Billet de blog 23 oct. 2008
Lois BACHELOT : une contradiction, un virus et une bombe à retardement
La Politique de Santé est au cœur des préoccupations des Français. Son financement impacte fortement l’équilibre budgétaire et reste une question centrale de toute politique publique. Pourtant, ces deux dossiers sont à peine effleurés lors des campagnes électorales, et, en dehors de quelques points-vitrines, la politique de santé et le financement du risque maladie se découvrent au fil des législatures. Les projets de Loi dits « Bachelot » : Loi Hôpital Patients Santé Territoires (HPST) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2009) vont ils dans le bons sens pour consolider l’accès aux soins auquel tous les français tiennent ? Pour répondre à cette question, il est indispensable d’en resituer les enjeux. Au commencement, il y avait l’hygiénisme, l’urbanisation et la révolution industrielle. Les « having » comprirent peu à peu que les maladies contagieuses traversent les quartiers, les pays et même les océans, les nouveaux capitaines d’industrie que la productivité des ouvriers est directement liée à leur état de santé et les « having not » que le maintien de leur dignité passe par la lutte politique contre les privilèges. Et puis il y a eu la 2e guerre mondiale et l’exposé des motifs à l’instauration de la « sécu » en 1945 :« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. »C’est l’aboutissement d’un principe fondateur de toute politique sociale : permettre à ceux qui n’ont que leur force de travail, sans possibilité d’épargne ni d’accumulation de biens, d’être protégés contre les aléas de la vie. Là se dessine la rupture avec la tradition caritative, cette protection devenant un droit, une contrepartie à la vie passée à travailler en gagnant juste de quoi vivre.Derrière des préoccupations très politiques (il fallait donner des garanties à une classe au bord de l’insurrection, emmenée par un parti communiste puissant) il y a le génie des concepteurs de l’assurance maladie qui ont préparé le terrain pour une couverture de l’ensemble de la population contre le risque maladie, devenant ainsi les inventeurs de la mixité sociale, concept sans lequel aucune politique de solidarité ne peut réussir.Voilà, rapidement brossés, les éléments du pacte républicain qui fondent la nation française, bien plus que la monnaie ou même le drapeau.Notre système de santé, reconnu dans le monde comme l’un des plus efficients, a été construit sur le principe Constitutionnel du droit à la santé et son corolaire: l’égalité d’accès à des soins de qualité.Un système de santé mixte, public et privé s’est développé en France sur ce principe, aidé par un financement collectif et solidaire, mis en place à la suite des ordonnances de 1945.La qualité des soins dispensés dans le secteur public est garantie par le statut particulier des praticiens appartenant à la Fonction Publique Hospitalière.La qualité de la Médecine de ville est fondée sur une relation de confiance établie entre les différents acteurs du système que sont les patients, les organismes d’assurance maladie et les praticiens exerçant sous forme de « professions libérales », qui, au passage, n’ont rien à voir avec le « libéralisme » économique, car, ici, la demande est solvabilisée par la collectivité nationale.Cette confiance est structurée autour de l’indépendance professionnelle des praticiens du secteur privé. Globalement, elle a fait ses preuves pour permettre à chacun de respecter ses obligations en matière de qualité, confidentialité, responsabilité.Soixante trois ans après, les besoins de solidarité face à la maladie sont toujours aigus en France, et pourraient l’être de plus en plus en cas de récession, voire de dépression économique.Mieux, l’OMS rappelle tout récemment les engagements de la communauté internationale à Alma Ata, il y a 30 ans, sur le droit universel des hommes et femmes de cette planète « à avoir accès à des soins de santé selon leurs besoins et indépendamment de leur capacité à les payer ».La politique de santé qui va être mise en place cet automne est elle à la hauteur de ces enjeux?Le détail des deux grosses lois que Roselyne BACHELOT présente, et dont les avant projets ont pas mal fluctués ces dernières semaines, pourra être utilement développé au fil des débats parlementaires, afin d’éviter les procès d’intention.Le projecteur mérite d’être allumé sur quelques points :1- Le PLFSS 2009 est une bombe à retardement. Il a été conçu avant la pleine expression de la crise financière. Déjà, au moment de sa conception, ce plfss se caractérisait par deux dérives bien connues : la première de ressembler étrangement aux 22 plans d’économies précédents, la deuxième d’entériner une logique curieuse qui consiste à constater un manque de recette et à le faire porter directement ou non, essentiellement par les prestataires de soins et les assurés, invités à travailler plus pour gagner moins…L’explosion de la crise financière a un impact direct sur l’emploi et donc sur la masse salariale, principale ressource de l’assurance maladie. Un point de masse salariale en moins équivaut à une amputation de 2 milliards d’euros pour le régime général. Pour 2009, des experts cités par la presse économique parlent d’une prévision à 1.5 points, soit 3 milliards, non prévus par le plfss. Va t on, en cours d’année, demander aux soignants des efforts supplémentaires ?, jusqu’où ? N’est il pas temps de changer de braquet et d’investir massivement dans un secteur créatif d’emplois et de croissance, tourné vers l’amélioration de la qualité de vie et de la productivité du pays ?. C’est un choix budgétaire, donc politique, fondé sur la volonté de ne plus considérer la santé seulement comme une charge. 2- La Loi HPST comporte des pistes intéressantes sur la gouvernance hospitalière, la répartition de l’offre de soin sur le territoire et la santé des jeunes. La question est de savoir si la préparation en aval a été suffisante pour que la gouvernance des hôpitaux et le management des Agences Régionales de Santé ne se transforme pas en fiasco social jetant les personnels hospitaliers, les médecins en formation et les administratifs dans la rue.Mais cette loi comporte un redoutable virus, inoculé par celui là même qui entend lutter avec une énergie sans précédent contre le capitalisme sauvage et ses excès financiers.L’article 20 prévoit une réforme de l’organisation et du fonctionnement de la biologie médicale par voie d’ordonnance. Pourquoi avoir choisi une voie sans débat parlementaire pour réformer cette profession ? Les biologistes sont médicaux en France, simples prestataires de service dans de nombreux pays d’Europe. Sous la pression de groupes financiers, la Commission Européenne exige de Paris qu’il procède à la dérèglementation de cette profession.En clair, c’est prendre le risque de voir un secteur important du soin primaire passer dans les mains d’une gestion financière court-termiste, avec tous les risques qui s’étalent actuellement à longueur de colonnes, et en créant un précédent vers une marchandisation globale des activités de soins.Les députés l’ont bien compris, à en juger par le nombre impressionnant de questions au gouvernement posées sur ce sujet, et assorties de réponses « langue de bois ».Ils ont parfaitement compris, également, que, lorsque le monde financier gèrera la distribution des soins, il sera bien placé pour ramasser les décombres du financement solidaire bâclé (voir le plfss) et ainsi, tenir la santé de leurs électeurs par les deux bouts.Charge au Parlement de remettre sur les rails le train fou.
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