Une victoire à la Pyrrhus ? La victoire d’Emmanuel Macron au soir du deuxième tour de la présidentielle y ressemble par de nombreux aspects. Certes, la France échappe pour la troisième fois à une prise de pouvoir de l’extrême droite. Tous les démocrates ont poussé un soupir de soulagement en ne voyant pas apparaître le visage de Marine Le Pen à l’écran. Mais beaucoup ont aussi poussé un soupir d’exaspération en voyant leur tourmenteur des cinq dernières années entamer un nouveau mandat.
L’érosion du front républicain
Le président Macron doit sa réélection à un dernier sursaut du « front républicain ». Un front très sérieusement entamé cette fois-ci. L’abstention, avec un taux de 28%, a atteint un niveau record sous une élection présidentielle de la Vème République, si l’on excepte le duel sans enjeu réel entre Pompidou et Poher en 1969. Et 8% des citoyens qui ont voté ont déposé dans l’urne un bulletin blanc ou nul. Surtout, le Rassemblement national – ex FN – a recueilli 2 millions de voix de plus qu’en 2017, alors que « dans le même temps », Emmanuel Macron perdait 2 millions et demi de voix par rapport au duel précédent. Marine Le Pen a beau jeu de présenter son résultat comme une victoire, car elle a indéniablement progressé de façon spectaculaire en cinq ans. Plus inquiétant, le scrutin présidentiel met en lumière ce que nous savions déjà : la fracture électorale témoigne bien d’une fracture sociale. La majorité des cadres ont voté pour Macron, la majorité des ouvriers pour Le Pen. Les citoyennes et les citoyens n’ont donc pas signé un chèque en blanc au président, qui risque de vivre un quinquennat compliqué.
L’espoir d’une cohabitation
Le premier tour de l’élection présidentielle a suscité des espoirs dans une bonne partie de la population française, et notamment parmi les jeunes. La gauche, bien que divisée, a placé un candidat, Jean-Luc Mélenchon, en troisième position, avec plus de 21% des suffrages. Le total des voix recueillies par les candidats de gauche dépasse les 30%. Les scores réalisés par l’Union Populaire dans les grandes villes de l’Ouest ou dans plusieurs départements d’Ile-de-France et d’Outre-Mer dévoilent un réel potentiel pour les élections législatives. Alors que 68% des Français, selon un sondage, souhaitent une cohabitation républicaine en juin 2022, l’hypothèse d’une victoire de la gauche aux législatives devient envisageable. Mais il faudra pour cela reconstruire l’unité entre les différentes formations politiques de gauche, et ainsi, entre leurs électeurs.
Comment construire le rassemblement à gauche
Arrivé largement en tête des candidats de gauche au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon peut se prévaloir à juste titre d’un rôle de leader dans cette recomposition politique. Mais beaucoup d’électeurs de gauche ont choisi son bulletin en vertu du principe de « vote utile » que leur soufflaient les sondages d’opinion. Les électeurs de gauche sont de plus en plus volatiles d’un scrutin à l’autre. Les écologistes, qui ont recueilli plus de 13% des voix aux Européennes et conquis de grandes villes aux municipales, avant de retomber sous la barre des 5% à la présidentielle, en ont fait la cruelle expérience. Et rappelons que la candidate socialiste Carole Delga a réalisé en Occitanie le meilleur score de France aux Régionales avant qu’Anne Hidalgo, pourtant largement réélue maire de Paris en 2020, n’encaisse le pire score de l’histoire du PS lors d’une présidentielle. En politique, la roche tarpéienne est souvent proche du Capitole. Jean-Luc Mélenchon, vieux routier de la politique et homme de grande culture, ne peut l’ignorer.
Prendre le temps de la concertation et de l’ouverture
Construire un rassemblement à gauche est un défi réalisable. Mais il faudra pour cela que l’Union Populaire et la France insoumise acceptent de prendre le temps de la concertation avec les autres formations politiques de gauche, sans verrouiller prématurément les listes présentées aux élections législatives. Le programme « L’Avenir en commun » constitue une base de réflexion intéressante mais reste perfectible. L’intelligence collective a toujours offert de meilleurs résultats que le repli dans une seule chapelle politique. Autrefois, le parti radical, le parti communiste et le parti socialiste ont succombé à la tentation de l’hégémonie à gauche, avec les résultats funestes que nous connaissons. Il serait dommage que l’Union Populaire et la France insoumise – qui n’ont d’ailleurs pas le statut de parti politique - tombent dans le même piège. L’enjeu est trop important : redonner à une population française laminée par cinq années de néo-thatchérisme l’espoir d’un gouvernement enfin soucieux de démocratie, de justice sociale et de préservation de l’environnement.
Jean-François Courtille