Billet de blog 28 juillet 2015

Denis CONSIGNY

Abonné·e de Mediapart

La Conférence de Paris s’attaquera avec volontarisme… À 2,5 % des causes des dérèglements du climat.

Denis CONSIGNY

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Nous  nous apprêtons à tenir à Paris, à la fin de cette année 2015, une grande Conférence sur notre climat, sur ce que nous lui avons fait, mais aussi sur ce que nous aurions voulu ne pas lui faire lorsque nous avons pris, en 1972 à Stockholm, puis en 1979 et 1996 à Genève, en 1985 à Vienne, en 1987, 2005 et 2007 à Montréal, en 1989 et 2000 à La Haye, en 1992 et 2012 à Rio, en 1995 à Berlin, en 1997 à New York et à Kyoto, en 1998 à Buenos Aires, en 2001 à Marrakech, en 2002 à Johannesburg, en 2006 à Sydney et à Nairobi, en 2007 à Bali, en 2008 à Poznań et à Bangkok, en 2009 à Bonn et à Copenhague, en 2010 à Cancun, en 2011 à Durban, en 2012 à Doha, en 2013 à Varsovie, et enfin l’année dernière à Lima, toutes ces bonnes résolutions que nous n’avons pas tenues. La Conférence de Paris portera également sur ce que nous allons promettre de ne plus jamais lui faire, à notre précieux et fragile climat, parce que cette fois, oui cette fois, nous avons compris, nous avons enfin et définitivement réalisé que nous dépendions de lui plus encore qu’il ne dépendait de nous. Que, plus précisément, lui qui existait avant nous et qui perdurera bien au-delà de nous pouvait supporter, certes avec agacement mais sans conséquence majeure, toutes les manipulations, toutes les blessures, tous les affronts que l’espèce humaine lui a fait, lui fait et lui fera subir alors que, au-delà de quelques pour cent ou de quelques degrés de variation à lui infligés ce sont les tortionnaires que nous sommes qui étoufferont et qui disparaitront.

Juste un détail dont nous ne semblons pas avoir pris conscience : telle que programmée, la Conférence de Paris, comme toutes celles qui l’ont précédée, s’intéressera exclusivement à l’économie réelle, c’est-à-dire à la façon dont les un peu plus de 7 milliards d’individus qui peuplent notre planète produisent et s’échangent chaque année pour environ 60 Téraeuros de biens et services.  Cette conférence préconisera très vraisemblablement un moindre recours aux énergies fossiles, une production agricole raisonnée sinon raisonnable, des modifications significatives de nos habitudes de consommation et d’alimentation ; peut-être aura-t-elle l’audace de plaider pour une moindre croissance, ou du moins pour une croissance réorientée dans des directions moins insoutenables, pour le climat, pour la planète et pour l’humanité.

Tout cela, nous le savons par avance, sera admirable et dérisoire.

Admirable parce que les participants et les orateurs seront, pour la plupart, sincèrement convaincus de la justesse de leur combat et de la pertinence de leurs arguments.

Dérisoire parce que les débats porteront exclusivement sur l’économie réelle et n’effleureront à aucun moment l’économie virtuelle qui coiffe et vampirise cette économie réelle tellement visible que nous avons pris l’habitude de la tenir pour seule responsable de nos errements comme de nos déséquilibres. Dans une économie mondialisée où l’argent sert de vecteur et de traceur à toutes les activités, la Conférence se focalisera sur les flux, indicateurs des productions humaines annuelles et ignorera les stocks, générateurs inéluctables des flux à venir comme le montre par exemple  l’actuelle frénésie d’achats de produits de luxe qui s’est emparée de la frange aisée de la population grecque.

Le détail qu’oublient les organisateurs de la Conférence de Paris est que les pratiquants et prosélytes de l’économie virtuelle ont fabriqué et accumulé l’équivalent d’environ 40 années de PIB de la planète (2400 Téraeuros) sous forme de produits dérivés et structurés. La circonstance aggravante est que ces valeurs subreptices sont réputées ré injectables dans l’économie réelle au taux de Un pour Un. En d’autres termes, les détenteurs des comptes sur lesquels figurent les valorisations de ces contrats de gré à gré ont parfaitement le droit de les utiliser pour « monter dans des jets privés avec des baskets qui clignotent » comme le suggère un très beau texte de Fred Vargas[i].

Les organisateurs de la Conférence de Paris pourraient utilement lire (relire est malheureusement peu probable compte tenu de la diffusion de l’ouvrage, étonnamment confidentielle en regard de sa valeur intrinsèque) « le Nouveau Capitalisme Criminel » publié en 2014 par le Haut fonctionnaire de Police et le brillant essayiste qu’est Jean-François Gayraud[ii].  Ils comprendraient que la dénomination « virtuelle »  attribuée aux transactions de gré à gré et aux opérations de trading haute fréquence est totalement inadaptée. Ces créations de valeurs ne sont définitivement pas des opérations dématérialisées, neutres par rapport aux équilibres environnementaux. Ne serait-ce que parce que les liquidités qu’elles génèrent sont transformables en biens et services et parce que nous n’avons toujours pas trouvé la recette permettant de fabriquer des biens et de rendre des services sans impacter l’écosystème. Mais aussi parce que la course à l’armement informatique indispensable à la performance des opérateurs de THF (Trading Haute Fréquence) nécessite des centres de calcul gigantesques, faits de composants intégrant des tonnes de métaux lourds et rares dont l’obsolescence rapide obéit à l’inflexible loi de Moore, ce qui génère des impacts environnementaux  aussi colossaux qu’irréversibles, auxquels s’ajoutent des quantités d’énergie phénoménales produites et consommées pour transporter – souvent sous forme de faisceaux micro-onde – les informations nécessaires à la commission de ces délits d’initiés permanents auxquels personne n’a jamais pu trouver la moindre justification autre que celle de fabriquer de l’argent avec de l’argent et pour de l’argent, ni bien sûr la moindre utilité économique ou sociale.

Ces organisateurs sont a priori de fins connaisseurs du fonctionnement des écosystèmes, des mécanismes de pollution et des bonnes pratiques en matière de dépollution.

A ce titre, ils sont théoriquement bien placés pour savoir que les années qui séparent la mise en évidence du caractère toxique d’un produit des premières mesures permettant d’en interdire la fabrication et la diffusion coûtent dramatiquement cher. Les plus âgés d’entre eux ont vu se dérouler le film tragique de l’amiante, tandis que les plus jeunes continuent à payer la facture du désamiantage. Ils savent de façon irréfutable au moins depuis 2008 que la plupart des produits dérivés, et notamment les CDO et les CDS sont éminemment toxiques. Pas seulement une toxicité financière, qui plombe les comptes de la plupart des banques, des compagnies d’assurances, des Hedges funds et des caisses de retraite dans tous les pays dits développés et qui s’est diffusée dans les dettes publiques, transformant les Etats souverains en vassaux de leurs créanciers privés dont ils sont – la situation serait farce si nous n’en n’étions pas les otages – les  obligés au point d’en être les assureurs et les garants avec l’argent qu’ils seront forcés de ponctionner aux générations futures. Cet argent accumulé sans contrôle ni projet depuis les années 90, à la faveur par exemple d’opérations que leurs instigateurs qualifiaient eux-mêmes de « prêts neutrons » parce qu’elles étaient conçues pour tuer socialement les accédants à la propriété  en conservant intacte la valeur de leur résidences récupérées par le prêteur au premier impayé, c’est bien plus que du papier monnaie. C’est du sang et des larmes, ce sont des millions d’existences humainement gâchées parce que socialement sabordées  et c’est surtout du pouvoir d’achat en devenir. Donc du pouvoir de nuisance environnementale, dans la mesure où cette masse monétaire gigantesque (équivalant, rappelons ou plutôt martelons-le, à 40 années de PIB de la planète) est concentrée entre les mains de quelques happy fews dont le principal mérite est d’être arrivés parmi les tout premiers à un concours de circonstances. Les créateurs-détenteurs des richesses générées par les transactions de l’économie virtuelle représentent en effet moins de Un dix millième de la population mondiale. Aucune chance dans ces conditions qu’ils s’imposent spontanément un mode de consommation vertueux et qu’ils dissuadent leurs domestiques d’utiliser des lingettes jetables pour faire le ménage chez eux ou qu’ils deviennent du jour au lendemain des adeptes des toilettes sèches ou encore des utilisateurs assidus  des transports en commun.

En principe, les spécialistes de l’environnement qui préparent la Conférence de Paris devraient savoir que pour gérer un stock de produits toxiques, il n’existe que deux méthodes envisageables : l’incinération ou la dilution. Dans le contexte actuel où la plus grande partie de l’argent en circulation est de l’argent-dette, l’incinération se traduirait par une importante destruction monétaire, génératrice d’amplification des crises économiques et de nouvelles récessions. Elle devrait donc se limiter aux sommes dont les détenteurs refusent d’assumer la propriété sur un mode déclaratif (les fortunes orphelines parce que mal acquises ou non déclarées) et, moyennant certaines précautions, à l’abandon croisé des créances intra-européennes[iii]. Par contre les possibilités de dilution sont aussi nombreuses que potentiellement constructives : le chantier est immense, des équipements collectifs et des infrastructures dont nous avons besoin et que nous pensions être incapables de financer à cause d’un stockage abusif et faute d’une circulation suffisante de l’argent, sang de notre vie économique et sociale[iv]. De la mise en  sécurité des 450 réacteurs nucléaires en service sur la planète, à la création de routes, de lignes de chemin de fer, d’écoles et d’Hôpitaux, en passant par l’adduction d’eau et l’assainissement dans toutes les zones habitées de la planète, par la transition énergétique et par le cheminement vers une économie mauve et verte gérée en triple résultat, la liste est très longue des points de dilution potentiels de ces énormes masses d’argent mal acquis ou non affecté. L’obligation dé-virtualiser dans un délai maximal d’un an (sous peine de destruction par inscription en non-valeur) l’intégralité des sommes issues de l’économie virtuelle représente probablement la seule solution réaliste pour sauver non seulement le système financier mondial mais encore le climat. Et pas seulement celui des affaires… Restera alors à empêcher la récidive, par exemple en assujettissant à la TVA les créations de valeurs de l’économie virtuelle, ce qui n’empêchera pas les opérateurs financiers d’émettre des produits dérivés utiles à l’économie réelle et non toxiques (les contrats adossés à des sous-jacents identifiés et non échus) mais les dissuadera d’émettre tous les autres (CDO et CDS non ou mal adossés, options prises à découvert, crédits vendeurs réfugiés dans les dettes souveraines, etc…). Restera aussi et surtout à expliquer que l’argent n’est ni neutre ni anodin et que sa fabrication par lui-même et pour lui-même, constitutive d’un délit contre le climat, doit être enfin très sérieusement encadrée en tous lieux de la planète Terre…

Ces chers et dévoués organisateurs savent probablement tout cela, mais les droits à tirer sur le devenir de nos ressources naturelles et de notre climat accumulés par les bénéficiaires de l’économie virtuelle sont à ces grands messes planétaires ce que le dopage est au Tour de France cycliste : chacun sait que cela existe et que cela fausse tout. Mais personne n’en parle. Serait-ce, dans les deux cas, par crainte de contrarier les sponsors et de les voir se désengager ?

Alors qu’ils pourraient préconiser, pour protéger notre climat, des mesures très concrètes et très pragmatiques qui n’affecteraient, dans leurs seules activités professionnelles, qu’un petit dix millième de la population mondiale à qui ils offriraient une porte de sortie qui les protégerait de leurs propres turpitudes, les participants de la Conférence de Paris s’efforceront de culpabiliser les neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres dix millièmes et de les mobiliser, avec l’appui sans faille des médias, pour des combats qu’ils savent perdus d’avance parce que focalisés sur – et limités à – environ 2,5 pour cent du problème qui se pose à l’Humanité.

Oui, si nous gérions la neutralisation du stock de produits financiers hautement toxiques que nous avons laissé s’accumuler, si nous décidions de taxer les créations de valeurs de l’économie virtuelle aux même taux et conditions que celles issues de l’économie réelle et si nous exigions de tous les opérateurs économiques, quel que soit leur secteur d’activité, qu’ils conservent ce qu’ils achètent pendant une durée minimale d’une heure, nous obtiendrions, en termes de protection du climat, des résultats immédiats, tangibles, irréfutables et durables, plus de vingt fois supérieurs aux espérances les plus folles qui peuvent être placées dans les hypothétiques résolutions susceptibles d’être proclamées en clôture de la Conférence de Paris. Et nous pourrions, prise en passant, faire l’économie de cette Grand-Messe expiatoire des pollueurs repentis, et donc de l’impact carbone du transport des participants, des mesures de sécurité et des embouteillages dans la capitale…                                                                                                

Denis Consigny  (denis.consigny@gmail.com)

Ingénieur et Essayiste.


[i] Voici ce texte essentiel, de Fred Vargas, Archéologue et femme de lettres et de convictions, reproduit intégralement à l’attention de celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore :

Nous danserons encore ...

Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés.

Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi ou crevez avec moi

Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille – récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer.

Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

[ii] Editions Odile Jacob 

[iii]  Bref essai de thérapie économique de Groupe / Denis Consigny /  Editions le Pré du Plain / 2014

[iv] Voir à ce sujet les travaux de François Quesnay et des physiocrates au siècle des lumières, ou plus récemment les intuitions fulgurantes de Léon Bloy.

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