Billet de blog 19 novembre 2009

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La statistique publique : démantèlement ou développement durable ?

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Le 14 septembre, la Commission « Stiglitz », a remis ses conclusions. Celle-ci préconise d’aller au-delà du PIB pour mesurer la performance économique et le progrès social. Le rapport fait des propositions autour de trois grands axes : la mesure économique, en proposant des pistes d’amélioration du calcul du PIB et une orientation plus large vers des indicateurs de répartition des revenus, de la consommation et du patrimoine des ménages ; la mesure de la qualité de la vie et du bien-être ; le développement durable et l’environnement. L’Insee et la statistique publique, qui ont d’ailleurs grandement contribué à la confection de ce rapport, ont annoncé le même jour leur intention de mettre en œuvre un certain nombre des préconisations du rapport Stiglitz, car il exprime des attentes tout à fait légitimes de la société en matière d'information. Un certain nombre de travaux ont d’ailleurs déjà été réalisés : par exemple, l'Insee produit des indicateurs d'inégalités, et a innové en produisant des données sur le revenu et la consommation des ménages par catégorie. Une analyse d’un des principaux indicateurs de soutenabilité, l’épargne nette ajustée, a déjà fait l’objet d’une étude détaillée, publiée sur le site de l’Insee ; tout comme une étude récente sur le bonheur. La réalisation de ces travaux et la diffusion de leurs résultats ont nécessité un travail important. Mais c’est encore très peu par rapport à ce qui reste à faire. Pour aller plus loin, l'Insee devra lancer de nouveaux projets afin de répondre aux sollicitations de la commission Stiglitz, parmi lesquelles la mesure de la production domestique des ménages (comme les tâches ménagères), la décomposition du patrimoine des ménages par catégorie, la mise au point d’un tableau de bord permettant de tenir compte de la dimension environnementale, en suivant l'évolution du capital physique, humain, social ou environnemental. Certains de ces travaux peuvent s'appuyer sur le matériau existant, mais ils supposent a minima un important travail de mise en cohérence des données actuellement produites, en particulier des données macroéconomiques et des données individuelles. La mise en œuvre d'autres projets est plus lourde et suppose des travaux de recherche approfondie. Or, au même moment, la statistique publique doit faire face à deux injonctions gouvernementales qui vont grandement affecter son organisation et ses moyens. Premièrement, elle devrait délocaliser une partie non négligeable des ses effectifs à Metz dans le cadre des mesures de compensation de la refonte de la carte militaire (500 personnes). Au-delà de la désorganisation, cette délocalisation induirait un coût et des conséquences néfastes maintes fois énoncées par le Comité de défense de la statistique publique, en particulier une perte importante de compétences. Ces analyses ont d’ailleurs été portées par de nombreux chercheurs, acteurs de la société civile mais aussi par des élus puisque par exemple, en juin 2009, MM. Mariton, Morel-A-l’Huissier et Muet cosignaient une lettre à M. Fillon dans laquelle ils lui demandaient de réexaminer cette opération du fait des dangers qu’elle fait peser sur la statistique publique. Deuxièmement, celle-ci subit, comme l’ensemble des services publics, l’application du non remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Si cette règle est appliquée, elle aura pour effet de supprimer environ 200 postes par an à l’Insee, soit près de 1 000 postes d’ici 2015 sur un effectif de 5 600 agents. La statistique publique risque donc fort de se trouver confrontée à une équation insoluble : demande croissante, moyens en baisse, désorganisation. Elle devrait alors faire des choix qui nous semblent inacceptables. Soit produire, en réponse au rapport Stiglitz, des informations de qualité médiocre, soit s’orienter vers la production d’indicateurs de qualité, cherchant sérieusement à mieux appréhender le bien-être, et abandonner d’autres travaux et publications. C’est ce qu’on appelle une « injonction paradoxale », dont on connaît les conséquences psychologiques sur le personnel. La statistique publique se doit d'être en phase avec les préoccupations majeures de la société, dont font assurément partie les thématiques abordées par le rapport Stiglitz. Mais est-il pour autant acceptable que demain, l’Insee ne produise plus d’indicateurs de pauvreté, d’indices des prix, ne s’intéresse pas à la mondialisation, aux préoccupations des acteurs régionaux et locaux ? Afin de répondre comme il se doit à l'ensemble des attentes qui sont adressées à ce service public, et en particulier d’engager, dans les faits, les travaux de fond sans lesquels la mise en œuvre des préconisations du rapport Stiglitz ne serait qu’un vœu pieux, la statistique publique doit disposer de moyens à la hauteur des exigences de la société et des ambitions qu'elle se fixe. Il faut donc que cesse l’hémorragie de ses ressources, sans quoi il ne saurait être question de bien être au travail et de développement durable pour la statistique publique.

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