Nouveau Théâtre Populaire se déroule dans un jardin. Celui de la maison qui appartenait à la grand-mère de l’un des comédiens et qui a été racheté par la communauté de communes des Bois d’Anjou. La troupe et le travail qui est fourni ressemblent un peu à ce jardin, simple, équilibré, magnifiquement adapté. L’énergie qui s’en dégage depuis plusieurs années a été consolidée par leur interprétation réussie de trois pièces de Molière à Avignon l’an passé. Les comédiens aiment leurs métiers et c’est sans nul doute cette joie, si rarement exploitée dans les séances théâtrales, qui fonde la magie du lieu et qui la transmet aux spectateurs. Incontournable on vous dit.

Festival 2022 - Nouveau Théâtre Populaire (nouveautheatrepopulaire.fr)

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