La sédation profonde et continue jusqu’au décès, élaborée dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, “consiste à endormir profondément une personne atteinte d'une maladie grave et incurable pour soulager ou prévenir une souffrance réfractaire”, ont déjà entendu les 183 citoyens. Ils ont également compris que ce protocole présentait des limites.
D’abord, elle n’est accessible qu’aux patients en phase terminale de leur maladie, à qui il reste quelques heures ou quelques jours à vivre. Il y a des limites éthiques aussi, pour les plus critiques, car pour laisser partir un patient, on arrête ses traitements, nutrition et hydratation comprises. Sa maladie l’emporte alors dans un sommeil artificiel, sans que rien n’y fasse obstacle. L’incertitude sur l’état du patient lors de cette phase de coma est également source d’inquiétudes. Cela posé, il leur restait alors encore à comprendre : pourquoi un tel protocole? Et surtout, peut-on le modifier?
“Ce n’est pas la panacée, la sédation”
C’est non, pour Régis Aubry, médecin spécialiste des soins palliatifs, membre du Comité consultatif national d’éthique, et chercheur reconnu dans ce domaine. “Je fais partie de ceux qui pensent qu’il y a une place pour la sédation profonde et continue, mais cette place n’est pas extensible”, a-t-il avoué aux citoyens au premier jour de ce cinquième week-end de Convention sur la fin de vie.
Pas extensible, d’abord en termes de temporalité. D’après le spécialiste, il ne serait pas possible d’ouvrir la sédation profonde et continue aux patients dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. “Le médicament qu’on utilise a un effet qui est limité dans le temps [...] assez vite, le médicament perd de son efficacité, obligeant à augmenter les doses pour avoir le même effet”. On ne pourrait donc pas étendre le protocole sur plusieurs semaines. Dans les faits, le patient reçoit un sédatif, le Midazolam, censé altérer sa conscience. Mais c’est bien l’arrêt des traitements, de la nutrition et de l’hydratation qui doit provoquer son décès.
Régis Aubry a également questionné l’idée selon laquelle la sédation profonde et continue permettrait “d’éviter toute souffrance”. C’est, du moins, ce qui est inscrit dans la loi Claeys-Leonetti de 2016. “Je ne pourrai pas dire avec certitude qu’on endort la souffrance de quelqu’un. On l’atténue”. Le sédatif est associé à des antalgiques afin que le patient n’éprouve pas de douleur. La souffrance physique est donc prise en charge, mais rien n’est prouvé concernant la souffrance psychologique. “Il ne faudrait pas qu’on atténue, non pas la souffrance, mais la possibilité de l’exprimer”, relève le chercheur, qui souhaiterait pouvoir étudier le cerveau d’un patient sédaté et trancher sur ce point nébuleux. “C’est très difficile de faire de la recherche auprès de personnes qui sont à la fin de leur existence, sur un plan éthique”. La conclusion de son audition, donc : “Ce n’est pas la panacée, la sédation.”
Les citoyens reprennent leurs travaux
Après l’audition de Régis Aubry, les citoyens ont repris les sept propositions qu’ils avaient déjà écrites sur la sédation profonde et continue. C’est d’ailleurs eux qui ont demandé à entendre un expert pour évaluer leur faisabilité. Et le verdict a été sans appel. Ils ont voté pour la suppression de quatre d’entre elles, et les trois autres sont vouées à être modifiées. C’est un retour en arrière dans l’avancée des travaux pour certains. “Je pense qu’on a mis la charrue avant les bœufs, si M.Aubry était venu avant, il n’y aurait pas eu cette confusion”, a regretté l’un des citoyens, dans l’assemblée.
Il reste aux citoyens encore un week-end de délibération. Le mois prochain, ils devront harmoniser leurs 346 propositions avant de livrer leurs travaux à l’Assemblée nationale, le 19 mars.
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Le soutien à l’aide active à mourir, largement majoritaire à la Convention citoyenne
La cinquième session de la Convention citoyenne sur la fin de vie s’est clôturée sur un débat sur l’aide active à mourir. Une écrasante majorité des 166 citoyens présents ce week-end y sont favorables.
Les citoyens sont entrés dans le vif du sujet, au dernier jour de cette cinquième session. Ils ont débattu sur le droit de mourir, et sur les modalités d’une éventuelle légalisation. Sur les 166 présents, seuls 25 d’entre eux se sont positionnés contre toute forme d’aide active à mourir. Les autres étaient 101 à se montrer en faveur d’une aide active à mourir complète, comprenant à la fois l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. 30 se sont positionnés pour le suicide assisté et 5 pour l’euthanasie uniquement.
Pour rappel, la différence entre euthanasie et suicide médicalement assisté, c’est l’engagement du patient dans l’acte. Bien qu’accompagné, il sera autonome dans le cadre d’un suicide assisté, alors qu’une euthanasie implique que son médecin lui injectera le produit létal. Même si les médecins sont majoritaires à se positionner en faveur de l’aide active à mourir – 71% d’après le sondage medscape réalisé en 2020 – c’est en cela qu’ils se montrent plus frileux concernant l’euthanasie.
Régis Aubry soutient le modèle de l’Oregon
“C’est très ambigu pour un professionnel de la santé d’être celui à qui on demande de soigner et en même temps d’injecter un produit létal”, explique Régis Aubry médecin et professeur associé de médecine palliative. Il connaît bien les craintes de ces médecins, car sa discipline est traditionnellement contre toute forme d’aide active à mourir. Lui a pris des pincettes, mais s’est pourtant positionné en faveur du suicide assisté pour les personnes atteintes de maladies incurables, sur le modèle de l’Oregon. “Ce qui est intéressant dans le modèle de l’Oregon, c’est de voir qu’entre un tiers et la moitié des personnes qui ont demandé le produit [létal] ne vont pas chercher […] mais que l’ensemble des personnes estiment que c’est rassurant de savoir que c’est une possibilité”.
Membre du Comité consultatif national d’éthique, il a participé à l’écriture de l’avis 139 sur l’aide active à mourir et en reprend les conclusions. “La discussion que nous voulons avoir éventuellement sur une évolution du droit, elle présuppose qu’il y ait un engagement politique fort, clair, et constant”. A l’entendre, le droit de mourir est une question de société plus qu’une question médicale.
Après débat à la Convention, les citoyens devront donc s’accorder sur les modalités de l’aide active à mourir, s’il en est. Beaucoup de questions sont encore en suspens. Parmi elles, quid des malades qui ne sont plus autonomes physiquement, dans le cadre d’une légalisation uniquement du suicide assisté ?