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Billet de blog 10 janv. 2012

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Exploration collective de deux éditeurs du Maghreb 1/3

Dans le cadre d'une opération dédiée à deux éditeurs du Maghreb sur Libfly.com, vous pouvez recevoir jusqu'au 30 janvier deux livres des éditions Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie) contre chroniques de lecture. Les deux éditeurs seront présents à Lille pour une rencontre le lundi 13 février, retransmise dans son intégralité à partir du 15 février sur Libfly.

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Dans le cadre d'une opération dédiée à deux éditeurs du Maghreb sur Libfly.com, vous pouvez recevoir jusqu'au 30 janvier deux livres des éditions Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie) contre chroniques de lecture. Les deux éditeurs seront présents à Lille pour une rencontre le lundi 13 février, retransmise dans son intégralité à partir du 15 février sur Libfly.

A cette occasion, deux contributeurs de Libfly ont reçu et fait la chronique de deux livres : Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra, illustré par Rachid Koraïchi, coédition Barzakh / Actes Sud, et Tes Yeux bleus occupent mon esprit de Djilali Bencheikh, également auteur de Beyrouth Canicule, titre lui aussi diffusé aux lecteurs, aux éditions Elyzad. Les éditions Elyzad viennent d'ailleurs très récemment de recevoir le prix le Prix Alioune Diop 2011. Institué par l’Organisation internationale de la Francophonie, le prix Alioune Diop, du nom du pionnier de l’édition africaine et fondateur de la maison Présence africaine, « récompense un éditeur s’étant illustré dans la qualité de sa production ». Les éditions elyzad ont été honorées par le jury parmi une quinzaine de maisons d’édition venant de Côte d’Ivoire, du Niger, du Sénégal, du Togo et de Tunisie.

Cinq Fragments du désert - Rachid Boudjedra, illustré par Rachid Koraïchi - Barzakh / Actes Sud 2007

Vu par Darsan

En cette veille d’Epiphanie, jour des rois et manifestation de la lumière solaire symbolisée par la galette du même nom, je vous propose un peu de chaleur avec ces Cinq fragments du désert dans le cadre de l’opération Deux éditeurs se livrent spécial Maghreb, organisée par Libfly et les éditions Barzakh et Elyzad.
L’occasion de découvrir le premier de ces éditeurs, Barzakh, qui se présente lui-même ainsi : « Tout est parti d’une passion, celle des livres. Compagnons de longue date, ils peuplent notre espace et vivent en nous depuis toujours. Etudiants à l’étranger dans les années 90, nous lisions fiévreusement, inquiets pourtant de constater la quasi absence de publications littéraires en Algérie. Une fois revenus au pays, nous créons les éditions barzakh. C’était en 2000, le contexte, paradoxalement, s’y prêtait : foisonnement de création et de désirs après le désastre. »
Après des années de partenariat Barzakh et Actes Sud co-éditent en 2007 une édition augmentée, bilingue français-arabe, traduite par Hakim Miloud et illustrée par Rachid Koraïchi, des Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra. L’auteur, grande figure de la littérature algérienne, professeur de philosophie, poète, essayiste, romancier et enfin dramaturge, réalise ici un bel ouvrage, à la fois livre d’art, recueil de poésie et regard prosaïque sur une région pour l’indépendance de laquelle il a autrefois pris les armes.
Introduits par cinq citations de Saint John Perse extraits de L’Exil et de L’Anabase, ces Cinq Fragments se présentent comme un parcours initiatique des étendues désertiques. La nuit il n’y a pas de désert. Noir, vide, sable, forme, couleur mais aussi mouvements : ici le Sahara parle un langage que l’auteur essaie de déchiffrer à travers les éléments, le végétal et le minéral, les perceptions, les sensations, l’imaginaire aussi, dans lesquelles on se perd cependant. Le jour le Sahara est une confusion. Lumière, densité, présence, nuances et traces. Là où l’on croirait voir le désert c’est à soi-même que l’on fait face avant qu’il ne consente à se laisser découvrir. Le Sahara est un chant de nuit aussi. La recherche d’un sens peut-être. Entre vide et confusion, comment s’orienter, se repérer, trouver un chemin, enfin quand le nuit, de nouveau, efface ce qui semblait se livrer ? L’auteur fait ici appel aux « gens de la nuit désertique », à leurs oasis, à leur histoire, mais aussi aux animaux qu’ils côtoient, à l’immobilité de ceux-ci et à l’hospitalité de ceux-là pour se découvrir finalement comme « à l’intérieur de soi ». Le Sahara n’est pas un désert. Pour le réaliser il faut oublier ce que l’on sait, le silence et les mirages. Car Le Sahara est un leurre aussi.
Et de fait cet ouvrage est trompeur, ne serait-ce que par sa conception. Ainsi n'est-il pas constitué comme annoncé d'une, mais de deux fois 47 pages, la première en français, la seconde en arabe, qui commencent à l’opposée l’une de l’autre (qui se lit comme un manga, à l'envers et de la droite vers la gauche) et se font face à la manière d’un miroir (mises à part quelques modifications dans les illustrations ou l’ordre de celles-ci), pour se rejoindre en son centre.
Cet aspect particulier m’a rappelé le poème symphonique Dans les steppes de l’Asie centrale de Borodine, où j’avais étudié en classe comment les deux mouvements qui le constituent et représentant respectivement l’influence de l’orient et celle de l’occident se rejoignent dans un crescendo. Tant il est tentant de convoquer les souvenirs et références que nous évoquent le désert, du Petit Prince à Lawrence d’Arabie en passant par Poly en Tunisie, quand l’auteur appelle au contraire à parcourir ce livre pour ce qu’il est, un Tao du désert, qui dit et ne dit pas ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.
Et si, êtres de raison plus que de vie, nous venions malgré tout à déplorer que ce livre soit, à l’image du désert, trop mouvant pour pouvoir en retenir quelque chose, comme si les mots glissaient comme du sable entre nos doigts, sans doute pourrions-nous encore nous raccrocher à l’idée et à l’adage émis par Boris Vian et qui voudrait que « Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par la construction ».
Retrouvez Eric Darsan sur son blog

Tes Yeux bleus occupent mon esprit - Djilali Bencheikh - Editions Elyzad 2010 -

Vu par Cave

Il y a des livres qu'on a du mal à quitter : Tes yeux bleus occupent mon esprit en fait partie. Une couverture psychédélique et géniale, un titre magnifique et intriguant, une histoire aussi émouvante qu'instructive.
Salim Benouali, brillant élève algérien, raconte les sept ans et demi de conflit entre la France et sa patrie, l’Algérie, avec ses mots d'enfant, d'adolescent puis de jeune adulte, emplis de naïveté, d'idéalisme et de candeur. Il relate une période continuellement entrecoupée de temps scolaires (où lui et son frère-ennemi Elgoum se positionnent dans l'excellence, reconnus et estimés par leurs différents maîtres français) et de vacances au douar, synonymes de retrouvailles familiales et parfois de « stages coraniques ». Sept ans et demi où Salim s'émancipe affectivement, s'éveille au désir, à la lutte et à la pensée politiques, survit à des décès familiaux et amicaux douloureux et édifiants. À travers ses mots, on vit cette guerre sans nom, appelée jusqu'à tard, les « événements algériens » par les dignitaires français, trop soucieux de contenir la révolte locale et d'éviter la propagation aux états voisins. Véritable tranche de vie d'une génération dépassée par un conflit violent dont elle analyse difficilement les tenants et aboutissants (l'OAS, le FLN, les fellagas ou les Moudjahidines selon le clan où on se situe, les harkis, les militaires de tous bords), Tes yeux bleus occupent mon esprit nous présente des personnages généreux et sincères (en particulier le couple Vermeille, le maire Siegwald …), des ordures humaines (Madame Cavalier, Si Djelloul …), des anecdotes savoureuses liées à une sortie de conflit mal préparée (exemple : le changement de nom de la place Anatole France) loin de tout manichéisme. À l'instar du magnifique Des hommes de Laurent Mauvignier, Djilali Bencheikh amorce un début d'explication sur le traumatisme algérien à jamais inoubliable et toujours transmis, à travers les derniers mots magnifiques d'Elgoum (page 321) : « Nous pensions récolter la fierté et la liberté. Jamais l'honneur des Algériens n'aura été autant souillé que lors de cet été fratricide livré à la voracité de nos chefs. Sous la colonisation nous avons été martyrisés, torturés, insultés mais notre orgueil n'en a jamais pâti. Il n'a jamais été pris en défaut. Notre sacrifice individuel ou collectif construisait notre dignité. La honte que nous infligent nos faux frères sous les yeux du monde restera elle, indélébile ».

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