Billet de blog 17 février 2023

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Discrimination injustifiable entre souffrances réfractaires dans l’Avis 139 du CCNE.

J’ai rédigé et envoyé la critique de l’Avis 139 qui suit au Comité Consultatif Nationale d’Ethique en septembre 2022.

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Vous ne serez pas surpris que je salue le fait que le CCNE ait exprimé une ouverture à une aide active à mourir dans son Avis 139 concernant les situations de fin de vie.

Néanmoins, je souhaite m’exprimer au sujet d’une prise de position dans l’Avis qui, à mon avis, manque de cohérence.

Le CCNE attire l’attention sur des cas qui ne rencontrent pas de solution à leur détresse dans le champ des dispositions législatives actuelles. Il s’agit des personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais sont néanmoins confrontées au caractère inéluctable de la mort, et qui ne souhaitent plus vivre.

Le CCNE écrit : « Ces situations soulèvent de graves questions éthiques, particulièrement lorsque le pronostic vital est engagé à l’horizon de quelques semaines ou quelques mois ». Ainsi, le CCNE envisage la possibilité de suicidé assisté ou d’euthanasie seulement dans les cas où le pronostic vital est engagé à moyen terme, couvrant une période de quelques semaines à quelques mois.

Quel est le manque de cohérence que j’ai identifié ? Le CCNE attire fort justement l’attention sur les cas où le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, et afin d’y répondre envisage le suicidé assisté ou l’euthanasie pour les cas de pronostic vital à moyen terme. Le problème est que le CCNE n’évoque aucune solution pour les cas où le pronostic vital est engagé à un horizon au-delà du moyen terme. La conséquence est que la position du CCNE ne porte ainsi aucun secours aux personnes souffrant de certains cancers, de la maladie de Charcot, d’autres maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson), du syndrome d’enfermement et de quelques maladies génétiques, dont le pronostic est fatal mais où la mort survient lentement et peut prendre des années. Pourquoi ces situations soulèveraient-elles de moins graves questions éthiques que celles où le pronostic est de moyen terme ? Comment leurs souffrances pourraient-elles être moins importantes alors qu’elles durent plus longtemps ? Prenons par exemple les cas très connus d’Alain Cocq, Anne Bert, et Vincent Humbert ; trois personnes qui ont réclamé haut et fort une assistance à mourir, et que le refus en France n’a pas empêchées de trouver le moyen de mettre un terme définitif à leurs souffrances. Pourquoi l’Avis du CCNE n'a-t-il pas pris de tels cas en compte ?

L’Avis s’appuie sur un certain nombre de législations étrangères qui ont ouvert la voie d’une aide active à mourir pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à un horizon de quelques mois, mais ne fournit aucune justification explicite pour cette limite ; et passe sous silence, dans ce contexte, les pays comme la Belgique, les Pays-Bas, et la Suisse qui n’imposent pas de limite sur l’échéance de la mort. Pourtant, ces derniers pays ont acquis le plus d’expérience sur l’assistance à mourir et n’ont pas conclu qu’il convenait de mettre de telles limites. Comment le CCNE justifie-t-il cette lacune ?

En outre, le pronostic vital est loin d’être une science exacte. Je suppose qu’on s’appuie sur des moyennes arithmétiques provenant de cas similaires, mais qu’il existe de grands écarts autour des moyennes. Imaginez que des médecins évaluent le pronostic vital d’un patient avec souffrance réfractaire à 12 mois, mais que le patient meurt après 5 mois. Comment pourrait-on justifier qu’une assistance à mourir ait été refusée dans ce cas parce que son pronostic vital était initialement estimé à 12 mois ?

La limitation que je conteste me semble tellement infondée que la seule explication que je puisse trouver est celle d’un compromis face à des divergences internes au sein du CCNE. En tout état de cause, la position prise, sans aucune argumentation, me semble incompatible avec une réflexion éthique cohérente, ce qui selon moi ne peut que nuire à la crédibilité des avis du CCNE.

En espérant que vous ne m’en voudrez pas de ma franchise, je vous prie d’agréer l’expression de mes meilleurs sentiments.

Keith Lund.

[findeviereflechie.fr]

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