Billet de blog 18 octobre 2010

cdsp

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Je ne compte pas ou si peu

Par des femmes et des hommes, agents du service statistique public.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par des femmes et des hommes, agents du service statistique public.

Je ne suis pas polytechnicien, je ne connais pas Keynes, je n'ai jamais calculé un écart-type, je ne connais pas la formule de la valeur fondamentale, j'ai traversé le hall de l'ENSAE* pour aller à la cantine, je n'ai pas tout compris du rapport Stiglitz, je ne vois pas comment mesurer le bonheur pas plus que la pénibilité, je ne suis pas invitée aux colloques, j'ignore ce qu'est la formation brute de capital fixe...

Mais... j'aime mon travail, je suis sérieuse, je travaille en équipe, je fais mon entretien d'évaluation tous les ans, je suis bien notée, je me forme sur de nouvelles activités, je travaille chez moi, je ne rechigne pas à quelques heures supplémentaires bénévoles, je participe avec cœur aux collectifs de travail, j'apprécie mes collègues... Surtout je travaille pour le service public et je suis fière d'être au service de mes concitoyens. Comment ? Je ne suis pas statisticienne ? Ben non... mais une statistique publique sans une solide logistique informatique de qualité, vous pensez que ça le ferait ?

Car je suis celle à qui trop souvent on conte... Je suis celui qu'on oublie alors que pourtant incessamment tracé, surveillé, épié, mesuré, catégorisé, évalué. La qualité totale (TQM in english) vous connaissez ? Ça c'est du management !! Je suis une ressource humaine, je suis interchangeable, je suis un effectif... je suis un chiffre dans un tableau Excel... je suis depuis peu délocalisé... je suis comptée mais finalement je compte pour du beurre. Je suis celui à qui on dit peu, à qui on n'explique pas parce qu'il n'y comprendrait rien et de toutes les façons à quoi bon, ça ne lui servirait à rien et puis à chacun ses responsabilités...

Mais je suis quelqu'un de responsable vous savez, et pas encore interné malgré le stress et les tranquillisants ! Mes collègues là tout près vous avez pris la peine de les écouter ? Il suffit de s'arrêter pour entendre leur incompréhension par rapport aux atermoiements d'une délocalisation funeste, pour saisir leur désarroi parce qu'en abimant l'outil de travail, on casse quelque chose d'eux-mêmes, pour partager leur inquiétude sur le rôle qu'ils auront (ou pas) dans l'avenir, pour entendre leur colère sur la détérioration des conditions palliant ici des départs non remplacés et là les impérities budgétaires... Quoi mes tranquillisants ? Non, je m'énerve pas... j'explique aux gens !

Je suis ordinaire, ouais d'accord, mais humain quoi... j'existe ! Moi aussi, je veux que mes enfants soient heureux, je n'aime pas que les gens souffrent, je donne des fringues à la Croix-Rouge, et puis le terrorisme me fait un peu peur et les cités aussi, surtout après le journal télévisé. Et oui je regarde les matches de foot à la télé. Je vous l'ai dit... ordinaire.

Pourtant je vote encore, je regarde encore les débats politiques télévisés, je proteste encore dignement quelques fois dans la rue (surtout en ce moment), je m'intéresse encore aux équilibres géopolitiques, je suis abonnée au monde diplomatique, vous voyez, je fais encore des efforts pour me forger une opinion, je développe mon esprit critique et... je voudrais bien jeter mes tranquillisants!

Oui, je suis un citoyen mais tout autant un fonctionnaire, conscient et fier de travailler pour le bien public, un agent du service public de la statistique qui pense qu'une statistique, publique, forte et indépendante c'est mieux que l'inverse et qu'il faut tout faire pour que cela soit. Je regarde autour de moi... et comme on le chante dans les tribunes d'Anfield à Liverpool : Y'll never walk alone («Tu ne marcheras jamais seul»).

Définitivement oui, nous devons compter...

* Le libellé exact c'est «ENSAE - Paris Tech» et il s'agit de l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique.

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