Billet de blog 16 décembre 2022

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Delphine VIELA

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Choisir notre mort, c’est aussi choisir pour nos vivants

Choisir notre mort est une décision profondément intime, tout comme choisir notre vie et nos libertés. Et parfois, souvent, cela vient heurter les attentes et la compréhension de nos proches. Dans le débat qui s’ouvre sur le sujet de l’euthanasie et le suicide assisté, c’est un sujet qu’il ne faut pas laisser dans l’ombre, sous peine d’ignorer les solitudes, les douleurs, les colères, les incompréhensions et les conflits que notre choix entraine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Choisir notre mort est une décision profondément intime, tout comme choisir notre vie et nos libertés. Et parfois, souvent, cela vient heurter les attentes et la compréhension de nos proches. Dans le débat qui s’ouvre sur le sujet de l’euthanasie et le suicide assisté, c’est un sujet qu’il ne faut pas laisser dans l’ombre, sous peine d’ignorer les solitudes, les douleurs, les colères, les incompréhensions et les conflits que notre choix entraine.

Parler de la mort est très souvent un tabou ou plutôt un silence. Pourquoi ? Sans doute parce que cela semble contredire ce pour quoi nous sommes ici : vivre. Parler de sa propre mort, assez abstraite en fin de compte, fait souvent peur à son entourage, parler d’une triste et douloureuse fin de vie fait peur à tout le monde, celui qui va l’affronter et qui n’a aucune idée de ce qu’il ou elle va devoir et pouvoir endurer, et son entourage qui sera forcément impacté par cette fin de vie. On aimerait que la vie et la mort se chargent de tout cela pour nous. Car quand on y réfléchit quelques instants, nous sommes tous d’accord que cela va nous arriver à tous à un moment donné. La question est juste Quand ? (Le plus tard possible) Comment ? (Le mieux possible) et Pourquoi ? (Là, je ne trouve aucune réponse satisfaisante juste un banal « Parce que c’est notre destin commun »). Et puis, nous voilà devant l’obstacle, sans possibilité de le refuser, avec une envie bien naturelle de nous cabrer et de détaler pour aller gambader dans les prés.

Pour les proches qui sont là, tous les jours, nous leur demandons d’accepter tout simplement la mort, si incompréhensible. D’accepter que l’autre s’en aille et le laisse seul. C’est un véritable travail, individuel et de groupe (amis, famille). Nos convictions et émotions se heurtent brutalement à celle des autres. Laisser l’autre partir, comment faire ? Nous avons tous, ou presque, été élevés dans l’idée que nous devions combattre ; pour vivre et contre la mort. Quelle drôle d’idée que ce combat perdu d’avance… Grapiller quelques années, quelques minutes, arrachées à un temps tellement infiniment plus grand que nous et dans lequel nous ne sommes que furtifs. Mais ça, c’est vite dit.

Il faut du temps pour accepter. Et il faut passer souvent par le déni (non, je le refuse, cette mort ne peut pas exister), la colère (bordel de merde, ne me prends pas celui que j’aime ! Va te faire foutre la mort), la transaction (encore un peu de temps, laisse-moi encore un peu de temps) et la dépression (et je m’enfonce dans une incommensurable tristesse si lourde et si collante) pour pouvoir accepter. Et notre temps, notre vitesse n’est pas celui de nos frères, de nos sœurs, de nos amours. Et nos peurs, nos croyances et nos certitudes ne sont jamais les mêmes, elles s’entrechoquent avec une incompréhension fracassante. Choisir sa mort, c’est souvent diviser irrémédiablement une fratrie, un groupe d’amis, un cercle d’accompagnants.

C’est aussi placer l’autre devant sa propre mort. Et c’est parfois violent. Et bien souvent paradoxal. Comment dire que nous sommes soulagés lorsque nos proches meurent, sans éprouver un peu de honte et de culpabilité ? Pourtant, j’ai plus de souvenirs de personnes apaisées, parce qu’elles pensent comprendre que celui ou celle qu’ils aimaient est parti(e) selon son souhait, qu’en colère de se sentir abandonnées par lâcheté. Mais il me semble impossible de ne traiter que par la rationalité une question qui remonte à nos origines d’êtres humains qui ont en partie imaginé leurs croyances et religions dans le but d’y répondre de manière supportable, si ce n’est acceptable.

Pouvoir se reposer alors parfois sur les soignants.

Mais les soignants aussi ont peur de la mort. Ils et elles la combattent chaque jour, c’est même leur métier. Et s’ils ont l’avantage d’un lien moins chargé d’émotion, d’enfance, de rires et de souvenirs merveilleux (quoique …), ils doivent composer avec la loi, leurs pratiques, leurs propres croyances, et le temps qui joue contre eux. Ils savent ce qui apaise et atténue les douleurs. Parfois pourtant, ils ne peuvent pas : trop de gens, pas assez de lits, pas assez de personnes spécialisées ou besoin simplement de se protéger pour pouvoir continuer.

Tout ça pour vous dire quoi ? Sans doute que choisir sa mort, son temps et son lieu, ne peut se faire sans penser à ceux qui vous accompagnent et sans renoncements. Accepter que votre entourage n’acceptera pas forcément vos mots et votre choix ; accepter peut-être de partir seul, si c’est possible. Ou savoir que, malgré toute votre volonté, vous aurez peut-être besoin d’eux pour pouvoir mourir et que, même avec une loi plus favorable, vous ne serez pas seuls décisionnaires.

Et savoir que vous êtes toujours libres et dignes de changer d’avis.

Un monsieur m’a dit un jour, avec notre bel accent occitan : « La mort, c’est pas d’en parler qui la fait venir ». En parler avec ceux qu’on aime, comme on parle de nos projets, même s’ils ne doivent jamais se concrétiser, simplement parce qu’on est vivant, permet peut-être de laisser venir notre mort, quels que soient les tours qu’elle nous jouera, avec plus de légèreté, d’adoucir la douleur de nos proches et d’aider les soignants dans le chemin qu’ils nous aideront à emprunter.

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