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Billet de blog 20 janvier 2012

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Exploration collective de deux éditeurs du Maghreb 2/3 – L’Exil

Dans le cadre d'une opération dédiée à deux éditeurs du Maghreb sur Libfly.com, vous pouvez recevoir jusqu'au 30 janvier deux livres des éditions Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie) contre chroniques de lecture. Les deux éditeurs seront présents à Lille pour une rencontre le lundi 13 février, retransmise dans son intégralité à partir du 15 février sur Libfly et animée par Christine Marcandier, critique littéraire sur Mediapart.À cette occasion, deux contributeurs de Libfly ont reçu et fait la chronique de deux livres : celle du très beau recueil Une Nation en exil, Hymnes gravés - poèmes de Mahmoud Darwich et calligraphies de Rachid Koraïchi, une coédition Barzakh / Actes Sud, et celle de Dedans, Dehors de Sophie Bessis, aux éditions Elyzad.

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Dans le cadre d'une opération dédiée à deux éditeurs du Maghreb sur Libfly.com, vous pouvez recevoir jusqu'au 30 janvier deux livres des éditions Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie) contre chroniques de lecture. Les deux éditeurs seront présents à Lille pour une rencontre le lundi 13 février, retransmise dans son intégralité à partir du 15 février sur Libfly et animée par Christine Marcandier, critique littéraire sur Mediapart.

À cette occasion, deux contributeurs de Libfly ont reçu et fait la chronique de deux livres : celle du très beau recueil Une Nation en exil, Hymnes gravés - poèmes de Mahmoud Darwich et calligraphies de Rachid Koraïchi, une coédition Barzakh / Actes Sud, et celle de Dedans, Dehors de Sophie Bessis, aux éditions Elyzad.

Une Nation en exil - Hymnes gravés – Mahmoud Darwich, Kamel Ibrahim, Rachid Koraïchi, Elias Sanbar, Hassan Massoudy, Abdellatif Laâbi, Abdelkebir Khatibi - Barzakh/ Actes Sud 2009
Par FélixG.

Soumettre la critique d’un tel ouvrage implique de soi-même une goutte d’immodestie, pour ne pas parler d’un torrent de suffisance. Car comment estimer à la lueur d’une lecture confortable la quantité d’amour, de souffrance,  de travail et d’érudition qu’embrasse si profondément l’œuvre déposée dans ce livre ?


    Pour les éventuels lecteurs qui se trouveraient ignorer le nom même de Mahmoud Darwich, ce livre se présente comme une formidable opportunité d’entrer dans l’œuvre du poète palestinien, avec un volume de textes traduits relativement restreint, et une approche visuelle particulièrement saisissante. Courez ! Ce livre n’est pas un simple recueil de poèmes, et même si ces derniers se trouvent être tout autant la source, le centre et la circonférence incertaine de l’ensemble qui nous est ici proposé, il s’agit évidemment de la présentation réunie en livre d’une écriture que l’on pourrait dire à cinq mains.


    C’est en 1981, alors que Darwich séjourne comme lui à Tunis, que l’artiste algérien Rachid Koraïchi propose à son ami palestinien de réinterpréter ses poèmes en peinture. Plutôt que de se contenter d’une tentative d’illustration immanquablement sinistre et stérile, il décide de s’attacher à “saisir esthétiquement l’émotion à la naissance du poème”. Ce commencement précieux, cette naissance subite, subtile et subie de la puissance de la parole, qu’aucune forme visuelle, pas même l’écriture, ne saurait réellement contenir, et dont Darwich était éminemment conscient, comme le rappelle Elias Sanbar en évoquant cette conviction absolue que ses poèmes contenaient déjà toutes les formes (...) et qu’il fallait dès lors qu’il les protège de toute intrusion extérieure. C’est que Mahmoud Darwich semble n’avoir jamais cessé, sa vie durant, d’aller puiser dans l’origine de ce commencement mystérieux du verbe les mots lui permettant de trouver au présent les raisons d’être tel. Autant vous le dire tout de suite, on n’entre pas dans l’œuvre de Darwich comme on entrerait au café ou à la bibliothèque. Non pas qu’il y ait là quelque solennité révérencieuse à observer (on ne se présente pas non plus au poème comme on se présente au culte), ni même de complexité supérieurement intransigeante, c’est simplement le poème qui, lui-même, se déplace. À nous. En nous, en nous l’autre. Privilège sucré des mémoires et du vent qui les porte.


Mahmoud Darwich est un poète palestinien. C’est précisément ce rapport au verbe, au nom, à la faculté de nommer et de dire la terre – sa terre, et cette nuit des temps de l’âme qui en compose les strophes – que se trouve être le cœur de l’ensemble. Ce livre s’intitule Une Nation En Exil. Quiconque ignorerait qu’il s’agit de la Palestine et de l’odeur des maisons brûlées se fourvoierait avec beaucoup d’innocence. Mahmoud Darwich fut un poète militant.
    Les œuvres qui jalonnent les pages de ce très beau livre sont le fruit du travail de plusieurs artistes. Le peintre et graveur Rachid Koraïchi et le calligraphe Hassan Massoudy, pour la partie proprement graphique de l’ouvrage, et les écrivains Abdelkebir Khatibi, Abdellatif Laâbi et Elias Sanbar pour les traductions et les textes. Un algérien, un irakien, deux marocains et deux palestiniens. Cinq mains donc, unies par une conscience de lutte et l’amplitude géographique de leur unité, qui tracent ensemble les contours d’une cartographie à la fois idéelle et réelle, cette “scénographie d’une civilisation” qu’évoque Khatibi dans le passionnant essai qui introduit, avec rigueur et méandres, la complexité sauvage de ce grand travail.
Plus qu’une collaboration heureuse d’artistes de talent, c’est d’abord d’allers et retours permanents, d’une proposition poétique à une autre, d’une frontière incertaine à une autre, que nous donne à expérimenter ce livre. La majeure partie des pages est d’ailleurs inaccessible au locuteur non arabophone. Soit qu’elles consistent en de sinueuses calligraphies rendant au poème sa langue maternelle, soit que l’auteur des gravures s’en remette au mystère que lui inspirent des idéogrammes japonais ou chinois réinventés dans un jeu de composition à la limite de l’écriture compulsive. C’est bien la vertu de ce superbe travail éditorial que de nous faire goûter la saveur de la confrontation avec l’inconnu, ce qu’elle implique d’humilité, de curiosité, de silence. Altération du signifiant, altérité de l’ailleurs en nous-mêmes projeté. Cet exil au cœur, au corps, à la lettre.
Par l’enchevêtrement des regards et des gestes qui composent cet ouvrage réunissant pour la première fois ces travaux, par la permanence de l’échange au cœur de la démarche, par l’obstination de l’imaginaire, l’abstraction du réel (et inversement), c’est en somme d’espoir et de beauté dont il est question par et au-delà des frontières. Espoir dont ce livre est la preuve, au carrefour des visages, des cultures, des histoires et des expériences que sont la Palestine, la poésie, la douleur et l’émerveillement.
Courez !

Dedans, Dehors – Sophie Bessis – Elyzad 2010
Par Chalu


Sophie Bessis livre ici ce qui semble être une échappée dans sa production plutôt scientifique (elle est historienne), notamment sur le sujet de la condition des femmes au Maghreb. Dedans dehors est un petit récit très intimiste et poétique sur son parcours de tunisienne ponctué de navettes régulières entre Paris et Tunis, parcours de militante également, qui constate les séparations idéologiques de ses amis, les frondes, les victoires et les obstacles au changement, qui parcourt l'Afrique pour recueillir des témoignages : L'année dernière, j'ai écrit encore un livre sur tout ça. Est-ce que ça sert les livres ? Il faut bien faire quelque chose. Alors je ramasse les mots et je les mets dans des livres. Au moins, ils ne se perdent pas. Elle traverse les dernières décennies avec un regard empli d'affection pour son pays, construisant une identité de poupée russe, juive, arabe, tunisienne, française, femme... La langue est naïve, un flot continu, simple, limpide, doux, image de la vie à l'époque où Nul minaret mégalomane ne cassait encore la ligne de rencontre entre le ciel et la colline ? Malgré la violence politique persistante, les amis qui disparaissent sans avoir éprouvé les libertés pour lesquelles ils se battaient : la langue se fait mémoire, coulant lentement, comme le temps d'un thé sur une terrasse au soleil couchant.
C'est ainsi que vont les choses aux pays des Zaïms. On y chasse les morts. Il y en a qui les ramassent. Ils disent on ne sait jamais, un jour, ils peuvent servir. N. disait on aura des enfants nous les rêveurs, les mélangés. Les mots sont nos enfants. Je regarde la photo. On sourit. Je me dis où sont les demain d'hier ? Vingt ans déjà entre hier et aujourd'hui. Je mets sur la phono la chanson des femmes du pays du milieu. Les chants aussi sont nos enfants.
Merci à Libfly de me permettre de saisir, à chaque livre lu de l'opération Deux éditeurs se livrent dédiée au Maghreb, l'immense diversité des productions tunisienne et algérienne, et l'empreinte, que je pressens très forte, du ici et là-bas, de la patrie et de l'exil, du dedans et du dehors, de la face et du dos, (l'Envers d’Adimi dans L’Envers des autres et d’Hélène Cixous dans Derrida à Alger), bref, d'identités complexes, mouvantes et paradoxalement "assises" dans cet entre-deux perpétuel, assumé voire revendiqué comme condition sine qua non de liberté et d'être au monde.
À relire sur Mediapart : Sophie Bessis, vigie de la révolution tunisienne, d’Antoine Perraud

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