Mon frère est mort en janvier 2020 à l’âge de 59 ans de la maladie de Charcot.
C’est une maladie atroce et incurable. C’est au cours d’un voyage qu’il en a ressenti les premiers effets. Très rapidement, la famille a été sollicitée pour donner un accord commun à une décision personnelle sur le refus de l’acharnement thérapeutique.
Par la suite, le hasard a voulu que nous soyons également présents lorsqu’un médecin est venu lui expliquer le déroulement de la phase finale et la piqûre pour une sédation profonde. Ce fut une explication crue, violente et mal perçue par mon frère.
Mon frère a toujours voulu garder le contrôle sur sa maladie. De façon consciente et très méthodique, il anticipait chacune des étapes qui le rendraient de moins en moins valide et aussi parce qu’il voulait profiter de la vie jusqu’au bout. « Carpe diem » était son mot fétiche.
Quand les accès pentus de son appartement de Morlaix lui étaient devenus impraticables, il avait déjà envisagé de se replier sur la côte, à Roscoff, là où il pourrait encore profiter d’un maximum de mobilité dans un lieu qui concentrerait à la fois un cadre agréable pour finir ses jours et des structures de soins adaptés à sa maladie ; au centre de rééducation fonctionnelle de Perharidy par intermittence puis, lorsqu’il n’eut plus assez d’autonomie et que les aides à domicile devinrent plus difficiles, il réussit à se faire admettre à l’EHPAD Saint Nicolas de Roscoff, à quelques centaines de mètres de son domicile. La surveillance de nuit et une assistance respiratoire étant devenues obligatoires.
Lors d’une séance de kinésithérapie, il avait été choqué de voir l’état végétatif de certains malades. Cette idée le terrifiait. Il avait interrogé son praticien à ce sujet. Ce dernier l’avait en quelques sortes « rassuré » en lui expliquant qu’il n’irait pas jusqu’à ce stade (…)
Au départ, il a bénéficié d’une grande liberté avec son fauteuil électrique. Il pouvait sortir et se promener jusqu’au port comme il le souhaitait. Nous avons pu partager de bons moments avec lui à cette époque. Il s’était fait des amis parmi les Roscovites et il était reconnaissable avec le drapeau breton frappé d’une hermine qu’il s’était fait installer sur son fauteuil. Il donnait l’impression que tout allait bien. Il ne se plaignait jamais. Il avait un courage incroyable ! Et surtout à l’EPHAD, tout se passait vraiment bien.
Et puis le Covid est arrivé au pire moment de sa maladie. Sorties interdites, droits de visite limités. C’est là que les conditions de soins pour lui se sont dégradées.
Depuis quelques temps déjà la toilette ; dernier signe de dignité quotidienne pour mon frère nécessitait une sorte de palan et des efforts considérables pour les soignantes de l’EHPAD plus habituées à gérer des personnes âgées souvent atteintes d’Alzheimer qu’à effectuer ce travail de force plusieurs fois par jour. Elles l’ont fait cependant courageusement.
Avec le renforcement des contraintes sanitaires, le manque de personnel et la maladie elle-même qui sévissait parmi les résidents comme chez les soignants, il a semblé difficile pour la direction de l’EHPAD de conserver, parmi ses pensionnaires une si lourde exception.
Il y eut deux tentatives de transfert en soins palliatifs à Guipavas mais très vite, les conditions de soins parurent inacceptables avec un point rédhibitoire pour mon frère à propos de la seule douche autorisée par semaine.
Il y avait bien d’autres désaccord avec le corps médical mais le passage de la douche à la toilette au lit a été une étape très douloureuse pour lui. Il n’avait pas imaginé son déclin au-delà de ce point.
Cependant, il était resté combatif. De retour à Roscoff il entra en conflit ouvert avec la direction. Les griefs ne manquaient pas :
Personnel non formé pour s’occuper de son cas, manque de soignants, soins inadaptés au moment où il en avait le plus besoin. Il devait attendre le lever à 10h pour être mis sur sa chaise, confiné dans sa chambre, jusqu’au coucher à 17h. Un monde médical en surchauffe.
Il était révolté. Pour lui, le contrat n’était pas respecté. Il s’attendait à une assistance et des soins continus au sein de l’EPHAD jusqu’à la sédation profonde, mais cela ne s’est pas passé ainsi :
Pas de prise en charge psychologique. Pour lui, c’était vraiment difficile et épuisant. Il vivait cela comme de la maltraitance. Il respirait de plus en plus faiblement. Il parlait avec le peu de souffle qui lui restait et çà lui était pénible mais on percevait parfaitement combien il était indigné.
Il nous a demandé d’être son porte-parole auprès de la direction qui estimait qu’il n’était plus possible de lui faire prendre une douche parce que cela devait mobiliser trop de personnel et qu’il n’était plus en état d’un point de vue respiratoire. Les infirmières ont effectivement expliqué que la vapeur d’eau en suspension créait chez lui des suffocations qui les obligeait à l’extraire plusieurs fois de la douche au cours de la toilette.
Conflit, incompréhension, révolte. Lorsque nous sommes allés le voir le jour de Noël, il voulait nous dicter une lettre pour les médias. Nous avions un temps de visite limité, ce qui était d’autant plus difficile que nous avions un long trajet pour lui rendre visite. Quand il fut écoulé, une infirmière vint pour nous expulser… Mais l’affaire était grave. Nous nous sommes insurgés et nous avons demandé à parler à la directrice… Elle n’était pas là. C’était Noël !
Nous avons confié la lettre à son fils.
Les médias ont par la suite beaucoup parlé de maltraitance, du manque de moyens, du manque de personnel. Mon frère a souffert de tout cela dans les derniers moments de son existence.
Quelques jours plus tard, on lui a proposé de se vacciner il a accepté.
Y a-t-il un rapport ? Trop faible, il est mort dans la nuit.
Dans cette histoire, tout le monde a souffert.
Ce qu’il faut retenir c’est que dans un premier temps, mon frère a su très bien gérer sa maladie au travers de dossiers administratifs, les demandes de subventions et d’aides diverses pour pallier la perte de son autonomie. Beaucoup n’ont pas accès au soutien nécessaire pour surmonter le manque de connaissance des parcours et des droits. Cela lui a permis de rester un peu plus autonome.
Dès qu’il est devenu dépendant au niveau de sa mobilité, il a été considéré comme une charge et cela s’est ressenti dans tous les détails de sa vie quotidienne. Plus que tout, il a eu besoin de conserver sa dignité jusqu’au bout. C’est à ce moment-là, le plus dure à vivre, qu’il s’est senti dépossédé, qu’il a été le moins soutenu par l’institution. Dès qu’il est devenu une difficulté pour l’organisation, ni sa charge mentale face à la mort ni celle de ses proches n’ont été réellement prise en considération.
L’EHPAD était-il l’environnement le mieux adapté ? C’est ce qu’il a pu croire pour un temps.
Chacun a le droit à un accompagnement et une prise en charge de sa fin vie car si aucune ne se ressemble, toutes devraient s’accompagner jusqu’au bout d’une véritable dignité et considération.
C’est aussi plus facile pour les proches de faire leur deuil quand l’accompagnement est paisible.