On connaissait le président de la République « bling bling », voici le sélectionneur national « toc-toc ». Chez l’un c’est le bruit des accessoires de nouveau riche qui s’entend, chez l’autre le battement de son palpitant qu’il nous force à écouter. Dans les deux cas, l’exhibition publique est comme une danse nuptiale visant à cultiver la séduction pour une seule : Carla Bruni ou Estelle Denis, promues Dames du cœur dans le nouveau roman courtois de la politique et du football réunis.
Nicolas Sarkozy avait inauguré le genre en ne nous épargnant rien de son baromètre sentimental : « avec Carla c’est du sérieux !». Raymond Domenech n’a même pas pris le temps de quitter le Letzigrund de Zurich, où son équipe venait d’accomplir l’exploit que l’on sait, pour profiter du direct de M6 afin de demander en mariage la journaliste qui allait prendre l’antenne sur cette même chaîne, dans une émission de commentaires sur l’Euro 2008.
D’aucuns trouveront cela « follement romantique », encore que Estelle Denis aurait peut-être préféré une sollicitation en plus petit comité, elle qui s’efforce – avec compétence et talent, c’est à noter – d’exercer son métier en faisant oublier qu’elle est la compagne, depuis quelques années, du patron de l’équipe de France. D’autres balanceront entre la plaisanterie grivoise et la réflexion psychanalytique (« Allo, maman, bobo ! »). Je suis de ceux qui étaient franchement indignés. Et pas seulement parce que le spectacle sportif qui avait précédé ne prédisposait pas à la bienveillance.
Il y avait dans cette façon de nous convier à la noce, comme Nicolas Sarkozy nous avait fait naguère entrer dans le boudoir de Carla Bruni, comme le fil rouge d’une désinvolture suprême. Raymond Domenech mardi soir, à l’instar de Nicolas Sarkozy a revendiqué, et s’est adjugé un « droit au bonheur ». C’est l’inverse qui doit prévaloir. Un président de la République est élu pour faire le bonheur des français ( enfin en principe) , le sien passe après, ou plutôt au second plan, sinon qu’il fasse un autre métier. Comme cela ne dure que cinq ans maximum ( sauf obstination personnelle), le sacrificedemeure raisonnable. On peut remplacer président de la République française par sélectionneur de l’équipe de France de football, l’idée demeure. Pour Raymond Domenech qui est plus près de la porte que l’augmentation, le « sacrifice » sera même plus bref, mais c’est une autre histoire.
Pour qui trouvera audacieuxle parallèle entre le chef de l’Etat et celui des « bleus », on avancera que, à bien des égards, ils occupent les deux postes les plus exposés de la République.En tout cas ceux dont la réussite ou l’échec des titulaires a une incidence notable sur les humeurs du pays profond. On ajoutera aussi que chaque français a une idée précise et personnelle de ce qu’il ferait s’il avait le pouvoir de présider ou…de sélectionner.
Et puis, comment ne pas invoquer la vertu que Machiavel conseillait au Prince, de paraître se conformer aux règles morales du peuple que l’on prétend diriger ? En d’autres termes, le respecter. Pour Nicolas Sarkozy, les sondages ont rapidement donné la mesure de ce que son manque de « vertu » provoquait. Pour Raymond Domenech, c’est l’oubli qu’au moment où il parlait des milliers de supporters qui étaient venus à Zurich avaient le cœur ( et le portefeuille) à plat. Et que quelques millions de français qui aiment le football avaient le sentiment d’avoir été frustrésde ces grandes émotions que n’apportent pas seulement les victoires de prestige, mais parfois aussi certaines défaites dans l'honneur.Bref, on se sentait cocus, alors même que le principal responsable du désastre ne semblait penser qu’à son mariage.Ou, comme l’a écrit spirituellement Michaël Hadjenberg dans l’édition « A Vienne qui pourra », on aurait pu penser que Raymond Domenech se présenterait « marri » plutôt que « mari ».
Et puis, en guise de codicille au présent billet testamentaire d’un supporter déçu,ne pas oublier une autre dimension des propos « domenechiens » ( prononcer kiens ) : celle qui a trait au mépris souverain affiché à l’égard des journalistes. Du moins ceux qui n’ont pas la bienséance de poser les questions correspondant aux réponses qu’il a déjà prêtes.Ce fut vrai tout au long de la participation française à cet Euro où la presse fut tenue pour parasite inutile et traitée comme tel, ce qui en d’autres contrées aurait provoqué un tollé.La demande en mariage de mardi soir,valait fin de non-recevoir, sur le ton de la dérision, au journaliste qui l’interrogeait,fort logiquement, sur les suites personnelles qu’il comptait donner à l’échec de sa mission à la tête de l’équipe de France.
Nicolas Sarkozy est également un expert dans cette manière de piétiner en public le journaliste importun. Raymond Domenech, use plus volontiers du second degré que de cette familiarité brutale caractérisant le ton présidentiel dans ce genre de situation. C’est le seul avantage qu’on lui accordera. Et, sans préjuger de l’avenir, Raymond Domenech se marie quand même moins fréquemment que Nicolas Sarkozy.