Billet de blog 18 octobre 2010

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Publistique statique

Par Jean-Claude Deville, directeur du laboratoire de statistique d'enquêtes à l'Ensai

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Jean-Claude Deville, directeur du laboratoire de statistique d'enquêtes à l'Ensai

Parole de statisticien public (c'est toujours comme ça, quoique réformé, que je signe les pétitions, rubrique ‘qualité'), l'Insee et la statistique publique ont bien mérité la punition de 20 % de budget de fonctionnement en moins qui les touche pour les années qui viennent. Il ne fallait pas oublier que ‘statistique publique' se dit en américain - la seule langue qu'on fasse semblant de comprendre chez les notables- ‘government statistics'. Sont-ils naïfs ces statisticiens qui n'ont pas voulu admettre que ce qui compte, c'est les BONS chiffres, et que dans notre parodie de démocratie, c'est justement le gouvernement qui les connaît et qui les rend publics. Gonflés ces gugusses, toujours près à pinailler, jamais contents de leur boulot ni de ce qu'on en fait, et qui d'ailleurs n'ont toujours pas compris en quoi il consiste.

On est au vingt et unième siècle, crénom, et on ne peut plus faire des statistiques comme grand papa. On n'a pas besoin de pognon pour fabriquer les bons chiffres, il suffit de savoir ce que le client veut entendre dire. La statistique privée, qui grâce à la sainte concurrence est bien plus efficace que la publique, l'a compris depuis longtemps. Elle ne cesse pas de réduire la taille des échantillons des sondages tout en se proclamant de plus en plus crédible, donc exacte et pertinente. Quel modèle, mes amis, quel triomphe de l'efficience du marché.

Fini de rire (jaune).

Je me souviens être entré en statistique à cause du concept de plan tel qu'il avait cours dans les années soixante en France. Évaluer les besoins présents et futurs de la population, trouver les moyens permettant de les satisfaire, voilà qui me paraissait assez exaltant, et, en tous cas, plus utile que de compter les nuages et de chercher à savoir s'il pleuvrait demain.

Pas de Science Économique là dedans, juste de l'ingéniosité, de l'obstination et des techniques, certes parfois un peu chères, mais tout le monde pensait que le jeu en valait la chandelle.

Puis, dans les années quatre vingt, quatre vingt dix, on a renoncé à cette idée de plan pour faire confiance au marché (de dupe !)... La statistique publique d'État (les pléonasmes sont là juste pour insister) y a perdu ce qui la rendait socialement cohérente, ce qui lui montrait où aller, où chercher. Depuis le milieu des années deux mille la pression pour qu'elle devienne un outil de propagande est devenue très forte, et il est à redouter que ce soit le prix à payer pour sa survie, l'hébergement administratif tenant lieu et de garant d'une méthodologie de haut niveau et d'indépendance des pouvoirs économiques.

Mais évidemment ça ne justifie pas de dépenser trop d'argent pour ça, surtout si le personnel refuse de comprendre ce qu'on attend de lui. Juste ce qui est nécessaire pour maintenir un peu de crédibilité, en attendant d'avoir recours à la statistique privée... de scrupules.

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