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Billet de blog 18 août 2021

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Journaliste à Paris. Rédacteur en chef de Témoignage ACO et de Chantiers

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Nous sommes tous des Afghans face aux Talibans

Les propos du Président Macron lors de son discours lundi soir ont choqué toutes les personnes qui défendent les Droits de l’Homme en général et ceux des femmes en particulier. L’accueil des réfugié-es d’Afghanistan, confronté-es au retour du cauchemar taliban, est un devoir pour notre pays.

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Illustration 1
Couverture du livre témoignage de Malala © Editions du Livre de Poche

Joseph Kessel et Christophe de Ponfilly, chacun à leur manière, ont magnifié l’Afghanistan. L’un à travers son chef d’œuvre romanesque, Les cavaliers. L’autre avec son portait saisissant du commandant Massoud. La France a été émue par le courage de Malala, cette jeune fille défigurée suite à un attentat perpétré par les Talibans, alors qu’elle voulait simplement exercer son droit à l’éducation, et distinguée par le prix Nobel de la Paix 2014. Des dizaines de soldats français ont trouvé la mort sur cette terre d’Afghanistan et notre pays a déjà accueilli par le passé des réfugiés venus de ce grand pays d’Orient. Alors, faut-il aujourd’hui redouter, comme semble l’exprimer le Président Macron dans son allocution de lundi soir, des « flux migratoires irréguliers » en provenance d’Afghanistan ? La question a de quoi bousculer nos consciences.

Illustration 2
Couverture du roman de Joseph Kessel Les cavaliers © Editions Folio

Lorsque les Républicains espagnols ont franchi les Pyrénées par dizaines de milliers après la victoire de Franco en Espagne, ils ont souvent rencontré la même suspicion de la part du gouvernement français de l’époque. Et pourtant, la population espagnole exilée a trouvé sa place au fil des années dans notre pays, contribuant, comme beaucoup d’autres peuples migrants, à la lutte contre le nazisme, puis à la prospérité économique des Trente Glorieuses. Les Afghanes et les Afghans qui tentent aujourd’hui d’échapper aux Talibans ont défendu courageusement des valeurs auxquelles nous sommes nombreux à croire en France aujourd’hui. Ils et elles ne méritent pas un tel mépris alors même que la mort, la torture ou la prison les attendent peut-être dans un délai rapide. La conférence de presse « rassurante » du porte-parole des Talibans me faisait tout à fait songer à la scène du Livre de la Jungle de Kipling, où le python Kaa répète au peuple des singes « Ayez confiance », avant de les exterminer …

Illustration 3
Couverture du livre Massoud l'Afghan de Christophe de Ponfilly

Nous sommes tous des Afghans face aux Talibans. Un jour prochain, nous serons peut-être amenés nous aussi à fuir notre pays si l’extrême droite ou toute autre forme de fanatisme venait à s’emparer du pouvoir. En attendant, nous avons la chance de vivre dans un pays où, certes, la démocratie est malade, mais où l’on ne voit pas des personnes s’accrocher à des avions en train de décoller pour fuir vers un pays d’accueil lointain … La France a le devoir et les moyens d’accueillir dignement les naufragé-es de Kaboul comme elle a su le faire dans les années 70 avec les Boat People. Si nous sommes incapables d’accueillir et de protéger des personnes qui partagent nos valeurs et notre soif de liberté, alors cessons de prétendre encore être la nation des Droits de l’Homme. Et tremblons qu’un jour l’Histoire se charge de nous rappeler que nous avons manqué de fraternité quand nous étions encore capables de l’exercer …

Jean-François Courtille

Document joint : déclaration de plusieurs collectifs et associations après le discours du Président Emmanuel Macron

Nous exigeons l’ouverture de voies légales et effectives d’accès à la France pour la protection des Afghanes et Afghans victimes de persécutions

Les propos d’Emmanuel Macron appelant à « anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants » après la chute de Kaboul entre les mains des Talibans sont indignes de la tradition française de l’accueil et de l’asile.

Indigne comme l’abandon des Afghanes et Afghans qui ont servi comme personnel civil de l’armée française de 2001 à 2014, accueillis au compte-gouttes par la France malgré les déclarations et promesses de François Hollande et d’Emmanuel Macron et à qui la France refusait encore il y a quelques semaines la délivrance de visas malgré leurs cris d’alerte. Indigne comme les atermoiements pendant des années pour accorder des visas aux milliers de membres de familles des Afghanes et Afghans à qui la France a accordé la protection. Indigne comme le harcèlement par la police dont sont victimes les exilé·es afghan·es dans les rues de nos villes. Indigne comme les campements de la honte régulièrement détruits par les forces de l’ordre. Indigne comme les renvois forcés de plus de 6 000 Afghans par la France entre 2004 et 2020.

Angela Merkel a annoncé le rapatriement de 10 000 Afghanes et Afghans, ne se limitant pas au personnel ayant travaillé pour les autorités allemandes en Afghanistan. Le Royaume-Uni a annoncé qu’il n’exigerait pas de passeport pour permettre aux demandeurs d’asile afghans de rejoindre le sol britannique. Deux avions militaires sont la seule mesure annoncée par la France. L’insuffisance des moyens que le gouvernement français entend déployer est insupportable, tout comme l’annonce de la fermeture des frontières européennes aux exilé·es afghan·es et la sous-traitance de l’asile aux pays limitrophes.

Nous, juristes, défenseurs des droits fondamentaux et des libertés, membres de la société civile, rappelons l’obligation du respect absolu et inconditionnel de la Convention de Genève sur l’asile et des textes de l’Union européenne de protection des populations persécutées. Le personnel civil ayant travaillé pour les autorités françaises et les magistrat·es et avocat·es afghan·es ne sont pas les seul·es que le France doit rapatrier. Contrairement à ce qui a été jugé il y a quelques mois par la Cour nationale du droit d’asile, il y a pour chaque Afghan ou Afghane un risque réel de menace grave contre sa vie et sa personne : il est impératif et urgent de renoncer aux décisions indignes aboutissant à l’expulsion de milliers d’Afghans.

Nous exigeons l’ouverture de voies légales afin que tou·tes les Afghanes et Afghans persécuté·es qui le sollicitent, ainsi que les familles de ceux qui sont déjà bénéficiaires de la protection internationale accordée par la France, puissent rejoindre rapidement le sol français directement depuis Kaboul. Nous exigeons l’arrêt des procédures issues du règlement Dublin, le retrait de toute mesure d’éloignement à l’encontre de demandeurs d’asile afghans et l’accord accéléré de la protection qu’ils doivent recevoir en France afin de leur permettre d’accéder à l’emploi et à un hébergement dignes. Le gouvernement d’Emmanuel Macron doit cesser de s’engager dans des politiques et discours empruntés à l’extrême droite. Sixième puissance économique mondiale, la France a les moyens d’accueillir les exilé·es d’Afghanistan. Surtout, nous en avons le devoir historique !

Paris, le 17 août 2021

Organisations signataires :

  • ADDE (Avocats pour la défense des étrangers)
  • la Cimade
  • Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrées)
  • LDH (Ligue des droits de l’Homme)
  • SaF (Syndicat des avocats de France)
  • Syndicat de la Magistrature

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