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Billet de blog 22 juin 2020

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Journaliste à Paris. Rédacteur en chef de Témoignage ACO et de Chantiers

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La forêt pyrénéenne est-elle menacée de mort?

Le projet Florian de scierie industrielle à Lannemezan présente de nombreuses menaces contre l’environnement, la biodiversité et l’écosystème d’entreprises local. C’est la conviction du Collectif Touche pas à ma forêt. Rencontre avec trois des collectifs qui se mobilisent pour préserver la forêt du massif pyrénéen.

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Dominique Dall’Armi, Pascal Lachaud et Jacques Buret, pouvez d’abord nous préciser en quoi consiste le projet du groupe industriel Florian ?

Dominique Dall’Armi du collectif SOS Forêt Pyrénées (2) : il s’agit de la création d’une grosse structure industrielle à Lannemezan gérée par le groupe italien Florian. Pour construire son activité, il a pour objectif de scier 50 000 m3 de grumes de hêtres de bonne qualité. Cela représente entre 200 000 et 250 000 m3 d’arbres, soit l’équivalent de la surface de 1200 stades de football. Sur le principe, nous sommes favorables à une dynamique de transformation du bois des Pyrénées. Là où nous ne sommes plus d’accord, c’est en ce qui concerne le volume de bois dont il est question pour cette activité industrielle. Cela représente deux à trois plus que ce qui se pratique déjà. Or, nous estimons que la hêtraie des Pyrénées n’est pas en capacité de supporter un prélèvement supplémentaire de cette importance. Une telle surexploitation forestière se traduirait d’abord par une dégradation de l’écologie de ce peuplement. Elle impacterait aussi le tissu industriel local puisqu’il reste encore quelques scieries dans ce secteur des Pyrénées. Nous souhaitons être force de proposition. Nous estimons que l’argent public, celui de l’Etat, de la Région et de l’Intercommunalité doit être mis au service d’une relance de la filière bois. Il ne doit pas servir pour aider une entreprise transnationale comme Florian qui repartira au bout de cinq ou six ans maximum.

Illustration 1
Une hêtraie dans le secteur de Lannemezan © CTPAMF

Comment avez-vous entendu parler de ce projet ?

Pascal Lachaud du PCF I No Pasaran plateau et vallée de Lannemezan: je l’ai découvert au mois de décembre 2019 en tant que membre de la commission économique de l’intercommunalité de Lannemezan. Le projet y a été présenté déjà bouclé et avec la participation d’un expert. Nous, les élus de l’intercommunalité, n’avons pas du tout été associés à cette décision. Aucun des 83 élus de cette instance, à part le maire de Lannemezan, Bernard Plano, n’était au courant de la décision. Très rapidement, nous avons mis ce projet sur la place publique, début janvier 2020. Le dossier qui nous a été présenté laisse entrevoir la possibilité d’un financement à hauteur de 50 à 60% par l’Etat, la Région et l’intercommunalité (3). C’est complètement disproportionné ! Si  ce projet se mettait réellement en œuvre, cela voudrait dire qu’il mobiliserait six millions d’euros d’argent public, pour une vingtaine d’emplois sur une scierie entièrement automatisée. Et ils évoquent des emplois de bûcheronnage précaires ou ubérisés à créer et à former ! Or, on ne forme pas un bûcheron en un mois.

Dominique Dall’Armi : il nous semble que tout ce temps, cette énergie et cet argent devraient plutôt être consacrés à améliorer les structures déjà existantes qui ont aujourd’hui du mal à vivre et connaissent des difficultés d’approvisionnement. Aujourd’hui, le volume de bois qui passe dans ces scieries de hêtres est autour de 1000 mètres cubes par an. Si la grosse scierie Florian s’installe, elle prendra le monopole sur toutes les Pyrénées ! Quand on regarde l’histoire, il y a de quoi s’inquiéter. Autrefois, déjà, nous avions beaucoup plus de petites scieries dans les vallées. Plusieurs ont disparu. Avec l’arrivée de Florian, les petites structures qui ont survécu risquent de disparaître à leur tour en cinq ou dix ans. Ce serait une perte en matière de diversité industrielle et aussi de diversité des emplois. Nous préférons voir conforter le tissu local actuel.

Vous avez essayé d’élaborer une contre-proposition au projet Florian. En quoi consiste-t-elle ?

Dominique Dall’Armi : aujourd’hui, le sens de l’histoire est d’éviter les grosses concentrations, les gros monopoles. C’est le seul modèle économique pouvant respecter à la fois l’être humain et l’environnement. Nous souhaitons d’abord aider les structures déjà existantes à s’équiper en matériel plus performant, par exemple en séchoirs. Ils rencontrent des soucis au niveau de la sortie des produits et les séchoirs pourraient les aider à améliorer cette qualité. Le parc  naturel ariégeois, par exemple, a mis en place des séchoirs collectifs avec une petite structure locale.

Jacques Buret du syndicat CGT Forêt Midi Pyrénées : aujourd’hui, les financements publics sont très difficiles à obtenir pour entretenir les pistes, les massifs forestiers et faire de la protection. Or, les forêts ont besoin de cette protection. La crise sanitaire actuelle montre bien les dégâts qui peuvent découler d’une mauvaise protection des massifs forestiers. Il serait aberrant d’investir des montagnes d’argent uniquement dans l’outil industriel, alors que les communes ont énormément de mal à se faire financer de la création de guides et de l’entretien forestier. Autre problème : la centralisation du bois sur une commune telle que Lannemezan. Le bois viendra de toute la chaîne des Pyrénées, de l’Ariège au Pays basque, et peut-être même du Massif central ! On va encore accentuer les transports sur route. Aujourd’hui, la forêt pyrénéenne n’a pas du tout besoin de cela !

Illustration 2
La forêt ariégeoise vue de Montségur © JF Courtille

Elle a besoin d’unités de transformation proches des sites de production et des massifs forestiers. Investir de l’argent sur l’outil sans se soucier de la ressource est absurde. Il faudrait aller chercher du bois dans des coins où aujourd’hui on ne va pas. Ce serait catastrophique. Ajoutons qu’une forêt s’entretient en permanence. Une piste tracée un jour ne va pas durer pendant 50 ans si l’on ne s’en occupe pas. Par ailleurs, certaines zones doivent être respectées si l’on ne veut pas détruire la biodiversité. Il ne faut tout simplement pas y aller.

Dominique Dall’Armi : sur les 50 000 m3 de volume prévus par le projet Florian, aujourd’hui, 45% ne sont pas exploitables. L’ONF elle-même ne s’est engagée que sur 20 000 m3. C’est donc un échec annoncé et du gaspillage d’argent public en perspective. Le type de bois recherché par cet industriel italien est du bois de bonne qualité et de gros diamètre, 45 à 50 cm. Cela veut dire qu’il faudra couper les gros bois qui restent encore. Or, pour respecter le cycle écologique des forêts, il est important de préserver une proportion de gros bois, de petit bois et de bois mort. Si l’on coupe tous ces gros bois, on va amenuiser la qualité écologique des forêts et leur biodiversité. De nombreux rapports sortis aujourd’hui en France montrent que 40% des espèces saproxyliques sont en danger et que 25% de la biodiversité forestière est menacée. D’autres rapports récents évoquent la disparition de nombreuses espèces : 50% en moins chez les insectes, 30% en moins chez les oiseaux. La commission intergouvernementale sur la biodiversité assure que 75% de l’environnement terrestre et 40% de l’environnement marin présentent des signes importants de dégradation. Nous devons aussi garder les gros bois dans les forêts en raison de la nécessité de capturer le gaz carbonique. C’est l’un des enjeux pour préserver le climat et éviter les rejets trop importants dans l’atmosphère.

Pascal Lachaud : concernant la question démocratique, en tant qu’élu, je suis révolté par le fait que plusieurs présidents des communes forestières de la chaîne Pyrénées aient pris cette décision favorable au projet Florian sans aucune concertation avec les communes. Avec le conseil municipal de Capvern, nous avons voté et envoyé une délibération pour nous opposer au fait que des prélèvements de hêtres soient effectués sur notre commune. Un autre problème qui me révolte est l’absence d’étude d’impact de ce projet : ni sur le tissu économique et sociologique du territoire, ni sur la biodiversité. Nous voyons là un amateurisme total. Nous sommes vent debout contre ce projet coûteux et inutile. Dès que possible, nous élargirons notre mobilisation à l’ensemble des citoyens pour qu’elle soit une « affaire publique » au sens le plus noble du terme. Ceci afin de proposer une approche qui sauvegarde la forêt. Nous devons la considérer comme un trésor et un bien commun naturel. Les forêts doivent être préservées, comme les zones humides.

Dominique Dall’Armi : nous allons déjà alerté les institutionnels, et ensuite les propriétaires de ces forêts. Une grande partie de ces bois appartiennent aux communes. Nous avons donc envoyé un courrier aux 1600 communes des Pyrénées, ainsi qu’aux conseillers départementaux et au Conseil régional. Ils sont concernés, soit parce que les hêtres seront prélevés pour l’activité industrielle sur leur territoire ; soit parce qu’ils seront impliqués en tant qu’élus dans les financements autour du projet Florian et de ses implications comme l’entretien des routes. Nous organisons dans les prochains jours trois réunions publiques. Jeudi 25 juin à 20h30 à Capvern les bains, salle Wolinski, place du 14 juillet. Mardi 30 juin à 20h30 à Saint Gaudens, parc des expositions du Comminges. Et mercredi 1er juillet à 20h30 à Oloron Sainte Marie. Une marche est aussi prévue sur tout le massif des Pyrénées les 10 et 11 octobre.

Propos recueillis par Jean-François Courtille

1) Le collectif Touche pas à ma forêt regroupe les structures suivantes : SOS Forêt Pyrénées, France Nature Environnement 65, CGT Forêt, No Pasaran PCF, UL CGT Lannemezan, Fédération PCF des Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques et Haute-Garonne, Jeunesse Communiste 65, Europe Ecologie Les Verts 65, ATTAC 65 et 31, Union Syndicale Solidaires Comminges, GAAB 65, ADEAR et Confédération paysanne, France insoumise 65.

2) Le Collectif SOS Forêt Pyrénées regroupe pour le moment le SNUPFEN Solidaires (Syndicat des Personnels de l’Office National des Forêts), Nature Comminges, le Comité écologique ariégeois, Les amis de Luchon, La SEPANSO 64, le Fonds d’Intervention Eco Pastoral (FIEP) et l’Association pour la Conservation du Cadre de Vie d’Oloron et du Bager (ACCOB).

 3) Dans une délibération du 29 mai 2020, la Commission permanente de la Région Occitanie prévoit de contribuer à hauteur de 65 000 euros pour « l’accompagnement de la création d’une scierie de hêtre, entreprise Lannemezan bois énergie » en précisant que ce projet bénéficie déjà d’une aide de l’Etat de 75 000 euros. La somme de 65 000 euros serait destinée à concourir au « financement de la réalisation d’études préalables à la faisabilité des projets d’investissement, avec un taux d’aides publiques Etat – région porté à 80 % de la dépense totale éligible ».

 4) La France se classe aujourd’hui en 81ème position en terme de systèmes écosystémiques, selon une étude publiée en juin 2020 par l’université de Yale : « Selon les résultats du rapport, la France se classe ainsi 81e en termes de services écosystémiques - les bénéfices tirés des écosystèmes tels que les forêts - avec un indice de 36,1 inférieur à la moyenne mondiale dû notamment à un score de 33,6 dans la catégorie "perte de couverture forestière". Autre exemple, le pays ne se classe que 76e dans le domaine de la pêche avec un score de 12,1. »

Source : https://www.geo.fr/environnement/quel-pays-enregistre-la-meilleure-performance-environnementale-en-2020-200916 

 5) Une pétition pour l’abandon du projet Florian a été lancée sur le site change.org et adressée à Carole Delga, Présidente de la Région Occitanie :

https://www.change.org/p/pr%C3%A9sidente-de-la-r%C3%A9gion-occitanie-carole-delga-protegeons-les-forets-des-pyrenees-non-a-la-scierie-industrielle-florian-a-lannemezan

Pour en savoir plus – Facebook : touchepasamaforet – Courriel : touchepasamaforetoc@gmail.com

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