1798. Dessin politique représentant un ‘débat’ au Congrès entre le démocrate-républicain Matthew Lyon et le fédéraliste Roger Griswold.
Note du traducteur : Ceci est une traduction du livre de Terry Bourricius “ Le problème avec les élections : Pourquoi tout ce que nous savons à propos de la démocratie est faux”. La traduction a été faite avec l’accord de Terry Bourricius mais ce dernier n’a ni lu, ni validé cette traduction. Cette traduction ne se veut pas professionnel et est réalisé par des bénévoles du mouvement Décider Autrement afin de diffuser l’idée du tirage au sort en démocratie et de répondre aux questions que vous pourriez vous poser. N’hésitez pas à nous signaler toutes erreurs ou à ajouter vos commentaires.
Bien que le livre s’adresse aux américains et que l’auteur fait référence à la politique américaine en particulier dans les premiers chapitres, la réflexion et les arguments s’appliquent à tous les pays utilisant un système à base d’élection dont la France. Le manuscrit original en anglais se trouve sur la newsletter de démocratie créative sur cette page.
Les traits déprimants de la démocratie électorale américaine discutés ici sont souvent traités par les commentateurs comme s’ils étaient nouveaux, ou du moins bien pires que dans le passé. Mais les problèmes inhérents aux élections étaient déjà été reconnus par des personnes comme James Madison (souvent appelé le “Père de la Constitution”) avant l’adoption de la Constitution. Dans un essai de 1787 exposant les défauts des Articles de la Confédération, intitulé “Vices of the Political System of the United States”, Madison présentait cette dynamique troublante de la représentation électorale :
“Les représentants cherchant à être nominés ont 3 motivations : 1. Ambition 2. Intérêt personnel 3. Bien public. Malheureusement, les deux premières motivations sont, par expérience, les plus répandus. Par ailleurs, les candidats qui sont animés en particulier par l’intérêt personnel sont les plus motivés, les plus travaillants et les plus à même d’atteindre leur objectif. Ils forment souvent une majorité dans les conseils législatifs, avec des vues intéressées, contraires à l’intérêt et aux vues de leurs électeurs, se joignant dans le sacrifice perfide de ces derniers aux premiers. Une élection suivante, pourrait-on supposer, remplacerait les contrevenants et réparerait les dégâts. Mais les mesures basées sur l’intérêt personnel et égoïstes sont facilement masquées par des prétextes de bien public et d’apparente nécessité. À quelle fréquence, une répétition des mêmes subterfuges et des mêmes techniques qui ont déjà réussi, vont-elles convaincre à nouveau sur les imprudents qui ont mal placer leur confiance?”
Comme je le discuterai dans des publications ultérieures, Madison s’inquiétait également des factions. Il espérait diluer ce problème d’une certaine mesure par la seule force de la taille; il pensait qu’une nation vaste aurait tellement d’intérêts concurrents qu’aucune faction ne pourrait dominer. Avec des intérêts régionaux divergents et des liens de communication qui prenaient des semaines, il supposait que la consolidation des factions serait impraticable, voire impossible. Mais cela s’est avéré ne pas être le cas. La dynamique des élections compétitives a rapidement fait s’agréger ces factions redoutées sous la forme de partis politiques nationaux - avec leur rancœur partisane associée. Ironiquement, Madison lui-même a contribué à fonder l’un des premiers partis politiques de la nouvelle république.
Le système politique partisan que nous avons, dans lequel deux partis dominants maintiennent un duopole sur tous les niveaux de gouvernement, est exactement ce que beaucoup de nos fondateurs craignaient le plus pour leur république. John Adams, dans une lettre de 1780 à son ami Jonathan Jackson discutant de la Constitution de l’État du Massachusetts qui allait bientôt être publiée, a déclaré que:
“Je ne crains rien autant que la division de la république en deux grands partis, chacun organisé sous son chef et concertant des mesures en opposition l’un à l’autre. Cela, à mon humble avis, est à craindre comme le plus grand mal politique sous notre Constitution.”
George Washington a également mis en garde contre le partisanerie dans son discours d’adieu à la nation en 1796:
“L’alternance de la domination d’une faction sur une autre, aiguisée par l’esprit de vengeance, naturel à la dissension partisane, qui dans différentes époques et pays a perpétré les plus horribles énormités, est en soi un despotisme effrayant. Mais cela conduit finalement à un despotisme plus formel et permanent. Les troubles et les misères qui en résultent inclinent progressivement les esprits des hommes à chercher la sécurité et le repos dans le pouvoir absolu d’un individu; et tôt ou tard, le chef d’une faction prédominante, plus capable ou plus chanceux que ses concurrents, tourne cette disposition à des fins d’élévation personnelle, sur les ruines de la liberté publique.”
Le parti pris redouté a fleuri presque immédiatement avec la montée des fédéralistes, alignés sur Hamilton, et des démocrates-républicains, alignés sur Madison et Jefferson. Bien qu’il puisse sembler nouveau aux observateurs d’aujourd’hui, qui considèrent le niveau inhabituel de bipartisme des années 1950 et 1960 comme s’il était la norme, l’hyper-partisanerie a été la réalité de la politique américaine pratiquement depuis le début, avec seulement des interludes relativement brefs de civilité. En 1800, le Courant fédéraliste du Connecticut faisait la prophétie que si Thomas Jefferson devenait président, “le meurtre, le vol, le viol, l’adultère et l’inceste seront enseignés et pratiqués ouvertement, l’air sera déchiré par les cris des affligés, le sol sera trempé de sang, et la nation noire de crimes.”
La tendance des politiciens à éviter les problèmes difficiles n’est pas nouvelle non plus. Les rédacteurs de la Constitution ont jugé opportun de simplement différer certains problèmes aux générations futures. Afin de faciliter le remplacement des Articles de la Confédération et de faire entrer les treize États dans l’union “la plus parfaite” qu’ils envisageaient, ils ont intentionnellement évité la question de l’esclavage, laissant la résolution de cette question clivante à une date ultérieure. En effet, ils ont même placé un verrou temporel dans l’article V, qui traite du processus de modification de la Constitution, interdisant expressément toute modification de la clause qui permettait l’importation continue d’esclaves, jusqu’en 1808 au plus tôt. Le report pragmatique de la question de l’esclavage devait semé les graines d’une future et sanglante guerre civile.
Il est clair que la démocratie américaine, et la démocratie occidentale en général, n’a pas tout à fait été à la hauteur de l’idéal de ce que doit être une démocratie, mais le soutien à cet idéal s’est néanmoins répandu dans le monde entier au cours des deux derniers siècles. Cependant, une étude conjointe de Harvard et de l’Université de Melbourne en 2017 suggère que cette tendance s’est inversée. En s’appuyant sur des données provenant des enquêtes européennes et mondiales, les chercheurs Roberto Foa et Yascha Mounk ont constaté qu’il y a eu un déclin abrupte de l’engagement public en faveur de la démocratie (interprétée comme des systèmes basés sur des élections compétitives). Ils font référence à ce phénomène sous le nom de « déconstruction démocratique ».
Dans les démocraties électorales bien établies, telles que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie, le pourcentage de personnes qui disent qu’il est “essentiel” de vivre dans une démocratie a régulièrement chuté depuis la Seconde Guerre mondiale, passant d’environ 75% à un peu plus de 25% au moment de l’étude. Bien que moins importante, cette diminution se produit même dans des pays célèbres pour leur état de droit, tels que la Suède et les Pays-Bas. Le mépris généralisé pour les “hommes politiques professionnels” des démocraties est un phénomène mondial, voire universel.
La plupart des observateurs conviennent que l’élection du non-politicien Donald Trump aux États-Unis était largement le résultat de ce sentiment croissant du public. Une analyse publiée par l’Institut Bennett pour les politiques publiques de l’Université de Cambridge en 2020 confirme que le mécontentement en est la cause sous-jacente. Les chercheurs ont compilé un nouvel ensemble de données combinant plus de 25 sources de données, 3 500 enquêtes et 4 millions de répondants entre 1973 et 2020, demandant aux citoyens s’ils étaient satisfaits ou mécontents de la démocratie dans leur pays. Les auteurs ont écrit : “Nous constatons que le mécontentement à l’égard de la démocratie a augmenté au fil du temps et atteint un niveau mondial sans précédent, en particulier dans les démocraties développées”. En 2020, le pourcentage de personnes vivant dans des démocraties électorales qui ont déclaré qu’ils étaient mécontents de la démocratie dans leur propre pays a atteint 57,5 %. Entre les années 1990 et aujourd’hui, le mécontentement à l’égard de la démocratie aux États-Unis a fluctué, mais a globalement connu la plus forte hausse de tous les pays étudiés.
Alors, y a-t-il un remède ? Il pourrait bien y en avoir un. Mais le chemin vers une meilleure démocratie ne passe pas simplement par l’amélioration des élections, que la plupart des réformateurs considèrent comme la seule voie à suivre. Dans le langage courant, la démocratie et les élections sont devenues synonymes (bien que, comme nous le verrons, ce ne soit pas toujours le cas). Après tout, les élections sont considérées comme le moyen par excellence de rendre les dirigeants responsables. Les “élections libres et équitables” sont presque universellement considérées comme la pierre angulaire de la démocratie représentative. Mais les élections elles-mêmes pourraient-elles être à l’origine du problème ?
Ce livre traite des nombreux défauts démocratiques inhérents aux élections et de la manière dont nous pourrions construire une meilleure démocratie sans nous fier exclusivement à celle-ci. Il est difficile de reconnaître les choses que nous “tenons pour acquises” simplement parce que nous ne connaissons rien d’autre que celle-ci. Comme le dit le proverbe, “le poisson sera le dernier à découvrir l’eau”. L’idée que la réparation de la démocratie ne soit qu’une question de réparation du processus électoral est une hypothèse que nous devons remettre en question. Pour avancer, il est essentiel de déterminer dans quelle direction nous devons aller. Où se trouve l’étoile du Nord de la démocratie ?
Les futurs chapitres prouveront que l’étoile polaire de la démocratie se trouve dans la désignation de nos représentants par le tirage au sort. Aujourd’hui, ce concept peu connu mais fondamental pour les premières démocraties, pourrait être le salut de la démocratie moderne.
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