Dans son ensemble, cette émission d’Arte fait peur en insistant lourdement sur l’augmentation du nombre d’euthanasies et les dérives. Le ton et le thème majeur sont donnés dès le début avec « Notre reportage nous conduira en Belgique où l’euthanasie est dépénalisée depuis 20 ans mais cette pratique montre désormais ces limites ».
Le problème de l’obsession avec les dérives est qu’on perd de vue la raison d’être de l’euthanasie et du suicide assisté, qui est de mettre fin à des souffrances insupportables qui résistent aux traitements. Dans l’émission seulement 2 cas pour maladies non psychologiques ont été décrits, une personne atteinte de la maladie de Huntington et une personne ayant eu une attaque cérébrale. Les 2 cas représentent seulement 6% du temps de l’émission ! Il n’y avait aucun cas de souffrances liées à des cancers, qui représente environ 60% des demandes d’euthanasie en Belgique, et aucun cas lié à la maladie de Charcot, une des plus redoutables. ARTE aurait pu présenter une palette plus large de cas, dont des cas français très médiatisés comme ceux d’Anne Bert, Alain Cocq et Paulette Guinchard qui sont allés à l’étranger afin de bénéficier d’assistance active à mourir, le seul moyen de mettre fin à leurs souffrances.
Les opposants à l’aide active à mourir sont habiles et détournent l’attention de l’essentiel en citant les cas les plus controversés, comme ceux liées aux problèmes purement psychologiques, qui ne représentent à peine plus que 1 % des euthanasies en Belgique et en Hollande. ARTE est tombé dans le piège, la preuve étant que plus de temps a été consacré aux cas psychologiques qu’aux autres cas.
De plus, Arte n’a pas attiré l’attention sur les raisonnements pour le moins fallacieux. Prenons l’argument basé sur les dérives et faisons un parallèle pour montrer que l’argument ne tient pas debout pour justifier une interdiction. En France, beaucoup de dérives ont récemment fait scandale pour mauvais traitement de patients en établissements de soins palliatifs. Convient-il de conclure qu’il faut interdire les soins palliatifs à cause de ces dérives ? Ou convient-il plutôt de mieux y contrôler ce qu’il s’y passe ?
Historiquement, la France était un pays précurseur pour ce qui concerne les droits de l’homme, mais elle est devenue plutôt suiveuse (par exemple, le mariage homosexuel), et même à la traîne en ce qui concerne l’aide active à mourir. Je rappelle que la Cour européenne des Droits de l’Homme a jugé, en octobre 2022, la loi belge conforme à la Convention européenne des Droits de l’Homme, et que récemment d’autres pays ont suivi ou sont en train de suivre l’exemple des pays du Benelux avec des législations permettant une aide active à mourir.
On peut toujours trouver des opposants à une avancée sociale. Imaginez, un pays où l’avortement est interdit, où 9 citoyens sur 10 y sont favorables et où le gouvernement lance une consultation publique. Imaginez que les médias de ce pays mettent en avant un expert français qui énumère ce qu’il perçoit comme étant des dérives en France, et que ces médias passent sous silence le fait que l’énorme majorité des français trouve le droit à l‘avortement tout à fait justifié. Trouveriez-vous cette approche médiatique normale ? Pourtant, ARTE vient de prendre une approche équivalente en mettant en avant le Néerlandais Théo Boer sur le plateau de l’émission.
Pourquoi ne pas avoir mis en avant des chiffres sur ce que pensent les populations des pays qui ont autorisé l’aide active à mourir ? Savez-vous que, selon le rapport de la CFCEE en 2020, 80% de la population belge souhaitait le maintien de la loi qui permet l’euthanasie ? (Je ne sais pas s’il existe un chiffre récent pour les Pays Bas, mais je sais qu’il n’y a pas de mouvement d’ampleur contre).
De plus, les propos que Arte a choisi de diffuser pour contrer le discours de Monsieur Boer sur les dérives sont très faibles. Vous dites que le médecin néerlandais Bert Keizer « insiste » sur le fait qu’il faut continuer à pratiquer l’euthanasie malgré les éventuelles dérives et augmentation des demandes. En réalité son message est à peine audible. Dans l’extrait choisi par ARTE, il dit « oui, il y a une pente glissante et on est dessus (…) les catégories qui pouvaient en profiter la première année étaient des personnes en fin de vie, et puis on a ouvert le droit aux maladies chroniques, puis aux patients psychiatriques, aux personnes âgées avec une accumulation de pathologies, on va toujours ajouter de nouvelles catégories, oui et je ne pense pas que c’est une mauvaise chose ». Le démarrage avec « pente glissante » donne un ton à l’ensemble négatif et les exemples qu’il donne sont utilisés par les opposants, donc j’étais surpris qu’il termine en disant que ce n’est pas une mauvaise chose, et comme (dans l’extrait) cette conclusion n’est suivie d’aucune justification, elle ne peut pas convaincre.
Sur les 8 « Européens éclairés » interviewés dans l’émission, la seule personne qui ait donné une explication convaincante de la raison d’être de l’euthanasie est Marguerite Garcia. Une personne, Dr Erica Preisig, a défendu le suicide assisté avec conviction. Personne n’a expliqué que l’euthanasie répond aux cas où le suicide assisté n’est pas possible, ni pourquoi la population du Benelux préfère l’euthanasie au suicide assisté.
Vous dites que vous avez « choisi des invités faisant preuve de nuance ». Il ne me semble pas que Monsieur Boer était dans la nuance. Il appelle les euthanasies « des homicides sur demande ». Il s’exprime comme s’il était évident que les euthanasies accordées pour des enfants et pour des cas de malades psychiatriques sont des dérives. Il cite le cas d’une jeune femme qui s’ouvrait régulièrement les veines pendant 15 ans mais qui a retrouvé son gout de la vie par la suite, comme si on pouvait décider du sort de tous les malades souffrant psychologiquement d’une manière insupportable à partir d’un seul et unique cas. Combien de suivis psychologues sont des échecs et combien de personnes finissent par se suicider malgré leur suivi ?
En ce qui concerne Madame Fourcade, effectivement son travail en soins palliatifs consiste à accompagner les gens vers la mort en douceur et sans souffrance, mais elle manque aussi parfois de nuance en refusant d’admettre, d’entendre qu’il existe des souffrances réfractaires à tout traitement. J’ai écouté le débat dans « Ça vous regarde » sur La Chaîne Parlementaire (LCP), diffusé le 8 avril 2021, intitulé « Loi fin de vie : paralysée par les amendements ». Entre autres participants étaient invités Alain Cocq (en liaison vidéo de son lit d’hôpital) et Claire Fourcade. Alain Cocq a décrit en direct ses souffrances et a expliqué que l’équipe de soignants qui s’occupe de lui n’arrivait plus à soulager ses atroces douleurs, plus rien ne l’aidait – ni morphine, ni opiacés, ni cortisones... Voici comment Mme Fourcade a réagi : « Avec chaque patient on construit des solutions (…) La loi nous fait obligation de soulager par tous les moyens (…) Je crois que les moyens techniques on les a (…) Je ne connais pas du tout la situation de M. Cocq (…) En tout cas dans ma pratique quotidienne, ça ne m’est jamais arrivé qu’on soit sans solutions (…). » En disant « je crois que les moyens techniques on les a » et « ça ne m’est jamais arrivé qu’on soit sans solutions », elle mettait directement en cause le témoignage de M. Cocq, et la réalité de son cas pourtant vérifiée par les enquêteurs de LCP. En présence de M. Cocq, elle a fait comme si lui et ses souffrances réfractaires n’existaient pas. Je tire la conclusion que Mme Fourcade est dans le déni. (Les souffrances de M. Cocq l’ont conduit à faire les démarches afin de bénéficier d’un suicide assisté en Suisse, accordé le 15 juin 2021.)
Comment ARTE peut-elle prétendre éclairer les citoyens français avec une émission qui passe à côté de l’essentiel, les souffrances épouvantables sans issue, parce qu’elle consacre un temps disproportionné aux soi-disant dérives, à l’augmentation du nombre d’euthanasies et à l’insuffisance des contrôles ?
Est-ce que Arte s’est demandé pourquoi une écrasante majorité des citoyens français s’exprimaient en faveur d’une aide active à mourir, sondage après sondage, malgré toutes les objections qu’ils entendent et malgré l’évolution des lois, y compris celle de Cleiss-Leonetti ? Est-ce que ce n’est pas parce que les citoyens savent pertinemment qu’il y a des souffrances auxquelles il n’y a pas de réponse médicale convenable ? N’ont-ils pas été confrontés à de tels cas dans leurs entourages, ou n’en ont-ils pas entendu parler dans les médias ? Ne savent-ils pas que des pays limitrophes offrent des solutions plus humaines ?
Je conseille vivement la lecture de deux livres écrits par des médecins :
- Dr Denis Labayle, Le médecin, la liberté et la mort, éditeur Plon
- Dr Yves de Locht, Docteur rendez-moi ma liberté, éditions Michel Lafon
Je vous remercie par avance de l’attention que vous voudrez bien à nouveau porter à mes propos, et j’espère qu’ARTE rectifiera le tir dans de futures émissions. Je vous prie de croire, Monsieur, en l’assurance de mes sentiments distingués.
Keith Lund
Citoyen français.
Correction : les dérives qui ont fait scandale en France ont eu lieu dans des Ehpads, pas dans des structures de soins palliatifs. __________________________________________________________________________________
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