Une refondation scientifique du discours politique
En résumé, l’air du temps, relativiste quant aux valeurs et rationaliste quant aux instruments, prétend que les préférences idéologiques indémontrables ne sauraient fonder les mesures politiques concrètes, tandis que celles-ci pourraient être déterminées objectivement sans a priori idéologique (1).
Je soutiens exactement l’inverse: la plupart des choix politiques sont, au moins implicitement, fondés sur des a priori idéologiques ; ce sont donc ces derniers qu’il convient et qu’il est possible de soumettre à un examen scientifique. C’est là un trait majeur de ce que l'on pourrait appeler une "nouvelle modernité socialiste" ou encore un « socialisme néomoderne »: un socialisme qui ne se borne pas à réactiver l’idéal de justice des pionniers, qui ne se limite pas davantage à la seule science marxiste de l’histoire, et qui entend s’appuyer sur une anthropologie générale, i.e. l’état réel des connaissances sur l’être humain (2).
Cette refondation anthropologique ne dissout pas pour autant le double héritage de la morale et de la science socialistes du XIXe siècle. Nous verrons que, d'une certaine manière, elle réunit ces deux traditions en opérant la synthèse véritable de leurs intuitions. L'Idéal humaniste de Jaurès ou de Malon et le matérialisme historique de Marx ou d'Engels sont insuffisants si on les oppose. Ils ouvrent au contraire un nouvel horizon quand on soumet l'humanisme du premier à l'ambition scientifique de second, quand on élargit la science de second grâce à l'état contemporain des savoirs sur le fonctionnement des êtres humains. le socialisme néomoderne est le discours politique fondé sur une science de la nature humaine (3).
Refonder le discours politique sur la raison et la connaissance tout en préservant la liberté d’en débattre et la liberté d’adhérer ou non à ce discours: rien n’est plus moderne, au sens historique et philosophique du terme. Mais, alors, pourquoi ai-je qualifié le socialisme scientifique et démocratique proposé dans ce livre de «néomoderne» ? En premier lieu, même si au fond cela reste accessoire, il vaut mieux éviter la confusion avec les multiples et éphémères discours de campagne qui entendent par « moderne » un cocktail variable d’inconsistance idéologique, d’imitation de la droite et de lieux communs à la mode. Cette pensée moderne-là passe seulement une brosse à reluire sur des idées assez légères pour suivre l’air du temps. On comprendra donc mon souci d’éviter une proximité, même purement sémantique, avec le florilège des socialismes « modernes ». Toutefois, là n’est pas ma préoccupation essentielle. L’essentiel est qu'une anthropologie rigoureuse montre à l'évidence que la modernité, c’est dépassé! Ou, plus exactement, à dépasser.
(1) C'est en ce sens qu'il faut entendre la célèbre phrase prononcée par Tony Blair devant les députés français : "les politiques ne sont pas de droite ou de gauche, il y a les politiques qui marchent et celles qui ne marchent pas."
(2) CI-après, par "anthropologie générale" ou par "science de l'homme", je désigne l'ensemble des disciplines pourvoyeuses d'informations sur la constitution, le fonctionnement, le développement personnel et collectif des êtres humains. Cela inclut notamment la paléoanthropologie, l'éthologie, la psychiatrie, la psychanalyse, la neurobiologie, la psychologie, la sociologie, l'économie, l'histoire, l'archéologie, l'ethnologie, etc.
(3) Je préciserai au chapitre 3 en quel sens précis je prendrai l'expression controversée "nature humaine". Soulignons ici que je ne prétends pas épuiser le débat sur la nature humaine par une science. Il s'agit seulement de fonder le discours politique sur ce que nous pouvons considérer comme établi par l 'état actuel de nos connaissances.
Source :Jacques Généreux "L'autre société" pages 21-22