Billet de blog 22 août 2014

Vivre est un village (avatar)

Vivre est un village

Consultant en système d'information honoraire

Abonné·e de Mediapart

Cher Edgar Morin,

Vivre est un village (avatar)

Vivre est un village

Consultant en système d'information honoraire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

TEXTE DE BOUDINOVITCH

Cher Edgar Morin,

21 août 2014 |  Par boudinovitch

 Si je prends la liberté de m’adresser à toi, ce n’est pas en supposant que tu te souviennes de la préparation des « Rencontres Chercheurs et Citoyens » au Futuroscope de Poitiers dans le cadre de laquelle j’ai eu le privilège de travailler quelque temps sous ta direction, c’est plutôt parce que tu es, cher vieux, le doyen des intellectuels français, à quelque chose près.

Il me semble que les intellectuels français ne savent pas qu’ils comptent, dans ce pays. Ils comptent pour rien en Grande Bretagne, en Allemagne, aux Etats Unis. Ils comptent, en France. Cela leur confère une responsabilité.

Aujourd’hui, le cours de l’histoire nous entraine vers le bas, à tout point de vue, social et démocratique. Pour moi (c’est peut-être une vue trop sombre) nous nous dirigeons vers le cauchemar imaginé par George Orwell : la dictature de Big Brother.

En tous cas, pour prendre une représentation plus simple et plus prosaïque, compte tenu du quinquennat de notre président « normal », nous nous dirigeons vers un second tour en 2017 opposant Alain Juppé et Marine Le Pen. Le premier ne pourra, s’il est élu, qu’aller plus loin que François Hollande : détruire le code du travail, supprimer le SMIC, revenir aux 40 heures, baisser les salaires et les retraites, revenir à trois ou quatre semaines de congés payés … tout cela pour « Améliorer la compétitivité, rétablir les marges des entreprises et réduire la dette ». Tu auras remarqué que ce programme, que je prête à Juppé, c’est l’ancien programme du FN, très exactement, à quoi Jean-Marie Le Pen ajoutait simplement l’expulsion des immigrés et la révision d’un certain nombre d’accessions à la nationalité française !

Ce que ferait Marine le Pen si elle gagnait le second tour en 2017 (et si la vague de ralliement d’une partie de la droite et du centre lui donnait une majorité à l’Assemblée Nationale), c’est difficile à prévoir. Officiellement, le nouveau programme du FN est anti-européen et « social », avec comme seule limite les privilèges des riches, auxquels il n’est pas question de toucher par des impôts, des confiscations ou des nationalisations. De vieux routiers comme nous savent que le FN au pouvoir avec la droite mettra en œuvre l’ancien programme du FN, c’est à dire le programme de la droite classique, avec probablement un peu de chasse aux sorcières, une lutte accrue contre le "terrorisme", une couleur à la Viktor Orban…

J’ajoute qu’aussi bien le programme d’un Président Juppé que celui d’une Présidente Le Pen ne produira aucun recul de la misère, aucun redémarrage de la croissance, aucune véritable sortie de « crise ». Ensuite, nous descendrons encore plus bas.

Mais, cher Edgar, tu te demandes pourquoi je m’adresse à toi pour te dire des choses que tu sais parfaitement ? C’est parce que j’aimerais que tu te charges d’une tâche dont j’admet le caractère herculéen : convaincre les intellectuels critiques de ce pays de définir ensemble, et avec la vraie gauche politique, une alternative au dilemme Juppé Le Pen.

Je pense à des gens comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Paul Jorion, Alain Badiou, Frédéric Lordon, et quelques autres. Du côté politique, je pense à Jean-Luc Mélenchon, au motif qu'il n'y a personne d'autre, dans le bon gabarit. Quelques-uns d’entre eux se sont adressés à François Hollande, dans l’espoir de le diriger vers des politiques moins absurdes. Pourtant, il suffisait de regarder un Aquino Morelle pour saisir qu’aucun n’a le bon profil pour conseiller notre président… Les meilleurs de leurs arguments sont balayés par une menace fabiusienne : si la France modifie son cap, elle sera sanctionnée par la finance internationale (elle n’empruntera plus à des taux d’intérêts modérés). Ce que notre président traduit par « il ne faut pas avancer à la godille et en zigzags » (ignorant sans doute que ça n’a rien à voir : on avance tout droit, à la godille).

L’objectif d’une vraie gauche ce serait de partager le travail et les ressources. L’objectif d’un gouvernement populaire, ce serait d’aller dans cette direction, par un choix de mesures nationales et de partenariats internationaux. Les meilleurs intellectuels progressistes de ce pays sont capables, s’ils le veulent, en dépit de leurs différences de point de vue (et de la tyrannie de leurs egos) de définir avec le politique (Mélenchon) une dizaine de mesures à effet immédiat ou à moyen terme formant un manifeste mobilisateur capable de stopper le progrès du discours du Front National. Certes faire naitre ce manifeste sera l'objet d'un dur travail, le treizième des travaux d'Hercule.

Pourquoi en sont-ils capables ? Parce qu’ils sont intelligents. C’est l’intelligence qui, ici, permet l’unité, permet de voir comment des formulations différentes, des rythmes différents, des priorités différentes peuvent être ré agencées de manière compatible. Enfin, pourquoi faut-il que ce manifeste soit défini avec un homme politique et lancé avec ceux qui soutiennent son action ? Parce que c’est seulement ce défi, psychologiquement difficile tant pour les intellectuels que pour le politique, les premiers jugeant réducteur l’engagement politique caractérisé, le second trouvant impertinente l’intrusion de non professionnels, c’est seulement cet improbable rapprochement qui fera voler en éclat tous les barrages et mépris médiatiques, et suscitera un choc dans l’opinion.

Créons une Unité Populaire contre les impasses libérales et les mensonges de l’extrême droite !

Edgar, à toi de jouer ! Nous sommes nombreux à te soutenir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.