Billet de blog 30 mai 2023

keith.lund.kl

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Deux visions de la fin de vie s’affrontent.

En France, la majorité des citoyens ne partage pas la même vision de la vie et de la mort qu’une large communauté de professionnels de santé.

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[Mise à jour de l’article publié dans ce blog Mediapart le 12 février 2023]

Je commencerai par quelques remarques avant d’aborder les différences entre les deux conceptions opposées de la fin de vie.

J’exprime dans cet article les conclusions que je tire de plusieurs études et de l’écoute de nombreux débats dans les médias et dans l’espace Ethique PACA Corse pendant lesquels des représentants et soignants du milieu des Ehpad et des services de soins palliatifs se sont exprimés.

Une majorité écrasante des français est en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté : il s’agit de plus de 90% de la population selon plusieurs sondages* ; et 76% des participants à la Convention citoyenne sur la fin de vie (après avoir écouté des spécialistes d’horizons diverses expliquer leurs arguments pour ou contre).

La position majoritaire des professionnels de santé n’est pas claire. D’une part, un sondage auprès de 1335 professionnels des établissements de soin palliatifs, réalisé par OpinionWay en septembre 2022, indique que 85% sont contre une mort intentionnellement provoquée. D’autre part, selon une enquête auprès de 2200 professionnels de la FEHAP, publiée le 21 mars 2023, une majorité serait favorable à ce qu’une nouvelle loi instaure une aide active à mourir : 59% de l’ensemble des professionnels, 30% des médecins, 67% des soignants (57% parmi ceux exerçant en soins palliatifs). Il n’y a pas de sondage à grand échantillon auprès de médecins exerçant dans des cabinets privés. Ce qui est clair est que les opposants des établissements de santé s’expriment avec virulence contre toute aide médicale à mourir, notamment la SFAP, tandis que ceux qui sont en faveur sont beaucoup plus discrets.

La différence principale entre la grande majorité des citoyens et les opposants du milieu médical est qu’ils ne partagent pas la même vision de la vie et de la mort, et je vais tenter d’éclaircir cette différence.

La divergence la plus importante réside dans l’interprétation de la notion de dignité, ce qui devient très visible quand il s’agit de la question de fin de vie.

Les opposants du milieu médical adhèrent à une vision de la dignité selon laquelle la vie humaine a une valeur intrinsèque à laquelle on ne devrait jamais porter atteinte, ce qui implique qu’il est irrecevable de provoquer la mort d’un patient délibérément quelles que soient les circonstances. C’est le point de vue inscrit dans le serment d’Hippocrate, dans sa version formulée par l’Ordre des médecins en France. L’aide active à mourir n’est donc tout simplement pas déontologique. Dans cet article j’appellerai cette vision la dignité selon l’Ordre des médecins, bien qu’elle ait une histoire beaucoup plus ancienne.

Les citoyens comprennent généralement la dignité différemment. Pour eux, la dignité est directement liée à l’état physique et mental de l’individu. Le sentiment de mener une vie indigne naît souvent lorsque l’on souffre physiquement et que l’on dépend entièrement des autres pour faire les choses les plus basiques de la vie, comme se laver, faire ses besoins, etc., ce qui peut engendrer un profond sentiment de frustration et de honte. La perte de dignité est également liée à une perte d’autonomie de la personne, la perte de toute possibilité de faire les choses qui donnaient un sens à sa vie, c’est-à-dire l’impossibilité de faire les choses qui l’intéressaient et la passionnaient. Cette perte est souvent la cause d’une immense souffrance psychique. J’appelle cette vision la dignité physique et psychique.

La vaste majorité des citoyens n’adhère pas à la conception de dignité soutenue par l’Ordre des médecins français. La peur de perdre la dignité physique et psychique est une motivation importante derrière le désir des citoyens de pouvoir accéder à l’euthanasie et au suicide assisté, au cas où ils auraient besoin d’y recourir un jour. Si les opposants du milieu médical comprennent bien la dignité physique et psychique, ils n’acceptent pas pour autant qu’elle puisse devenir une raison pour pratiquer de l’aide active à mourir.

Une conséquence de la vision de la dignité de selon l’Ordre des médecins, est qu’aider à mourir ne saurait en aucun cas constituer un soin. A l’inverse des Français, qui à 82% considèrent l’euthanasie et le suicide assisté comme des soins de fin de vie (sondage Ifop pour l’ADMD en octobre 2022).

Les opposants du milieu médical préfèrent la sédation profonde à l’euthanasie parce qu’ils n’acceptent pas qu’un médecin ou un soignant puisse provoquer la mort. La sédation profonde consiste à retirer tous les soins qui gardent en vie, y compris l’alimentation et l’hydratation, et à mettre le patient sous sédation afin qu’il ne souffre pas en mourant. Leur conviction est qu’on laisse ainsi le patient mourir naturellement.

Je me demande si les citoyens comprennent cette distinction entre provoquer la mort et laisser mourir. Pensent-ils que suspendre l’alimentation et l’hydratation d’un patient est un moyen de ne pas provoquer la mort ? J’en doute. Les citoyens pensent-ils qu’administrer un cocktail de produits chimiques qui sédate afin de contrer l’agonie de mourir de faim et de soif est une façon de laisser mourir naturellement ? J’en doute fortement. En outre, des citoyens qui ont assisté à la sédation profonde d’un proche ont été choqués par la persistance de signes extérieurs de souffrances manifestes tels que gémissements, dessèchement de la bouche, etc.

Une autre particularité des opposants du milieu médical, est qu’ils n’arrivent pas à accepter qu’un patient puisse véritablement souhaiter mettre fin à sa vie. Ils ont tendance à nier qu’une telle demande puisse être ancrée dans l’être profond du patient, en affirmant, par exemple, que le patient est vulnérable et subit une pression sociale qui l’amène à penser que sa vie est inutile. Et ils répètent constamment que le désir de mourir disparaît quand le patient est pris en charge et bénéficie de leurs soins. Or, une étude récente menée en Bourgogne-Franche-Comté, et publié dans Elsevier en Septembre 2022 contredit cette affirmation. Elle indique en effet que la moitié des patients ayant demandé une aide active à mourir ont réitéré leur volonté avec détermination. La même étude révèle aussi que ceux qui n’ont pas renouvelé leur demande n’ont dans l’ensemble pas été sollicités pour le faire, ce qui confirme la difficulté institutionnelle à établir un dialogue sur ce sujet entre patients et soignants qui soit suivi et constructif. La motivation derrière la répétition des demandes traduit le désespoir des patients face à leur situation, leurs difficultés à endurer la souffrance, qu’elle soit physique, psychique, sociale et/ou existentielle. Presque tous ont déclaré avoir des difficultés à gérer leur perte d’autonomie.

Les opposants du milieu médical se comportent comme si vivre était un devoir, quelques soient les conditions de cette vie, tandis que la majorité des citoyens comprend que le droit à la vie n’implique pas automatiquement un devoir de vivre. Quelqu’un qui considère qu’il a bien profité de son autonomie pendant sa vie et ne souhaite pas vivre dans une situation de forte dépendance, de quel droit lui imposer de vivre contre sa volonté ? Même après avoir entendu des soignants témoigner que d’autres personnes dans des circonstances similaires avaient retrouvé un sens à leurs vies une fois qu’ils les avaient été pris en charge, un patient peut toujours réclamer une assistance à mourir parce qu’il estime qu’il a suffisamment vécu. Une telle optique dépasse l’entendement des opposants.

De plus, les opposants du milieu médical ont tendance à interpréter tout signe de plaisir chez un patient, comme un signe de désir de vivre, et ils ont du mal à appréhender le ressenti global du patient basé sur la somme de ses plaisirs et souffrances. Les citoyens pensent qu’au-delà d’un certain degré de souffrance, malgré quelques plaisirs, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue.

Face à des patients qui demandent de l’aide à mourir, les opposants du milieu médical évoquent aussi l’importance de la collégialité, en prônant de prendre en compte l’avis de l’entourage familial et celui des médecins. Ils soutiennent, entre autres, qu’il est légitime de prendre en compte l’épreuve que les membres de la famille subiraient en voyant disparaître leur bien-aimé de façon anticipée si on l’aidait à mourir. La conséquence en est que les soignants peuvent ainsi imposer des vies de souffrance à des patients, tout en ayant bonne conscience et en restant convaincus de leur bienveillance. La majorité des citoyens n'est évidemment pas d’accord parce qu’elle veut pouvoir bénéficier d’une aide à mourir au cas où elle en a besoin. Il est fort probable que les citoyens se demandent pourquoi ils devraient subir des souffrances insupportables en fin de vie alors qu’ils vont mourir inéluctablement de leur affection, et que la famille proche va devoir, de toute façon, y faire face dans un avenir proche.

Il est important de savoir que, dans les pays ayant dépénalisé l’aide active à mourir, l’Ordre des médecins, ou son équivalent, n’adhère pas à l’interprétation très restrictive de la dignité adoptée par l’Ordre des médecins en France, et que la Cour européenne des Droits de l’Homme juge l’euthanasie conforme à la Convention européenne des Droits de l’Homme, tant qu’elle est accompagnée de contrôles permettant d’éviter les abus.

Dans une démocratie, faut-il donner raison aux opposants du milieu médical, ou bien aux citoyens ? Les pays du Benelux ont tranché et choisi de suivre la volonté des citoyens, et 80% de la population belge souhaite le maintien de la loi qui autorise l’euthanasie après 20 ans de pratique (rapport de la CFCEE, 2020).

Suite aux conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron a demandé qu’un projet de loi soit coconstruit par des ministres et des parlementaires, ce qui constitue une approche nouvelle.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans son avis de mai 2023, préconise le droit pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrance physique ou psychique insupportable et inapaisable, de demander l’aide active à mourir : suicide assisté ou euthanasie. Cette formulation me semble juste. 

L’enjeu pour le projet de loi sera d’établir des conditions d’accès à l’aide médicale à mourir qui ne soient pas compliquées, et de ce fait aurait pour effet de rebuter les demandeurs avec la conséquence que des patients continueront de recourir à l’étranger. Que ne se représentent plus de cas comme ceux d’Alain Cocq, Anne Bert, Paulette Guinchard et Vincent Humbert, personnes qui ont été forcées de mettre une fin définitive à leurs souffrances hors du cadre de la loi française !

Keith Lund
http://findeviereflechie.fr/
#findeviereflechie

Références :

*Sondages grand public : Ifop pour l’ADMD en février 2022 ; Ipsos Public Affairs « La situation des libertés publiques en France » en mars 2019 ; Ifop “Le regard des Français sur la fin de vie à l'approche de l'élection présidentielle” en mars 2017.

Enquête OpinionWay auprès de professionnels de soin palliatifs pour la SFAP : https://www.sfap.org/system/files/opinionway_pour_sfap-_perception_de_levolution_de_la_legislation_au_sujet_de_la_fin_de_vie_-_octobre_2022.pdf

Enquête auprès de professionnels de la FEHAP (Fédération de référence du secteur privé solidaire en Santé) : https://www.fehap.fr/jcms/navigation-internet/infographie-enquete-fin-de-vie-11310_DBFileDocument

Sondage Ifop grand public pour l’ADMD « Le regard des Français sur la fin de vie » : https://www.admd.net/articles/sondages/sondage-ifop-attentes-des-francais-legard-de-la-convention-citoyenne-sur-la-fin

Etude en Bourgogne-Franche-Comté intitulé « Évolution des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté selon les professionnels de santé », ELSEVIER, 28 Septembre 2022

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