L’appel à consulter lancé par Xavier Bertrand en début de semaine à « tous ceux qui ont pris du Mediator » suscite forcément de très nombreuses réactions et l’avocat de plusieurs victimes évoque déjà « un nouveau scandale sanitaire.» Ce coup de projecteur met en lumière une bien sombre facette d’une industrie de santé, qui se révèle avoir de l’intuition en matière de recrutement.
L’administration lambine
Que bon nombre de commentateurs, experts médicaux de tous bords, s’interrogent sur l’interdiction trop tardive du médicament en France, le rôle joué par l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) mais aussi par la CNAMTS qui aurait mis près d’un an à confirmer de très nombreux soupçons, n’étonne personne. Ces dysfonctionnements dénoncés sur toutes les ondes par le docteur Irène Frachon, pneumologue au CHRU de Brest, se répandent comme une trainée de poudre. Ce médecin, qui a eu le courage des premières révélations n’hésite plus à parler des pressions dont elle a pu faire l’objet et surtout de la suspicion des équipes de l’Afssaps qui semblent avoir trop longtemps dénigré ses travaux. Face à ce scandale, on peut se poser la question de l’indépendance de cette agence d’État, aujourd’hui financée à 100% par les entreprises qu’elle a la charge de contrôler. Alors, même si cet argent est récolté par l’État auprès des entreprises sous la forme d’un impôt, d’une taxe attribuée ensuite à l’établissement public ( Afssaps) sous forme de dotation budgétaire (pour un montant de 111,5millions € pour 2010), cette unique source de financement interpelle et l’on comprend que cela puisse faire vaciller son indépendance. (1)
Et si l’État prenait ses responsabilités ?
Dans le cadre de l’affaire du Médiator révélée cette semaine, on pourrait donc admettre que les pouvoirs publics, assument leurs responsabilités vis-à-vis des patients auxquels l’appel est destiné. Dans ces conditions, on pourrait même suggérer que l’Afssaps, et donc indirectement que l’industrie, rembourse les frais de consultation liés à la surveillance des effets secondaires du médicament. Un vrai coup politique pour Xavier Bertrand, une mesure courageuse, citoyenne et sans précédent, bref une occasion à ne pas manquer !
L’État n’a jamais fait preuve de précipitation dans le remboursement ou la prise en charge de frais, quels qu’ils soient, mais c’est une idée que l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) pourrait par exemple proposer dans le rapport qui lui a été commandé cette semaine, attendu par le ministre à l’aube de l’an prochain, c'est-à-dire…demain.
Satanée indépendance
La situation amène aussi à s’interrogesur les liens des membres de ce nouveau gouvernement avec l’industrie pharmaceutique, peu bavarde sur les effets secondaires des produits qu’elle commercialise. Un problème soulevé cette semaine par le député de Haute-Garonne, le cardiologue Gérard Bapt. Il pointe notamment du doigt Nora Berra, fraîchement nommée secrétaire d’État à la Santé, à laquelle il reproche trop de proximité avec ces entreprises, demandant « sa démission pure et simple. »
La curiosité pousse à jeter un rapide coup d’œil sur sa biographie en ligne sur le site Web du ministère depuis quelques jours(2). Une ascension politique fulgurante qui tient en quelques lignes et qui oublie de désigner clairement les entreprises Boehringer Ingelheim, Bristol Myers Squibb, Sanofi Pasteur ni MSD France, qui l’ont successivement rémunérée de 2002 à 2009. D’utiles précisions qui s'apparente à une déclaration d'intérêts, que l’Afssaps réclame pourtant au moindre expert avant de participer à l’évaluation d’un médicament et qui pourraient bien se révéler tout aussi utiles lors du choix en toute connaissance de cause, des membres d’un nouveau gouvernement. Simple question de Benchmarking !
Un oubli peut en cacher un autre
Un péché par omission qui pourrait bien ne par être le seul. Médecin, Nora Berra annonce pas moins de 10 publications scientifiques à son actif. Des articles finalement assez difficiles à trouver puisque le très honorable moteur de recherche pubmed, réputé pour les repérer, n’en trouve que trois(3). Mais à ce stade, on peut parfaitement comprendre que certains travaux surtout s’ils sont techniques puissent rester assez confidentiels.
Autre ombre au tableau, ses conditions d’exercice à l’hôpital Édouard Herriot à Lyon dans le service d’immunologie clinique dirigé par professeur Jean-Louis Touraine, maire du 8e arrondissement de Lyon que Nora Berra a aussi affronté à la même époque lors des élections municipales dans ce 8e arrondissement lyonnais en 2008. Il semblerait en effet que Nora Berra, pourtant diplômée de l’université d’Oran ne se soit jamais inscrite au Conseil de l’ordre des médecins. Même si ce mode d’exercice à l’hôpital reste légal, il n’est pas tout à fait exemplaire. Précisons au passage que le Conseil de l’ordre des médecins réclame systématiquement copie des contrats passés par les médecins, notamment avec l’industrie pharmaceutique.
À propos d’affaires...
Celle du Mediator pourrait bien revenir en boomerang. Dans ce nouveau gouvernement, la Santé dont les dépenses dépassent les 10% de PIB, reste l’une des premières préoccupations des Français, mais n’a pas hérité d’un ministère à part entière. Sans douter des compétences de Nora Berra, la Santé ne fait aujourd'hui l’objet que d’un secrétariat d’État aux marges de manœuvre et aux décisions forcément limitées, que l’on sent déjà fragilisé. Dans ce remaniement, les affaires sociales ont quant à elles purement et simplement disparu.Enfin pas tout à fait…. On écope tout de même d’un ministère des solidarités et cohésion sociales. Vu les circonstances, on peut tout de même s’interroger sur la seule disparition du mot « affaires.»
(1) budget de l’Afssaps- http://www.afssaps.fr/L-Afssaps/Qui-sommes-nous/(language)/fre-FR
(2) biographie de NoraBerra - http://www.sante-sports.gouv.fr/biographie,519.html
(3)publications scientifiques - pubmed http://bit.ly/9pYhxu