
Après les attentats de Paris, la liberté d’expression, la démocratie et nos concitoyens juifs ont encore une fois été attaqués. Les temps deviennent de plus en plus durs.
(KL) – Devant la représentation danoise auprès du Conseil d’Europe à Strasbourg, quelqu’un a attaché un papier, avec deux roses blanches, disant «Je suis Danois», un triste salut en direction de Copenhague où, après les attentats de Paris, les gens avaient manifesté leur solidarité avec les victimes de la terreur en disant «Je suis Charlie». Oui, aujourd’hui, nous sommes autant «Danois» comme nous étions Charlie et en même temps, nous sommes les «coptes égyptiens», «juifs français» ou «Ukrainiens de l’est». Nous sommes également «victimes de l’Etat Islamique», «nous sommes tous grecs». Voilà l’expression d’une détresse émotionnelle, expression d’une impuissance paralysante.
Chaque jour, il devient plus évident que quelque chose ne tourne pas rond dans notre organisation du monde. Que quelque chose de fondamental ne va pas. Qu’il y a beaucoup de choses qui doivent changer rapidement si nous ne souhaitons pas nous limiter au rôle du spectateur lorsque le monde, tel qu’on le connaît, se décompose de l’intérieur comme de l’extérieur. La réponse politique aux choses qui se passent dans le monde, est impressionnante. Les «Verts» allemands proposent de créer une «Journée Internationale du Caricaturiste». Un geste sympathique, un hommage plein de bon sens aux victimes des attentats sur «Charlie» et de Copenhague que l’on ne peut qu’accueillir que favorablement. Mais cela ne suffit certainement pas pour s’attaquer aux problèmes de fond qui font qu’aujourd’hui, nous devons faire face aux horreurs dans le monde.
Pendant des siècles, le «Nord», donc nous en Europe, a très bien vécu en pillant le reste du monde. Sauf les régions trop éloignées ou capable de s’opposer à l’envahissement de la «civilisation chrétienne». Cela nous a rendu riches, cela nous a permis de vivre la «Révolution Industrielle» avec un réseau de commerce mondial qui nous a permis de devenir encore plus riches en exploitant les autres pays qui eux, en devenaient de plus en plus pauvres. Cela a l’air assez simplificateur, mais c’était ainsi.
Aujourd’hui, les gens viennent massivement de ces régions du monde où ils n’ont que la famine, les guerres ou guerres civiles, où ils souffrent des régimes des «War Lords» dont aucun juge d’asile n’a jamais entendu parler et nous ? Nous nous lamentons que «le bateau est plein».Pour nous dédouaner, nous organisons une «aide au développement» inefficace dont une bonne partie atterrit dans les poches de dictateurs avec lesquels nous aimons bien coopérer, jusqu’à ce qu’ils soient déchus. A ce moment là, nous découvrons systématiquement que nous les avons jamais appréciés, dans le fond.
Mais tant que de grands groupes industriels produiront des armes en gagnant des fortunes en développant et en commercialisant des systèmes d’armement, les gens s’entretueront avec. Tant qu’il n’y a pas d’équilibrage entre le «Nord» et le «Sud», les gens dans les régions défavorisées partiront là où ils soupçonnent une vie meilleure. Tant que l’économie poursuit comme but suprême l’enrichissement personnel et non pas la prospérité de tous, il y aura des inégalités sociales qui ne pourront perdurer face à l’explosion de la population mondiale. Cette pression est en train de se décharger actuellement un peu partout dans le monde.
Dans un monde globalisé, il est inutile de rêver d’un petit chez soi, devant sa cheminée, bien au chaud dans l‘Occident. La haine, la violence et la terreur sont arrivés chez nous. Même dans la ville de Copenhague, fief de la tolérance. Où à Brunswick où le cortège du carnaval a du être annulé suite à une menace d’attentat. L’époque où nous suivions les guerres dans le monde au JT, est révolue. Les grands conflits de notre temps se déclinent maintenant aussi à des niveaux locaux et régionaux, se présentent devant notre porte. Et nous ne nous rendons toujours pas compte que les agissements de la politique, même bien intentionnés, ne suffisent pas ?
Au 16ème et 17ème siècle, les Humanistes Rhénan ont réussi, en faisant fi des frontières nationales, sans moyens de communication ou de voyage, de développer une «manière de penser nouvelle», de la promouvoir, de l’ancrer dans la conscience de générations d’Européens. Et nous, malgré la disponibilité de vols «low cost», malgré le TGV, Internet et Skype, nous ne sommes pas en mesure de créer un réseau avec des gens dans d’autres pays en vue d’une «nouvelle manière de penser» adaptée au 21ème siècle ? Est-ce que nous ne sommes pas en mesure d’utiliser les nouvelles technologies pour autre chose que des échanges concernant la mode, les conseils d’achat ou des actions commerciales ? Ou est-ce que nous sommes, comparés aux Humanistes, trop avachis face aux horreurs que nous avons du mal à gérer ? Ou est-ce que, tout simplement, nous n’allons pas encore assez mal pour enfin réagir ?
Plus tôt ou plus tard, des jeunes talents dessineront un nouveau modèle de société pour un monde globalisé. Un nouveau système qui ne devra, en aucun cas, être la copie d’un des nombreux systèmes ayant déjà échoué dans le passé. Un système qui n’utilisera pas les nouvelles technologies comme moyen de surveillance et de répression, mais comme véhicule pour des nouveaux services. Un système qui ne produit plus les choses qui empoisonnent le monde pour permettre à des individus de s‘enrichir. Et pourvu que ces jeunes talents inventent ce nouveau système rapidement. Le monde n’a plus beaucoup de temps.
D’ici là, on ne peut que s’incliner en passant devant la représentation danoise à Strasbourg, pour s’arrêter brièvement en pensant, «Oui, aujourd’hui, je suis Danois aussi».
Photo : Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)