Roger Évano
Questions contemporaines
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L'islamisme crée un climat de peur dans le pays, le déstabilise, s'attaque aux principes de la démocratie. Les attentats de janvier et novembre 2015 font partie de cette stratégie. Moins spectaculaires, mais pas les moins dangereuses, sont les attaques contre les libertés de conscience, la laïcité, l'égalité des hommes et des femmes, fondements de la vie commune. Face à cet habillage religieux d'un projet totalitaire, nous devons rendre à la politique tout son espace, en refusant d'assimiler les fanatiques à des opprimés, et les opprimés à des fanatiques. Gagner cette guerre des idées c'est éviter la guerre par les armes dans laquelle on voudrait nous entraîner.
Chapitre 8
Quelles ripostes ?
J'ai avancé tout au long de ce livre des idées pour répondre aux défis de l'islamisme. Il ne s'agit ni d'un programme politique ni d'un catalogue de propositions. Essayons cependant d'esquisser la philosophie d'une riposte au défi islamisme.
Nous devons tout d'abord éviter les erreurs commises précédemment. La situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement est le résultat d'une entreprise de conquête et de déstabilisation qui a pu se développer sur un terrain fertile. L'intervention américaine en Irak, puis celle menée en Libye, en collaboration avec la France et le Royaume Uni, ont provoqué un chaos du quel ont surgi une multitude de pouvoirs locaux qui se liguèrent dans une nébuleuse islamique. Sans forces politiques démocratiques pour restructurer la pays après l'intervention, celui-ci se réveille délivré de son dictateur mais aux prises avec une multitude de pouvoirs ennemis qui mettent le pays à feu et à sang. Le sud de la Libye est le lieu où se forme actuellement une puissante armée islamiste capable de déstabiliser toute l'Afrique centrale et le Maghreb.
Ces fiascos, à l'origine des organisations terroristes, découlent pour la plupart, de la riposte principalement militaire opposée aux dictatures irakienne et libyenne.
La force fait partie des moyens de riposte contre les armées djihadistes,mais elle ne résout rien si elle n'intègre pas une connaissance en profondeur du pays, de son histoire, de ses forces religieuses et politiques et si elle aboutit à maintenir le pays sous un régime détestable ou à remplacer une oppression par une autre. L'intervention armée doit s'accompagner d'un intense travail diplomatique, de pressions économiques, d'un travail de renseignement, de collecte d'information sur les forces en présence, et de soutien aux oppositions démocratiques du pays.
L'assèchement des sources de revenus de l 'État Islamique limiterait ses possibilités de s'approvisionner en armes et de financer les mercenaires. Arrêter le trafic du pétrole et des antiquités avec la Turquie, paralyser l'activité de ses banques par un boycott international, de telles mesures permettraient de limiter ses capacités militaires sur le terrain et d'organisation d'attentats à l'étranger,ainsi que son intense propagande.
Dominique de Villepin, fidèle à la conception qui lui avait fait s'opposer à la guerre des États-Unis en Irak, développe son analyse dans un article de Libération du 26 novembre 2015 : "Répondre à l'attaque par la guerre, c'est éteindre un incendie au lance-flammes. Après Vingt ans d'échec des opérations de paix des Nations Unies, après dix ans d'interventions militaires occidentales désastreuses, la clé, c'est d'inventer une nouvelle forme d'intervention de paix, articulant d'une façon inédite outils militaires et instruments diplomatiques, au service d'objectifs précis avec des moyens de coordination efficaces."
Le combat idéologique demande d'effectuer la séparation entre ce qui relève de la politique, c'est-à dire de l'organisation de la vie commune, et de la vie spirituelle qui relève de la vie privée. La laïcité qui permet à tout à chacun de pratiquer la religion de son choix, d'en changer ou de n'en pratiquer aucune est un principe fondamental qui régit notre vie commune. Le discours religieux quand il veut imposer ses choix doit être délégitimé.
Un rappel solennel des principes de la République effectué par :e Président lors d'une cérémonie particulière devrait dire les droits et les devoirs de toutes religion. Il devrait en particulier insister sur le principe d'égalité de tous devant la loi, mettre fin aux pratiques discriminatoires de la police et de la justice. Dans le même temps, indiquer que l'islam, comme les autres religions, doit se transformer pour s'adapter au siècle et à la France. Le droit à l'apostasie, le droit au blasphème, l'égalité des hommes et des femmes, la liberté de conscience, sont des droits imprescriptibles du citoyen français. La laïcité un principe de base de la République inscrit dans l'article 1 de la constitution.
Le développement du terrorisme implique aujourd'hui des mesures policières particulières. Le danger serait de rentrer dans une spirale de violence et d'exacerber les oppositions religieuses ou ethniques, dans lesquelles les terroristes trouvent un terrain favorable à leur recrutement. La fermeté doit être adaptée à la mesure des attaques et garder l'équilibre entre la répression nécessaire et les libertés publiques. Aussi un travail de renseignements doit permettre le démantèlement des groupes terroristes sans déraper vers les arrestations ou emprisonnements à l'aveugle, dont les effets seraient désastreux.
Les pratiques clientélistes, pour obtenir les suffrages électoraux ou la paix sociale, financent de véritables gangs et fermer les yeux sur leurs trafics. La politique de la Ville doit se préoccuper de mixité sociale.
Il revient à l’État et aux collectivités locales de veiller, y compris avec des mesures draconiennes, à la construction de logements sociaux répartis sur tout le territoire et attribués de manière à privilégier le mélange des populations diverses par leur origine, leur religion, leurs revenus, pur éviter l'installation de ghettos religieux, ethniques ou sociaux. Les associations culturelles, sportives, sociales, politiques qui facilitent ce brassage doivent être encouragées. Une organisation de femmes, Françaises originaires du Maghreb, dans la banlieue de Montpellier, réclamait, avec humour, le droit de vivre en France et non dans les quartiers religieux ou ethniques...
L'école publique a un rôle particulier dans une politique de lutte contre le terrorisme. Elle doit être ferme sur la laïcité, tolérante pour les ajustements religieux (menu végétarien comme alternative pour tous), intraitable sur le racisme, impartiale dans la transmission de l'histoire ou des connaissances scientifiques, pour que chaque élève apprenne les savoirs indispensables à une compréhension du monde et surtout apprenne à raisonner. Il est inadmissible que des enfants ne pissent fréquenter normalement les établissements publics, victimes de harcèlement et d'intimidation à cause de leur religion.
L'Université doit rester attentive à l'évolution du monde, au renouvellement des savoirs, au développement d'une pensée critique. Le monde arabo-musulman est devenu un parent pauvre d'une recherche tournée vers la rentabilité immédiate. La méconnaissance de son histoire a été cruellement mise en évidence lorsque le Président de la République, Nicolas Sarkozy, fut incapable de dire quelles étaient les différences entre les Sunnites https://fr.wikipedia.org/wiki/Sunnisme et les Chiites https://fr.wikipedia.org/wiki/Chiisme.
Comment diriger une politique étrangère au Moyen Orient en l'absence de ces connaissances élémentaires ?
A long terme, seuls l’enseignement, l'éducation, la culture peuvent permettre de constituer un corpus de valeurs communes dont l'égalité et la liberté de tous soient le centre de gravité. Il ne faudrait pas que la riposte au terrorisme ajoute la guerre à la guerre, et que, loin de l'affaiblir, elle contribue à développer les conditions dans lesquelles il prospère.
Les lieux de culte ne doivent pas être des lieux de propagande contre les lois de la République ni des endroits de recrutement des jeunes pour mener la guerre à L’État Islamique.
Il est essentiel de multiplier les espaces médiatiques où soient démontés les replis identitaires, les visions dogmatiques qui aboutissent à développer des haines.
Le gouvernement issu du parti socialiste a ouvertement bafoué les programmes pour lesquels les électeurs l'avaient porté au pouvoir. Il n'a rien fait de significatif pour manifester l'égalité de tous les citoyens. Sa politique sociale n' pas combattu les inégalités sociales, ni diminué la précarité, ni offert des perspectives d’intégration.
Il est essentiel d'inventer de nouvelles formes de politisation démocratique. L'expérience de l'Espagne après les attentats du 11 mars 2004 est très éclairante sur les enjeux de la période actuelle. (cf l'article de Amador Fernandez-Savater, "Pourquoi le 11 mars 2004 en Espagne n'est pas devenu le 11 septembre ?"( Mediapart, 4 décembre 2015 http://blogs.medipart.fr/les-o,votes-de-mediapart/blog/031215/poourquoi-le-11-mars-2004-en-espagne-n-est-pas-devenu-un-autre-11-septembre). Ce jour-là, des bombes ont explosé dans les gares d'Attocha, d'El Pozo, de Santa Eugenia et de Téllez, faisant 191 morts et 1400 blessés.
Ces attentas, commis par des islamistes marocains, furent revendiqués par Al Qaida. Les citoyens n'ont pas laissé s'imposer la peur, le racisme, la logique sécuritaire. Loin de laisser façonner leur opinion par la parole officielle, loin de se laisser envahir par al colère et leur chagrin ils prirent massivement la parole pour exprimer le deuil et, en même temps, discuter de ce qui s'est passé. Ils créèrent librement, spontanément, des espaces ouverts d'échanges sans filtres politiques ni médiatiques. De nouvelles formes de politisation sont apparues. Ils cessèrent de se soumettre au consensus, au conformisme hétérogène du prêt à penser, qui étouffe l'imagination politique. Ils refusèrent l'alternative des guerres identitaires, des guerres de religion. Ils prirent conscience qu'ils leur appartenait d'élaborer les conditions d'un monde démocratique, librement et avec les autres. C'est là qu'est né le processus qui amené au mouvement des indignés, à Podemos et à la recomposition du paysage politique en Espagne.
C'est la diversité des histoires et des cultures des populations, non leur similitude, qui permet, dans l'espace public, le tissage de liens multiples. L'expression de cette diversité contribue à enrichir la palette des choix individuels et collectifs, tant qu'ils sont en simple concurrence entre eux. Mais la limite, c'est quand ils entrent en contradiction avec les orientations fondamentales de la société. Manger halal, casher ou vietnamien, ces options sont compatibles avec les autres façons de se nourrir en France. Mais exciser les femmes, pratiquer le pariage forcé, réduire quelqu'un en esclavage ou prôner l'établissement d'une dictature religieuse est incompatible avec les valeurs que nous nous sommes données au cours de luttes historiques.