C’est en écoutant l’excellente émission d’Olivia Gesbert, « Bienvenue au club » sur France culture, que l’on pourrait avoir l’idée d’aller voir Avatar 2. James Cameron serait « un peu un apôtre » des paradis perdus et des mondes primitifs et défendrait même l’écoféminisme. Fleur Hopkins, critique de cinéma, explique que Cameron « construit de film en film une sorte de Bible, le mot n’est pas trop fort ». Avatar serait la promesse d’un autre monde, et « Pandora la terre du rachat, du renouveau ». Vraiment ?
Des effets spéciaux superficiels
Imaginez un monde où les racines des mangroves géantes qui surplombent des lagons azur servent de résidence quotidienne. Imaginez un monde où vos cheveux se connectent à ceux des dauphins et vous permettent ainsi de vous déplacer à toute vitesse sur, sous et au-dessus de la surface des mers et des océans. Imaginez comme Jonas que vous pénétrez l’intérieur d’une baleine et que cette fois-ci, cet énorme mammifère vous révèle tous ses secrets grâce à une glande phosphorescente située au cœur de son palais buccal. Et bien le film qui vaut 400 millions d’euros vous fait le plaisir d’imaginer, à votre place, ces fantasmes auxquels vous n’avez jamais pensé en transformant ces lieux, végétaux, animaux en espaces fluorescents et en créatures imaginaires… jusqu’à vous saturer. Car en effet, le film visible en 3D ne lésine pas sur les moyens techniques et numériques, ils sont permanents, un peu comme si vous étiez dans un jeu vidéo mais sans manette ni surprise. Car contrairement aux jeux où vous avez le contrôle des personnages, ici, vous assistez à un scénario déjà connu par avance. Aucune ambivalence, aucune interrogation, aucune remise en cause du modèle de société comme dans Avatar 1. Frédéric Ducarme, chercheur en philosophie évoque dans Le Monde des « mièvreries animalières » et une « peluchisation de la biodiversité ». Mais c’est peut-être pire : en payant la somme de 8, 10, parfois 15 euros en échange de la place et des lunettes 3D, vous contribuez à financer le maintien, la sauvegarde, la survie dans le cinéma hollywoodien des valeurs les plus archaïques de notre société.
Une société militariste
Alors que le premier épisode d’Avatar venait bousculer les prétentions impérialistes américaines et la prévalence de leur système de valeurs et de croyances, le second fait exactement l’inverse. Tout y est conforté. On constate que les Na’vis, initialement pacifiques se transforment en chefs de guerre, maniant les armes à feux et maitrisant les codes de la guerre à la perfection. Jake Sully, devenu chef des Omaticaya, redevient un colonel G.I. qui doit convaincre une autre tribu de le rejoindre dans son combat. Ni son entourage, ni les autres membres de la tribu n’ont leurs mots à dire et toutes les négociations se font entre les deux Na’vis masculins. Tout est centralisé, anti-démocratique, impérial d’une certaine manière. Et ceux qui s'écartent des décisions prises le paient cher. D’ailleurs, le spectateur finit par s’interroger sur les raisons qui poussent les Na’vis à s’opposer au colonel Miles Quaritch qui a dorénavant la même apparence. La cruauté envers les animaux peut-être, en effet, et cette course à la jeunesse éternelle au détriment de la biodiversité. Mais le conflit armé est-il le seul moyen pour empêcher cela ? À aucun moment la question n’est posée par les Na’vis comme si la négociation ne pouvait être envisageable. Il n’y a aucune tentative de dialogue, de rencontres, de persuasion. La guerre est la seule solution et l’extermination de l’autre camp, le seul objectif. Les méchants humains sont découpés, écrasés, brûlés, noyés ou encore fusillés, comme s'il fallait assouvir le public d'un besoin présumé de violence et de guerre alors que ce processus ne fait qu’entretenir son acrasie.
Une vision patriarcale et misogyne
Jake Sully et ses deux fils Neteyam et Lo’ak. Miles Quaritch et le sien, Spider. Tonwari, le chef des Metkayna et son fils Aonung. L’ensemble du film de James Cameron est basé sur la relation entre les pères et leurs fils. Xavier Leherpeur dans « Le masque et la plume » se dit catastrophé par cette « psychanalyse à l’américaine ». Comment les deux fils de Jake Sully vont-ils apprendre à respecter les consignes de leurs pères ? Comment le colonel Quarritch va-t-il reconquérir l’amour de son fils ? Comment Aonung va-t-il se soumettre à l’autorité de son père ? Comment « les masculins » vont-ils gérer leurs émotions ? A cette question, Cameron répond simplement : il n’y a pas d’émotion, de sensibilité masculine dès lors qu’elle pourrait faire apparaître ce qui peut être jugé comme une faiblesse. Ni la peur, ni la tristesse, ni le deuil. De l’autre côté, les femmes, les filles pleurent, pleurnichent en permanence et laisse exploser leurs colères sans aucun contrôle, renvoyant cette image d'hystérique. Alors que Titanic, Abyss, Terminator sont des films qui, d’une certaine manière, laissent apparaître des caractères féminins forts et qu’Avatar 1 séduisait grâce à la témérité, au courage de Neytiri, Avatar 2 remet les femmes dans une place que l’on pensait disparue : au foyer. D’ailleurs, les injonctions qui leurs sont adressées soulignent cette évidence : « Sois courageuse », « Reste à ta place », « Pour une fois, sois forte ». A l’heure où les combats féministes connaissent une dynamique internationale sans équivalent, James Cameron nagerait-il définitivement à contre-courant?
Un modèle suprémaciste binaire
Deux espèces peuvent-elles coexister ? Avatar 1 posait déjà la question en mettant en scène un conflit entre les humains et les Na’vis. Mais le premier opus insistait sur l’importance du dialogue et de la compréhension de l’autre. Jake Sully a dû se transformer pour rester parmi les Na’vis. Le spectateur était invité à changer son mode de vie, de consommation, son rapport à l’autre ou à la nature. Dans Avatar 2, Cameron rend incompatible les humains et les Na’vis. Tout est binaire : les humains sont tous pourris, même Spider qui a été élevé par les Na’vis finit par les trahir en sauvant la vie du Colonel Quarritch. Les Na’vis sont eux aussi racistes lorsqu’ils prennent conscience des différences physiques des enfants métisses. On pourrait croire que Cameron dénonce le racisme des deux camps, peut-être, mais il souligne surtout l’impossible coexistence entre deux espèces. Il est probable que les futurs épisodes soient, comme la saga Star Wars, une suite de rebondissements, de vengeance et de trahison dans une histoire familiale où deux clans s'affrontent pour devenir dominant. C'est donc du déjà-vu. Et c’est là tout le problème, James Cameron est-il le meilleur réalisateur pour poursuivre, sauver l'aventure d'Avatar? Il est le spécialiste incontesté des films à grands budgets or filmer la paix, l'hésitation, le doute, le dialogue au cinéma ne nécessite pas autant d’effets spéciaux. Si les spectateurs et les spectatrices de Pandora veulent un minimum de qualité par la suite, iels feraient bien de faire entendre leurs courroux.