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Billet de blog 12 août 2015

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Comment l’Allemagne a gagné la guerre (économique)

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Ce n'est plus comme ça. Mais presque...

Depuis cinq ans, l’Allemagne a profité comme aucun autre pays, des crises en Grèce et dans le sud de l’Europe. Ce qui n’empêche pas les lamentations concernant les «aides» pour la Grèce.

(KL) - «L’argent», dit-on dans le milieu bancaire, «n‘est jamais perdu. Il se trouve seulement ailleurs». Cette phrase est censée consoler les clients ayant «perdu» de fortes sommes d’argent. Et selon le même principe fonctionne la «guerre économique» dans le sud de l’Europe. Pendant que des pays comme la Grèce ne servent plus qu’à payer des intérêts importants sur des crédits encore plus importants, des pays comme l’Allemagne assainissent leurs finances grâce aux crises. Selon une étude du (très sérieux) «Institut Leibnitz des recherches économiques IWH» à Halle, l‘Allemagne a gagné depuis 2010, pas moins de 100 milliards d‘euros. Qui, naturellement, manquent à la Grèce et à d’autres pays.

Le principe est assez simple. Ceux qui avaient acheté ces dernières années, des obligations grecques, touchaient des «intérêts de risque» allant jusqu’à 28%. Et puisque les pays comme l’Allemagne étaient considérés comme des «havres sûrs» pour les investissements, l’argent arrivait massivement en Allemagne, ce qui avait comme conséquence, des taux d’intérêt tellement faibles que l’état et les Länder pouvaient non seulement rembourser d’anciennes dettes plus facilement, mais, surtout, qu’ils pouvaient accéder à de l’argent «pas cher» permettant d’effectuer les investissements nécessaires à la croissance et à l’emploi. Les économies et bénéfices ainsi réalisés sont donc estimés à 100 milliards d’euros depuis 2010. Ce qui constitue la motivation d’un faucon comme Wolfgang Schäuble de ne surtout rien changer à l’état des choses. Après tout, la misère du peuple grec constitue une excellente affaire pour l’Allemagne.

Ce système fonctionne à merveille. Dès qu’une mauvaise nouvelle tombe concernant la Grèce (donc, en permanence), le taux d’intérêt pour les obligations allemandes baisse et «les marchés» pompent de l’argent en direction de l’Allemagne. Cet argent est disponible pour la main publique allemande à des taux défiant toute concurrence, parfois même à des «taux négatifs». Lorsque l’on compare la dette grecque et la dette allemande, on comprend la différence - tandis que la Grèce doit payer des intérêts allant jusqu’à 28%, l’Allemagne paie, si jamais, 0,3% d’intérêts pour ses obligations.

Cette logique diabolique continue - lorsque l’on accède à de l’argent «bon marché», on peut investir plus facilement et ainsi, donner un coup de pouce à la conjoncture, augmenter sa compétitivité et créer de l’emploi. En Grèce, où l’argent est excessivement cher, ces investissement sont plus difficile ou même impossibles. La compétitivité allemande est donc le résultat d’une politique qui empêche les pays comme la Grèce de pouvoir relancer son économie.

En principe, il faudrait que le système soit organisé à l’inverse - l’argent «bon marché» (donc à des taux très faibles) devrait être disponible pour la Grèce pour permettre d’y lancer de vrais programmes de conjoncture. A l’inverse, il faudrait faire payer les spéculateurs au taux fort pour les investissements effectués en Allemagne, car l’Allemagne a moins besoin de cet argent que la Grèce. Mais cela nécessiterait de la solidarité européenne et - quel vainqueur d’une guerre se distingue par la solidarité et le fair-play ?

Il serait temps que les médias «mainstream» en Allemagne arrêtent leurs lamentations sur les sommes faramineuses que le contribuable allemand jete dans le gouffre grec. Lorsque l’on profite de cette crise comme le fait l’Allemagne, on devrait se taire un peu.

Pendant le siècle dernier, à deux reprises l’Allemagne a tenté de gagner le contrôle sur l’Europe. A deux reprises, l’Allemagne a, heureusement, échoué. Mais là où l’Allemagne a échoué au niveau militaire, elle a maintenant gagné au niveau économique. Sans y envoyer des casques pointus, en dirigeant les opérations depuis des bureaux. Si Wolfgang Schäuble en est certainement très fier, nous autres allemands devraient sérieusement réfléchir lors des prochaines élections…

Crédit photo : Postcard of France / Wikimedia Commons / PD

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