Billet de blog 9 janv. 2023

MarkLeeHunter1
Journaliste, écrivain et chercheur.
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Les soignants de la Convention citoyenne contredisent les statistiques : barrage à l’aide active à mourir

À la fin du troisième week-end de la Convention, les citoyens ont demandé à entendre des témoignages complémentaires à ceux des médecins, infirmiers et psychologues invités pour la deuxième session. Tous ces derniers étaient en effet contre l’aide active à mourir. Étrange. Par Angèle Delbecq, Jean-Louis Touraine et Mark Lee Hunter

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À la fin du troisième week-end de la Convention, les citoyens ont demandé à entendre des témoignages complémentaires à ceux des médecins, infirmiers et psychologues invités pour la deuxième session. Tous ces derniers étaient en effet contre l’aide active à mourir. Étrange.

« Le hasard a fait que les 14 personnes que nous avons auditionnées se sont toutes montrées très défavorables à l’aide active à mourir », s’est étonné Martial, l’un des citoyens tirés au sort, auprès du Nouvel Observateur. On a presque l’impression qu’en France, toute la profession s’oppose au droit de mourir. De manière globale, le deuxième week-end de la Convention était trusté par les intervenants “anti” sur ce débat, nettement plus nombreux que ceux représentant la tendance “pro” lors du premier week-end. Le Conseil économique social et environnemental, organisateur de l’événement, a d’ailleurs souhaité rectifier le tir du pluralisme, à la demande des citoyens, lors de la troisième session.

Reste que ce monopole des soignants refusant l’aide active à mourir est étonnant, comparé aux études de l’opinion des médecins sur ce débat. D’après un sondage Medscape en juin 2020, 71% des médecins interrogés seraient favorables à l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté, dont 29% sous conditions.

Pourtant, du hasard, il n’en relèvent que les 6 médecins de l’hôpital de Garches, contactés par le CESE. Le seul médecin à s’être montré plus nuancé sur la question en fait partie. Et encore, il n’est pas aisé pour un soignant de se positionner publiquement pour le droit de mourir. La parole revient alors plus facilement à ceux qui y font barrage.

Les ordres ont donné le ton 

Le CESE a ensuite fait appel à différents organismes, tels que les ordres des professionnels de santé, qui se sont chargés de sélectionner des porte-parole. Les médecins interrogés dans le sondage Medscape sont individuellement et anonymement favorables à une évolution de la loi. Mais en tant qu'institutions, les ordres des médecins et des infirmiers ont publiquement statué : fermement contre. D’aucuns se demandent s’ils ont fait du forcing pour dominer ce moment dans la Convention.

Tous les médecins sur scène à la Convention citoyenne ont considéré en effet que la loi Claeys-Léonetti de 2016, qui limite l’aide à mourir à une « sédation profonde et continue » suite à l’engagement du pronostic vital, serait suffisante, si toutefois ils pouvaient l’appliquer. Manque de moyens, manque de personnel, donc manque de temps pour soulager les patients ou écouter leurs envies de mourir. “On est aujourd’hui dans une situation où la part de temps non liée à des actes de soins a été très contractée dans les organisations du système de santé”, témoigne Djillali Annane, médecin réanimateur.

Mais le manque de moyens est la croix de tout l’hôpital public. On ne peut espérer que les conditions de ses professionnels s’améliorent d’ici peu. En tout cas, les soins palliatifs ne seront pas prioritaires pour les médecins, selon notre co-auteur, Jean-Louis Touraine, ancien président du groupe de travail sur la fin de vie à l’Assemblée nationale et ancien médecin. Dans le contexte d’une grave pénurie de médecins, ceux-ci auront plus tendance à s’orienter vers le traitement de malades qu'on peut guérir, qui ne sont pas en fin de vie. C’est déjà le cas.

Les soins palliatifs en France, à l’origine contre l’aide active à mourir

Dans le groupe des médecins, psychologues et infirmiers invités par le CESE, une majorité travaille justement en soins palliatifs. Logique, c’est la spécialité la plus concernée par les questions sur la fin de vie. En France, pourtant, cette discipline est traditionnellement contre l’aide active à mourir. Ce n'est pas étonnant qu’aujourd'hui encore, les soins palliatifs à la française soient distincts des soins palliatifs des autres pays, en ce qu’ils n’envisagent nullement la liberté de choisir sa mort. À la Convention, certains de ces soignants ont été sélectionnés en tant que membres de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, un organisme très engagé politiquement sur cette question.

Que proposent ces soignants ? Verbaliser la souffrance serait le meilleur moyen pour remédier à la demande de mourir, d’après ces professionnels. Ainsi, “le meilleur outil, c’est la chaise”, a imagé Diane Friedman, médecin réanimateur. Il faut s’asseoir pour écouter le patient, le soulager, et “très souvent cette demande se transforme à partir du moment où on arrive à identifier ce qui fait souffrir”, ajoute Sigolène Gautier, psychologue en soins palliatifs.

Une étude réalisée par des médecins réputés des soins palliatifs et publiée en 2022 démontre clairement que les propos cités plus haut ne font plus l’unanimité. Sur un échantillon de 55 patients qui ont demandé une aide active à mourir, et qui sont interrogés à nouveau une semaine plus tard,10 sont morts naturellement, et 23 ont réitéré leur demande sans obtenir satisfaction.

Et les 22 qui n’ont pas réitéré leur demande ? Certains ont, en effet, exprimé leur apaisement, mais d’autres se sont retrouvés face à un mur. Parmi les motifs de leur silence, on peut lire de la résignation : “La demande a été faite, entendue, mais la patiente est consciente que nous ne pouvons pas formellement y donner suite”, ou de la déception : “Elle a éprouvé de la colère contre la loi Léonetti”. Elle avait espéré que la loi lui offrait la possibilité d’une mort assistée.

L’un de nous a vu cette situation à maintes reprises. Au bout de trois ou quatre essais, le malade ne demande plus. L’interprétation de certains médecins, c'est qu'il ne veut plus cette aide. Notre interprétation, c'est que, affaibli et épuisé par des mois et des années de maladie, le patient qui s’est tapé la tête contre un mur se résigne et attend. La mort, bien entendu. 

« Il suffit d’aller sur internet pour voir comment est-ce qu’on peut mourir ! »

Les patients sont les premiers concernés, mais l’ensemble des soignants est pleinement impliqué dans une éventuelle évolution de la loi. Le refus d’une aide à mourir peut traduire une angoisse de la part des soignants qui se considèrent comme les acteurs de la guérison et les maîtres du processus. “Si je peux à un moment activer la mort, alors comment est-ce que je peux continuer aussi à accompagner la vie ? C’est dans ces moments-là qu’il y a quelque chose qui me paraît un peu schizophrénique, presque”, a confié Sigolène Gautier, psychologue en service de soins palliatifs.

Diane Friedman va jusqu’à rejeter toute responsabilité pour des patients qui ont choisi de mourir : “Moi je suis aussi interpellée par les demandes de mort qui sont faites à des soignants [...] le suicide c’est pas interdit, on est en 2022, il suffit d’aller sur internet pour voir comment est-ce qu’on peut mourir !”. 

Djillali Annane, seul médecin du panel à s’être montré plus nuancé sur la question de l’aide active à mourir, fonde sa déontologie dans sa relation de confiance avec son patient. « Si l’on accepte de soigner une personne, ça veut dire que l’on accepte de mettre de côté ses propres considérations pour se consacrer à cet échange… ». Et après ? « Ce que, à titre personnel, je peux penser de la question n’influence pas et n’influencera pas mon comportement de soignant. » L’essentiel est dit.

Angèle Delbecq, Jean-Louis Touraine et Mark Lee Hunter

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