Cette science de l'homme nous enseigne, entre autres choses, que toute personne et toute liberté singulières se construisent dans la relation te la communication avec les autres. Il n'existe rien de tel que les individus indépendants qui construiraient une société ; il n'existe que des êtres huminas cibstruits dans des raltions sociales. J'ai appelé "socialisme méthodologique" (1) la méthode d'analyse des comportements humains et des faits sociaux qui repose sur cette conception sociale de l'être humian. Je prétends établir ici un socialisme qui ne repose pas sur des préférences idéologiques a priori (pour l'égalité, la justice, la solidarité, etc.), mais sur une réalité anthropologique qui fonde rigoureusement ces préférences. Cette réalité anthropologique disqualifie les deux autres principales grilles de lecture que sont le holisme et l'individualisme méthodologique, c'est à dire, pour faire simple, d'une part, les discours qui expliquent tout par les déterminismes sociaux en négligeant la liberté et la responsabilité des acteurs ; d'autre part, les discours qui expliquent tout à partir des initiatives et des choix individuels en oubliant l'encastrement de ces derniers dans les relations sociales.
La science de l'homme nous met aussi sur la voie d'un nouveau matérialisme historique. D'une part, les conditions matérielles de production et d’existence ne sont pas des infrastructures déterminant des superstructures idéologiques (idées, croyance, conventions sociales, culture, etc.) ; en réalité, toutes les activités intellectuelles, morales et symboliques des êtres humains sont aussi matérielles et aussi déterminantes que les autres formes matérielles de l'existence. D'autre part, l'histoire réelle de l'humanité n'est pas d'abord celle des rapports de force économiques entre classes antagonistes. La construction biologique et la psychologie des humains se sont forgées (des millions d'années durant) et se sont stabilisées dans le cadre de petites communautés de chasseurs-cueilleurs. Dans ce cadre, l'humanité n'a connu ni le mobile du gain personnel ni le souci premier de la production. La préoccupation matérielle centrale des humains fut de maintenir la cohésion du groupe dont dépendait la survie de chacun. La religion fut l'instrument de l'alliance indéfectible, et l'alliance religieuse entre les groupes humains fut à l'origine de la formation des grandes sociétés traditionnelles voici seulement quelques milliers d'années. les antagonismes d'intérêts économiques ne devinrent un facteur déterminant (parmi d'autres) que progressivement et au sein des grandes sociétés agricoles puis industrielles : ils sont certes incontournables dans l'analyse d'une société capitaliste moderne, mais ils ne sont qu'un très bref avatar de l'histoire de l'humanité, un moteur auxiliaire de l'histoire. Pour le dire très vite, le matérialisme historique du socialisme néo-moderne doit mettre au jour un moteur principal de l'action humaine, une dialectique du développement des sociétés qui est propre à la nature de l'être humain et non au contexte systémique d'une époque particulière.
(1) Cf. La dissociété, op.cit., chap.4.
Source : Jacques Généreux "L'autre société" pages 23-24