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Note du traducteur: Un autre homme politique, après avoir observé de près le jeu de pouvoir des politiques, en était arrivé à la conclusion à la fin de sa vie que le problème de nos démocraties était les élections elles-mêmes. Cet homme avait côtoyé les plus grands hommes politiques, il s'agissait de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies. Vous pouvez retrouver une de ses interventions ici.
Mon propre cheminement vers le concept de « sortition » n'a pas commencé dans les milieux académiques. Bien que j'aie obtenu une spécialisation en sciences politiques, je n'ai jamais rien lu à propos de la « sortition » à l'université. Mon intérêt pour la « sortition » a émergé après des décennies d'implication dans la politique électorale, deux décennies en tant qu'élu public, et des décennies en tant qu'analyste et activiste des politiques de réforme électorale. Je me suis impliqué dans les politiques des partis tiers alors que j'étais étudiant au Middlebury College dans le Vermont. Mon opposition à la guerre du Vietnam m'a conduit vers les politiques de gauche au sein du petit Liberty Union Party du Vermont. J'ai été candidat au Sénat de l'État puis à la fonction de Lieutenant-Gouverneur du Vermont. Ces campagnes étaient « éducatives » (ce terme étant l'euphémisme utilisé pour des campagnes sans espoir de victoire).
En 1980, j'ai participé à la création du nouveau parti des citoyens (Citizens Party), qui a présenté Barry Commoner, écologiste, comme candidat présidentiel. Puis, en 1981, un événement inattendu s'est produit lors des élections municipales de Burlington, Vermont. Je me présentais pour un siège au conseil municipal en tant que candidat du Citizens Party contre un démocrate sortant, tandis qu'un ami et ancien leader du Liberty Union Party, Bernie Sanders, se présentait pour devenir maire en tant qu'indépendant. À notre grande surprise, nous avons tous deux remporté de peu nos élections respectives. J'ai été le premier candidat du Citizens Party élu dans le pays, et Bernie Sanders a battu le maire démocrate sortant. Après plusieurs mandats en tant que maire, Bernie Sanders a été élu Représentant du Vermont au Congrès en 1990, puis au Sénat américain en 2006 — toujours en tant qu'indépendant. Après une décennie au conseil municipal, incluant un mandat comme Président du Conseil, j'ai finalement été élu à la Chambre des Représentants du Vermont sous l'étiquette du Parti Progressiste. J'ai été représentant de l'État pendant une décennie, prenant ma retraite en 2001.
Durant mon mandat de législateur, il m'est apparu évident que la « maison du peuple » n'était pas très représentative des gens vivant réellement dans le Vermont. Mon épiphanie s'est produite alors que je travaillais sur un projet de loi concernant les droits et responsabilités des locataires et des propriétaires lors d'une situation d'expulsion. La petite salle de réunion du comité avait des bureaux pour les législateurs disposés en rectangle, presque joints, avec juste assez de place au centre pour un magnétophone et des microphones. Le bureau, situé à la tête du rectangle, était celui du président, tandis qu'à l'autre bout du rectangle les témoins prenaient place un à un pour donner leur témoignage. Les membres du comité étaient un groupe extraverti et bavard. Les timides n'avaient presque jamais la possibilité de devenir législateurs.
Pendant une pause entre témoins, un membre du comité nous a raconté une histoire sur un ami propriétaire dont l'appartement avait été détruit par un locataire. L'histoire était riche en détails concernant les dégâts causés à la moquette et aux murs. Bien que cela ne soit pas directement pertinent pour le projet de loi en cours d'examen, l'histoire a créé un cadre avec un auteur et une victime clairement définis. Personne n'a proposé une contre-histoire dans laquelle un locataire aurait été abusé par un mauvais propriétaire. Lors de la discussion sur le projet de loi pendant le « mark-up » du comité (moment où les membres du comité proposent des amendements, etc.), j'ai réalisé que les membres du comité s'appuyaient davantage sur des informations anecdotiques issues de leur propre cercle de contacts et de ceux de leurs collègues, que sur des rapports statistiques ou des témoignages formels de témoins programmés. Ils interprétaient également les témoignages à travers les filtres de leur propre expérience, accordant une crédibilité supplémentaire aux informations correspondant à leurs idées préconçues, et réinterprétant ou rejetant les témoignages qui ne correspondaient pas à leur vision du monde. Les témoignages en faveur des locataires semblaient particulièrement dévalorisés. Avec le recul, je reconnais avoir fait la même chose. Mais en tant que défenseur de la classe ouvrière, je me trouvais du côté opposé à la plupart de mes collègues. J'ai constaté que les expériences et croyances des législateurs influencent bien plus les législations que les faits.
J'ai réalisé une enquête informelle pour savoir combien de mes collègues du comité étaient locataires, par rapport aux propriétaires ou aux propriétaires-bailleurs. Environ un tiers des habitants du Vermont étaient locataires, mais aucun membre du comité n'était locataire. J'ai donc élargi mon enquête informelle à toute la Chambre, et autant que j'ai pu en déterminer, seul un membre sur 150 était locataire (non, ce n'était pas moi — ma femme et moi venions récemment d'acheter une maison). Il était évident que les intérêts des locataires étaient désavantagés dans la Chambre, et les lois qui en résultaient reflétaient ce fait. J'ai pensé que si la Chambre était réellement représentative de la population, c'est-à-dire qu'un tiers des législateurs avaient été locataires, la nature du débat, et peut-être le résultat, aurait pu être très différent. Bien que les recherches indiquent que la simple diversité d'opinions au sein d'un groupe ne signifie pas nécessairement un mélange de points de vue (la méthode de délibération est essentielle, comme discuté plus tard), on pourrait espérer que le débat aurait été plus robuste, avec des suppositions discutables réellement remises en question.
Après cette expérience, je commentais fréquemment que n'importe quels 150 habitants du Vermont tirés au hasard dans l'annuaire téléphonique seraient plus représentatifs que les membres élus de la Chambre. Bien que la transition des lignes fixes aux téléphones portables rende l'annuaire proverbial obsolète, un échantillon véritablement aléatoire serait plus représentatif en termes d'équilibre locataires/propriétaires, mais aussi à tous les autres égards, y compris le genre, la classe sociale, la race, l'âge et la philosophie politique.
Le conservateur intellectuel William F. Buckley, Jr. a exprimé un point similaire des décennies plus tôt, lorsqu'il a plaisanté en disant qu'il préférerait « vivre dans une société gouvernée par les deux mille premiers noms de l'annuaire téléphonique de Boston que dans une société gouvernée par les deux mille membres du corps professoral de l'Université Harvard. » Buckley cherchait probablement à ridiculiser l'élite professorale de Harvard, plutôt qu'à proposer sérieusement la « sortition ». Cependant, ce sentiment, selon lequel des citoyens ordinaires pourraient être meilleurs que des élites, est en réalité assez courant. Un sondage d'opinion publique réalisé par Rasmussen Reports en janvier 2010 a révélé que seulement trente-six pour cent des Américains pensaient que le Congrès faisait un meilleur travail qu'un groupe aléatoire d'Américains sélectionnés dans un annuaire téléphonique, tandis que quarante-cinq pour cent pensaient que l'échantillon aléatoire ferait un meilleur travail. En 2024, seulement vingt-sept pour cent pensaient que le Congrès faisait un meilleur travail, tandis que cinquante-quatre pour cent pensaient qu'un groupe aléatoire de citoyens ordinaires ferait mieux. Cette réponse pourrait simplement être une expression de mépris, comme dans « un singe pourrait faire un meilleur travail que le Congrès. » Mais lorsqu'on rend cette idée plus concrète, le soutien au concept de « sortition » augmente réellement. Le Center on Policy Attitudes, associé à l'École des Affaires Publiques de l'Université du Maryland, a mené une enquête en 1999 qui incluait la question plus détaillée suivante :
« Imaginez qu'un groupe de 500 citoyens américains soit sélectionné à travers tout le pays pour être représentatif de l'ensemble de la population des États-Unis. Ce groupe se réunirait ensuite et serait informé de tous les aspects du débat politique sur un certain nombre de questions de politique publique, et aurait l'occasion de discuter de ces questions. On leur demanderait ensuite de prendre des décisions sur ce qu'ils pensent être la meilleure approche pour ces questions. Pensez-vous que les décisions d'un tel groupe seraient probablement meilleures ou pires que celles prises par le Congrès ? »
66 % pensaient que le groupe représentatif ferait mieux que le Congrès, et seulement 15 % pensaient qu'il ferait pire. Un sondage publié par une organisation de défense de la « sortition », Of By For, a montré des résultats presque identiques en 2020. Une enquête menée en 2021 auprès de plus de 4 000 Américains par le Pew Research Center (bien que la formulation de la question ait été moins précise) a révélé des attitudes essentiellement similaires. Ma décennie d'expérience en tant que législateur au sein de l'État me convainc que cette évaluation populaire est correcte. Bien qu'il existe des législateurs individuels exceptionnels (bons ou mauvais), et que les législateurs élus soient probablement plus extravertis et égocentriques que le citoyen moyen, je n'ai vu aucune preuve qu'ils soient plus compétents, intelligents, compatissants ou capables qu'un groupe aléatoire. Cependant, comme je le démontrerai dans les chapitres suivants, les décideurs politiques élus ont des impératifs électoraux uniques et des biais psychologiques qui les rendent généralement moins compétents et capables que les citoyens ordinaires.
Après dix ans en tant que législateur, j'ai quitté mes fonctions et rejoint une organisation nationale de réforme électorale appelée FairVote : The Center for Voting and Democracy, en tant qu'analyste politique. Pendant la décennie suivante, j'ai principalement travaillé sur la représentation proportionnelle et un système de vote par classement connu sous le nom de vote instantané ou vote préférentiel. Bien que je sois toujours convaincu que ces réformes peuvent améliorer les élections américaines, j'ai conclu qu'elles ne s'attaquent pas aux problèmes fondamentaux.
L'utilisation révolutionnaire d'une loterie démocratique dans la province canadienne de Colombie-Britannique a éveillé mon intérêt pour ce modèle de démocratie fondamentalement différent. En 2004, 160 résidents sélectionnés aléatoirement (un homme et une femme de chacun des 79 districts législatifs de la province, plus un homme et une femme autochtones) ont été réunis en tant qu'« Assemblée des citoyens » avec un mandat du gouvernement provincial pour évaluer le système électoral et, si cela leur semblait judicieux, proposer un nouveau système pour la province. Pendant plusieurs mois, ils ont traversé une phase d'apprentissage, une phase d'audiences publiques et une phase de délibération pour produire une proposition finale de référendum. En tant qu'expert en réforme électorale, j'ai témoigné devant cette assemblée de citoyens. La qualité de leur travail était impressionnante et a démontré le potentiel de la « sortition ». Ce fut mon moment de révélation. J'ai réalisé avec stupéfaction que « c'est à cela que la démocratie devrait ressembler ! » Depuis lors, l'étude et la promotion des loteries démocratiques comme outil alternatif pour faire fonctionner une démocratie sont devenues le principal objectif de mon travail de réforme politique
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