Tribune de Marie-Hélène Amiable, députée des Hauts-de-Seine et Maire de Bagneux.
Notre société de l'information et du court terme a fini par rendre le chiffre omniprésent : tout doit être compté, mesuré, quantifié. Pourtant ces nombres sont souvent présentés sans plus d'explication et se retrouvent noyés dans la masse. Il reste alors peu de place pour l'analyse et le fond.
Le gouvernement gère la France comme une entreprise, avec des méthodes de management dignes d'un groupe coté au CAC 40. Il prétend montrer son efficacité en quantifiant. Il se donne des objectifs chiffrés censés apporter des gages d'efficacité. Cette approche arithmétique froide conduit ainsi par exemple à la suppression d'un fonctionnaire sur deux, sous prétexte de réduire les dépenses de l'État et son déficit. Elle ne rend pas compte de la réalité et des besoins, ni du rôle que les services publics jouent dans la construction de liens sociaux, dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales.
Ces moyennes chiffrées, telles que commandées par le gouvernement, ne reflètent pas en somme la réalité de terrain. Calcule-t-on le temps de trajet que doivent effectuer les malades habitant dans des zones rurales pour se rendre à l'hôpital le plus proche ? Comment doit réagir un enseignant lorsqu'il se trouve devant une classe de 27 élèves alors que la moyenne nationale est, selon le ministre de l'Éducation, de 23,5 enfants ? Et multiplier le nombre de gardes à vue fait-il reculer le sentiment d'insécurité ?
Autre exemple, certainement le plus cynique, les quotas d'expulsions d'immigrés pris en compte dans l'attribution de primes collectives aux fonctionnaires de police. Ces objectifs chiffrés permettent au gouvernement de rassurer un électorat de droite ou d'extrême-droite.
Dans de nombreux secteurs, les chiffres sont utilisés de manière partiale dans l'analyse des sujets qu'ils sont censés éclairer : dans l'évaluation de la pauvreté, du pouvoir d'achat, de la délinquance. Mais les plus sensibles restent ceux de l'emploi.
On se souvient des polémiques sur la modification du mode de calcul des chiffres du chômage en pleine campagne pour les élections présidentielles. Depuis janvier 2009 et la création de Pôle emploi, ce calcul a encore été modifié ! Actuellement, seuls les demandeurs d'emplois inscrits à Pôle emploi, n'ayant pas exercé d'activité courte ou longue récemment entrent dans le calcul du chiffre officiel du chômage ! Ne sont pas retenus ceux qui ont eu une activité partielle, ceux qui recherchent un contrat à durée déterminée, certains bénéficiaires du RSA, les personnes en arrêt maladie, les seniors de plus de 55 ans, les bénéficiaires des emplois aidés, les personnes en formation ou en stage, ainsi que les départements d'outre-mer qui ont un taux de chômage malheureusement très élevé ! Difficile de se faire une idée globale de la situation.
Pourtant oui, les élu-e-s ont besoin de données chiffrées. Elles sont nécessaires à la compréhension et au débat, à condition de ne pas les orienter ou modifier leur mode de calcul. Nous avons besoin de chiffres fiables pour savoir quelles politiques mener et pour les évaluer dans la durée. Si je prends l'exemple des villes de banlieues comme celles de Bagneux, Malakoff ou Montrouge, l'hétérogénéité des populations et des classes sociales qui les composent multiplie les différents besoins auxquels doivent répondre les municipalités. Les budgets des collectivités sont de plus en plus serrés et les élu-e-s doivent faire des choix. L'outil statistique est là pour nous guider au mieux et anticiper l'avenir de la population. Celui-ci est d'autant plus important, alors que nous travaillons à l'avenir de Paris et sa banlieue, que de grands chantiers d'aménagement du territoire se dessinent et que la réforme des collectivités territoriales va accorder de plus en plus de place à l'intercommunalité.
Pour s'appuyer sur des chiffres fiables, il n'y a pas de miracle : les agents de la statistique publique ont besoin de moyens humains et financiers. Depuis le début de la législature, les fonctionnaires sont considérés comme une « charge » et pour la limiter, la majorité présidentielle a mis en place une mesure, que j'ai évoquée plus haut, de suppression aveugle d'un poste sur deux.
Les statisticiens n'y ont pas échappé et ont même subi une réorganisation. Alors que l'armée a quitté une caserne à Metz, il a été décidé, sans justification valable, qu'il fallait créer un Pôle de la statistique publique sur les anciens locaux militaires. Pour les remplir, les personnels des directions décentralisées sont mis à contribution, ainsi que ceux des services centraux. On déshabille Pierre pour habiller Paul et, une fois encore, l'objectif recherché à court terme (apporter des emplois à Metz) a prévalu sur les moyens et la pertinence.
Nous n'avons pu obtenir de chiffres précis sur les coûts d'une telle délocalisation, ni les mettre en rapport avec ce soudain besoin d'un tel Pôle. Même si l'Insee ne supportera pas la totalité des coûts, personne ne semble en mesure de les estimer plus précisément ! Cette création est même surprenante puisque nos services publics de statistique sont un modèle pour nombre de nos voisins européens.
L'Insee et la statistique publique doivent être au service de tous les Français-e-s, de tous les citoyen-ne-s et des élu-e-s quelles que soient leurs opinions. Son statut public le garant de son indépendance ; lui retirer ses moyens humains et financiers permet évidemment d'exercer encore plus de pressions sur ses missions. C'est tout le contraire dont nous avons besoin.