Billet de blog 10 février 2023

Zaëlle Noyoub (avatar)

Zaëlle Noyoub

Poétesse voyageuse

Abonné·e de Mediapart

Le mec bien n’existe pas

Moi, les mecs bien, je les déteste. De tous les hommes, ce sont ceux qui me hérissent le plus. Les salauds eux, ont le mérite de marcher à découvert : ce sont des Bolsonaro, des Trump, des Darmanin, des mecs qui revendiquent haut et fort d’attraper les femmes par la chatte ou de les violer ; avec ceux-là, pas besoin de nous faire un dessin. Mais avec les mecs bien, tout est plus insidieux.

Zaëlle Noyoub (avatar)

Zaëlle Noyoub

Poétesse voyageuse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans ma dernière publication, Histoire de P., j’ai écrit, un peu par pur plaisir de la provocation, un peu pour ouvrir le débat et introduire cette notion, qu’être juste un mec bien, eh bien, justement, ça n’existait pas. En plein dans le mille : les réactions n’ont pas tardé et une armée de commentateurs (en écrasante majorité masculine) s’est manifestée pour me répondre que non, tous les hommes ne sont pas comme ça, qu’il y a aussi tout un tas de mecs bien (dont, je suppose, mes commentateurs s’imaginaient bien entendu faire partie). 

Mais je vais vous dire : moi, les mecs bien, je les déteste*. 

De tous les hommes, ce sont ceux qui me hérissent le plus. Les salauds eux, ont le mérite de marcher à découvert, au grand jour : ce sont des Bolsonaro, des Trump, des Darmanin, des mecs qui revendiquent haut et fort d’attraper les femmes par la chatte ou de les violer, ceux qui gardent la tête haute et la face méprisante quand ils devraient juste crouler sous la honte ; ceux-là, on les connaît, on les voit venir, pas besoin de nous faire un dessin. Mais avec les mecs bien, tout est plus insidieux. Déjà, il leur en faut bien peu pour s’autoproclamer tels, vu que les salauds se sont chargés de placer la barre très, très bas. Un homme qui respecte les femmes, ne leur coupe pas la parole sans cesse, ne les insulte pas, ne les frappe et ne les tue pas, qui les considère simplement comme des êtres humains, est un mec bien. Ne nous étonnons pas que celui qui fait sa part de ménage et amène les gamins à l’école réclame carrément une médaille.

Ce qui est en tout cas certain, c’est que tout un tas de mecs bien se sont sentis concernés par mon propos, à en voir les réactions suscitées par l’Histoire de P. Là où mon récit invitait le lecteur à s’introduire dans les coulisses mentales de notre protagoniste afin d’y observer les mécanismes de domination à l’œuvre au moment des faits relatés, il m’a été farouchement répondu que cette histoire n’en était pas une, que ce que je tentais de montrer n’avait rien de violent. Alors que je prenais ma plume pour offrir à ceux qui ne vivent pas chaque jour dans un corps de femme à quoi pouvait ressembler l’expérience d’en être une, on m’a rétorqué que c’était moi (et P., et un certain nombre de femmes, donc) qui n’avait rien compris à cette histoire. Ils (et elles aussi) en on fait des tartines pour m’expliquer qu’il ne fallait quand même pas exagérer, hein, que la séduction ce n’est pas du viol, que certains types sont juste un peu « entreprenants », qu’accepter un massage de la part d’un homme, pour une femme, revient à accepter des avances sexuelles et ce, apparement, quel que soit le contexte, que les « filles » aussi avaient parfois recours à cette même bonne vieille technique de « drague » (et qu’en revanche, ça, au mec bien, ça lui plait vachement), qu’ « elle n’avait qu’à dire non » car, après tout, ce n’est pas « si difficile », et puis qu’il n’y a rien de grave puisqu’ « il s’est arrêté à temps », et que, au fond, la vraie violence, c’est que moi je raconte cette histoire et que j’accable le pauvre mec bien en le traitant d’abuseur qui s’ignore alors que lui, le pauvre, n’a rien fait. Je lui prêterais presque mon mouchoir, tiens.

La lecture de ces réactions m’a en tout cas confirmée que je n’étais pas au bout de mes peines et que le patriarcat a encore de beaux jours devant lui. Sociologiquement, c’est très intéressant, et je garde le fil de ces commentaires comme un recueil typique de réparties trop souvent entendues, et comme la bien triste preuve qu’en 2023, nous baignons encore en pleine culture du viol. Comme l’écrit très bien l’autrice Farida D. : « Asking for consent ruins the mood only if you were in the mood to rape »**.

Même si je ne m’attendais pas à une telle déferlante de commentaires rageux et défensifs (il y en a eu aussi de très compréhensifs et de très encourageants, et merci à leurs auteurices), je me doutais bien que je n’allais pas me faire que des amis. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’est que certaines de mes amies femmes, à qui j’avais demandé un avis sur mon texte alors que le backlash de commentaires commençait à peine à me revenir en pleine figure, ont trouvé nécessaire de me mettre en garde sur le ton jugé provocateur, voire agressif, de mon article. Elles m’ont dit : attention, si tu y vas trop fort tu risques de te mettre les hommes à dos (sous-entendu : tu vas les décourager de nous soutenir dans nos revendications —comme si on les avait attendus). C’est un peu comme quand on conseille à une femme de rire moins fort, ou de prendre davantage soin d’elle (c’est-à-dire, de son apparence) ; on lui dit en substance : attention, si tu te laisses trop aller, si tu t’exprimes trop librement, si tu n’es pas assez sexy ou trop excentrique, tu finiras toute seule comme une vieille fille à chats, aucun homme ne voudra de toi. 

Voilà le discours oppresseur, voilà le discours du patriarcat : une femme doit désirer plaire aux hommes. Je n’ai pas dit : « désirer des hommes », mais bien : « désirer plaire aux hommes ». Cela doit être le but ultime de nos existences. Partout, le patriarcat montre aux femmes à quoi elles devraient ressembler, on leur apprend comment se comporter, quoi dire et quoi écrire, et aussi quelles limites ne surtout pas dépasser. Quand mes amies me recommandent d’être plus douce, plus patiente, moins agressive, plus pédagogue envers les hommes, elles me remettent (en toute bonne fois) à ma place de femme au sein du patriarcat (et se maintiennent à la leur). Elles me rappellent qu’en tant que femme, la plus haute gratification que je puisse obtenir, la plus prestigieuse reconnaissance, je dois l’attendre des hommes. Que mon discours n’obtiendra sa véritable légitimité qu’une fois leur validation obtenue, une fois que chacun de mes mots aura été soupesé, chacune de mes phrases reformulée, une fois qu’il aura pris une forme acceptable, ni trop virulente ni trop fade. Je dois avant tout chercher à obtenir leur approbation, leur plaire. 

Mais ce n’est pas tout : ce que ces amies-là me disent, c’est que je suis trop radicale, que tous les hommes ne sont pas comme ça, que je dois modérer mon propos, trop accusateur, trop sentencieux, trop blessant peut-être. Ce que me disent en réalité ces femmes, c’est qu’elles ne sauront que faire de leurs amoureux, de leurs amis, de leurs frères, cousins, pères, si le mec bien n’existe effectivement pas, et si derrière chacun d’eux se cache un possible oppresseur. Et je sais très bien ce qu’elles veulent dire, car j’ai aussi autour de moi des hommes que j’aime et qui sont, a priori, des mecs très bien. Mon but n’est pas de nous amener au pugilat. Je m’étonne simplement que, après avoir entendu tant et tant de récits d’abus, d’humiliation, d’agressions, de viols, de la part de femmes de mon entourage proche ou lointain, je n’ai jamais (vraiment, jamais) entendu d’homme me raconter leurs versions de ces mêmes faits. Statistiquement pourtant, si toutes les femmes que je connais ont au moins une histoire d’abus dont elles sont prêtes à témoigner, il est impossible qu’aucun homme de ma connaissance ne se soit, ne serait-ce qu’une fois, retrouvé dans la position de l’abuseur. Question de mathématiques pures. Je demande : où êtes-vous ? Et ne me répondent que des mecs bien, qui, de surcroît, cherchent à faire de moi une féminazie et d’eux-mêmes les victimes de mes généralités à l’emporte-pièce. 

Alors, reprenons. Selon Pauline Harmange, en tant que dominant, « ne pas entendre les émotions d’un interlocuteur est un choix : celui de ne pas vouloir comprendre leur origine, et refuser d’envisager qu’on puisse en être responsable. » Je comprends bien que la remise en question ne soit pas facile : se regarder en face et reconnaître que nous faisons partie, au sein d’un système oppresseur, d’une catégorie privilégiée et donc dominante (ce qui est par exemple mon cas en tant que femme blanche au sein d’une société raciste) demande une bonne dose d’humilité. Et une sincère envie de faire bouger les choses. Pas évident en effet, de renoncer à ses propres privilèges ; encore moins de militer activement pour leur abolition. Il est forcément, tout au moins pour un temps, plus confortable de chercher à se défendre, à renvoyer la faute à nos accusateurs. Dire : tous les hommes ne sont pas comme ça ! ou : tous les blancs ne sont pas racistes ! revient à nier notre propre part de responsabilité dans le maintien d’un système oppresseur dont nous sommes les bénéficiaires. De la même façon, parler de misandrie ou de racisme anti-blancs comme équivalents de la misogynie et du racisme systémique n’a pas de sens et traduit un profond manque de volonté de comprendre le vécu des personnes qui subissent l’oppression.

Si l’on veut vraiment que les choses avancent, si l’on veut vraiment aller vers un monde où tous les êtres humains puissent jouir d’un accès égal à une vie digne et ne plus subir de discriminations de manière systémique (ce qui veut dire en raison de la catégorie sociale/sexuelle/raciale à laquelle on les restreint), il est indispensable de se demander sincèrement quel rôle nous jouons dans la perpétuation de ces discriminations et de ces oppressions. Il s’agit d’un processus de longue haleine, d’un travail quotidien, d’une observation de soi constante et sans cesse renouvelée. On ne déconstruit pas des millénaires de patriarcat et d’exploitation en une punchline trop bien rodée. Il faudra sûrement en passer par la douloureuse réalisation de nos comportements oppressifs, peut-être par la honte, par le sentiment que tout ce que l’on croyait si bien incarner soudain s’écroule. Puis tout reconstruire, autrement, en ayant cette fois conscience de nos privilèges et de la responsabilité qu’ils impliquent dans chacune de nos paroles, chacune de nos actions. Cela demande de l’humilité, cela demande du silence.

Alors, pour commencer, je n’ai qu’une requête : avant de clamer, comme tous les hommes, que tous les hommes ne sont pas comme ça, avant de vous ranger du côté des mecs bien en déroulant la liste de vos bienfaits ou de l’absence de vos méfaits, regardez-vous. Et même, avant cela : taisez-vous. Taisez-vous tout simplement, et vous nous entendrez peut-être. Alors, peut-être, le récit de nos expériences atteindront-ils vos oreilles, alors trouverez-vous peut-être dans ce silence l’humilité nécessaire pour prendre conscience de l’étendue de vos privilèges, du poids de votre domination. Alors, peut-être reconnaîtrez-vous à votre tour que vous êtes sous l’emprise d’un système qui certes vous favorise, mais vous dessert également. Et vous serez alors capables, au lieu de gaspiller votre énergie à vous exclamer que tous les hommes ne sont pas comme ça, de prendre vraiment part au démantèlement du patriarcat. Tous les hommes bénéficient de la protection et des privilèges du patriarcat. Tous les hommes peuvent utiliser ces privilèges pour combattre le sexisme et la misogynie. Faites votre choix.

* En référence, bien entendu, à l’essai Moi les hommes, je les déteste de Pauline Harmange, qui a attiré sur elle et sur ses éditeurs les foudres du patriarcat à l’été 2020.

** Voir les excellents posts de #farida.d.author sur Instagram

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.