Le comité de défense de la statistique publique et Mediapart s'associent à l'occasion de la Journée mondiale de la statistique.
Denis Durand, représentant de la Cgt au Cnis, membre du Conseil consultatif européen sur les statistiques (ESAC)
Nasser Mansouri-Guilani, représentant suppléant de la Cgt au Cnis
Combien de personnes sont exclues du travail pour des raisons économiques ? Quel est le taux de chômage en France ? Le CNE (contrat nouvelle embauche) a-t-il créé autant d’emplois que le ministre l’avait annoncé ? Combien de Français peuvent-ils être considérés comme pauvres ? L’euro a-t-il fait monter les prix ? Depuis quand la part des profits dans la valeur ajoutée a-t-elle atteint le niveau élevé où elle se situe aujourd’hui ? Le PIB peut-il être la mesure de toute richesse ? Peut-on mettre sur le même plan le capital financier, le « capital » naturel et le « capital humain » ? Qu’est-ce qu’une entreprise ? Une entité juridique, un groupe de sociétés ou une entité sociale ? Quelle part de leur activité les banques consacrent-elles à leurs grands métiers – banque de détail, opérations de marché, private equity ?
On pourrait multiplier à l’envi les questions qui révèlent combien l’action du système statistique public se trouve au centre des enjeux sociaux et politiques les plus brûlants. Les moyens dont la société dispose pour se connaître elle-même sont une préoccupation de plus en plus importante pour les différentes forces qui la composent.
La force du système statistique public français a reposé, depuis les réformes démocratiques de la Libération, sur la reconnaissance des compétences des agents de l’INSEE et des services statistiques ministériels, appuyée sur les garanties liées à leur statut de fonctionnaires. Elle a aussi pu s’appuyer sur une interaction constructive entre l’administration statistique et les différentes forces sociales. Par exemple, la CGT s’est, depuis longtemps, montrée attentive aux enjeux de la statistique publique, qu’il s’agisse d’intervenir publiquement pour qu’elle dispose des moyens de son indépendance et d’un exercice efficace de ses missions ou qu’il s’agisse d’exprimer les demandes de ses utilisateurs dans des enceintes telles que le Conseil national de l’information statistique (Cnis).
Ainsi, on peut mettre à l’actif de l’action du Cnis l’accélération des travaux du système statistique public en matière de connaissance des inégalités sociales (à la suite du rapport du groupe de travail présidé par Jacques Freyssinet), l’instauration d’un débat plus « transparent » sur les statistiques de chômage ou encore la mise en évidence des dangers de l’engouement pour les « statistiques ethniques ».
Cette pratique dynamique de l’indépendance du système statistique est aujourd’hui mise en cause de multiples façons :
- les attaques directes contre l’appareil statistique lui-même, dont la délocalisation brutale d’une partie des services de l’Insee et de la DARES est la manifestation la plus grossière ;
- la tendance générale à la séparation entre les services statistiques proprement dits et les services d’études économiques, qui menace de rendre impossibles des interactions dont la fécondité a pourtant été abondamment démontrée ;
- la restriction générale des moyens de l’administration statistique, au nom de la « révision générale des politiques publiques » et, désormais, de la politique d’austérité décidée par le gouvernement actuel ;
- le réaménagement de la « gouvernance » du système statistique opéré en 2008 par la Loi de modernisation sociale. La nouvelle Autorité de la statistique publique, composée de personnalités nommées par le pouvoir politique, n’a pas fait la preuve, jusqu’à présent, de sa capacité à défendre l’indépendance du service public statistique mieux que cela ne se faisait avant sa création. Celle-ci s’est au contraire accompagnée d’une tentation de marginaliser le Cnis et l’expression, jusqu’à présent relativement libre et efficace en son sein, du pluralisme des forces sociales.
Ces attaques sont d’autant plus inopportunes qu’elles se produisent en un moment où des changements profonds affectent la relation entre la société et son système statistique :
- les nouvelles technologies de traitement et de partage des informations ouvrent à tous les usagers l’accès à une masse considérable d’informations via l’Internet, et leur procurent les moyens techniques de les exploiter en mettant à la portée de tous des ordinateurs et des logiciels de plus en plus puissants ; mais cela fait saillir le besoin d’un effort beaucoup plus grand, de la part des producteurs de statistiques, pour documenter, commenter, rendre utilisables de façon pertinente les informations ainsi disponibles ;
- la maîtrise des différentes sources d’information susceptibles d’alimenter la réalisation de statistiques (enquêtes, panels, sources administratives, sous-produits d’activités économiques privées…) devient une préoccupation très importante de toutes les parties prenantes du système statistique. La tentation peut être forte, pour le pouvoir actuel et pour les tenants du néolibéralisme, d’en faire un prétexte pour déposséder le système statistique public d’une partie de ses missions et pour les transférer entre les mains d’opérateurs qui sont loin de présenter la qualité scientifique et les garanties d’indépendance du système statistique public ;
- les choix principaux dans l’orientation des sujets traités par la statistique publique et dans l’affectation de ses moyens se font désormais au niveau européen, voire mondial ; faire émerger, à l’échelle de l’Union européenne, une représentation des usagers aussi active que ce qu’on observe en France n’est sans doute pas une priorité d’Eurostat et de la Commission européenne. Cela souligne l’importance de cet enjeu pour les organisations qui représentent ces forces sociales à l’échelle de l’Union, telles, par exemple, que la Confédération européenne des Syndicats ;
- dans le même temps, les attentes des usagers en matière d’accès à des données décentralisées, ancrées dans des territoires géographiques, se renforcent. Elles cherchent de plus en plus à se faire entendre au niveau local et régional, même si les organismes destinés à exprimer cette demande sociale (comme les comités régionaux pour l’information économique et sociale) ne manifestent pas toujours la vitalité que justifierait l’importance de leur rôle.
Dans ces conditions, préoccupantes pour l’avenir du système statistique public et pour la société tout entière, la CGT s’efforce de favoriser toutes les occasions d’une expression du monde du travail et, plus généralement, de toutes les forces à l’œuvre dans la société française, en faveur de l’indépendance du système statistique public et des moyens de son excellence. C’est le sens de son soutien à l’action du CDSP (Comité de défense de la statistique publique).