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Billet de blog 13 octobre 2008

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Syndrome de Stockholm

Un échange entre des journalistes de CNN et un analyste sur la place financière de Londres donne un exemple intéressant pour qui veut analyser les raisons profondes de la crise aigue que nous traversons actuellement.

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Un échange entre des journalistes de CNN et un analyste sur la place financière de Londres donne un exemple intéressant pour qui veut analyser les raisons profondes de la crise aigue que nous traversons actuellement. Au désarroi des premiers sur l’attitude sourde des marchés et l’absence totale d’effets des interventions des banques centrales, des réunions quotidiennes des gouvernements, le second balaie littéralement de la main en disant que «la situation est comparable à un feu de forêt sur lequel on peut déverser toute l’eau du monde, on ne parviendra à l’éteindre…la seule solution est de tout laisser brûler jusqu’au niveau du sol…laisser le marché trouver son propre point d’équilibre afin de rebondir…je suis sur le terrain et je peux vous assurer d’un fait simple et implacable, tout le monde attend…les interventions politiques ne sont que des actions dictées par la théorie et ne peuvent aucunement être efficientes…rien d’autre, il faudra se résoudre à laisser faire le marché …»

Un premier constat à la lumière de ces paroles est qu’à l’heure actuelle, le marché, les gens du marché sont paradoxalement peut-être ceux qui adoptent le comportent le plus cohérent. Cohérent mais sûrement pas rationnel. Le point d’équilibre qu’évoque l’analyste financier, il n’est point capable de prédire le moment où il se produira, il est tout juste certain de sa survenue. Les multiples courbes et graphiques que l’on nous montre à longueur de reportages peuvent souvent donner l’illusion d’un monde maîtrisé par de puissants modèles mathématiques, mais la réalité bien plus basique sort parfois simplement de la bouche des gens de terrain.

Le malade se refuse obstinément pour l’instant au traitement de choc qu’on tente de lui administrer. Le fait est que le docteur est plus gravement atteint que le patient lui-même : économies à la peine et prenant tout droit le sentier de la récession, caisses désespérément vides, tous les clignotants virent les uns après les autres au rouge. On peut même penser que la vue du médecin avec sa blouse couleur écarlate génère une sorte d’effet placebo inverse chez le patient.En attendant donc la sortie de crise par consumation totale du combustible ou solution technique plausible du côté du monde politico-économique, solutions d’ailleurs que les experts sont incapables de décrire pour l’instant, nous pouvons déjà tenter d'en analyser de façon intelligible les causes sous un angle idéologique.

Il est grandement nécessaire que les citoyens des quatre coins du globe puissent avoir leur mot à dire afin d’essayer d’influencer le plus possible le comment-gouverner de l’après crise et non encore une fois laisser le débat entre les seules mains des élites politiques, économiques et médiatiques. Le devoir du citoyen globalisé sera d'abord celui de la vigilance afin de contrer et déceler toute fausse mue du système, car déjà dans le grand tumulte actuel se profile des attitudes évidentes de non remise en question. Ne le jetons pas avec l’eau du bain, nul doute que c’est celui qu’il nous faut, celui qu’il faut à la grande communauté humaine.

Ce qui s’est passé, ce n’est qu’égarement d’une partie du troupeau. Reconstruisons un capitalisme sain. Vaste programme! La grande force du système dominant a été de qualifier d’idéologie au sens péjoratif du terme toute force contraire ou toute tentative d’opposition à son expansion universelle. A l’écouter il serait presque dépourvu de tout caractère idéologique et que le pragmatisme de son programme est le seul qui soit à même de mener au bonheur pour tous. La théorie du marché et de ses mécanismes d’autorégulation est autant illusoire que celle du maître d’école qui s’absentant pour un quart d’heure, attend de ses écoliers calme et autodiscipline tout en prenant la précaution de demander au responsable de classe de noter le nom des éventuels bavards. Peut on par exemple croire un seul instant que les leçons de l’affaire Enron aient été réellement tirées ? Non, ceux qui étaient chargés de noter le nom de bavards ont même continué de plus belle à décerner généreusement des notations d’excellence, des notes AAA comme l'on dit dans le jargon technique, à leurs camarades assis sur les bancs d’à côté. Dans le rôle des proviseurs, les gendarmes de la bourse étaient plutôt assez satisfaits de la bonne tenue de leurs établissements, et les recteurs d’académie des banques centrales et toute la hiérarque économico-politique pouvaient dormir sur leurs deux oreilles : la machine tourne toute seule…En fait tous ces acteurs ont un très puissant dénominateur commun, la foi inébranlable dans le système qui leur interdit toute autocritique véritable. Il faut globaliser le produit et mettre en application pratique le programme. Pour cela, une task force de brillants VRPs a été mise en place : gouvernants, intellectuels, médias de droite et de gauche confondus, renforcés même par la quasi conversion des ex-rivaux historiques de la faucille et du marteau, en particulier le géant de l’Empire du Milieu. On a pu ainsi user à l’endroit des peuples de certains instruments psychologiques tels la culpabilisation et la persuasion. Aux ''riches'' du Nord on leur dira que la mondialisation est un fait indéniable, qu’il faut cesser de pleurnicher et de s’accrocher aux acquis, consentir aux sacrifices et sauter définitivement dans le train en marche. Aux éternels ''damnés de la terre'' du Sud, on fera miroiter l’Eldorado de la consommation ; le train va s’arrêter pour vous prendre à son bord et désormais ne vous laissera plus sur le quai. Lors d’une récente émission un économiste déclarait de façon péremptoire qu’il faut savoir raison garder dans la tempête, car c’est quand même ce système qui a permis de sortir près de 500 millions de personnes de la pauvreté. Sur quels critères pouvons nous alors questionner ? Peut-être que tout simplement sont-ils passés collectivement de un à deux dollars pour vivre au quotidien si l’on prend en compte l’augmentation exponentielle des revenus d’une infime minorité? Le cachet d’expert permet ainsi d’asséner les chiffres avec une assurance totale, même si la réalité adresse des nenni permanents ; d’ailleurs ajoutons une contradiction de taille, car depuis quelques années les outils statistiques s’accordent tous pour affirmer que la paupérisation progresse au galop, même au sein des nations les plus riches. Aussi, clamer haut et fort que les prodigieuses révolutions technologiques que le monde a connues ces dernières années ont été le fait du système, est sûrement vrai, mais ne reste qu’une démonstration d’existence et non d’unicité. Quid d’un possible modèle alternatif ? Ceux qui interdisent ou freinent par tous les moyens l’essor de modes de pensée et de faire différents, opposés à une harmonisation abrutissante, ne seraient-ils pas en réalité les véritables réactionnaires ?En se risquant à une analogie on peut assimiler la relation individu-système à un syndrome de Stockholm évolué et multiforme. Si dans la forme classique l’otage développe au bout d’une certaine durée de captivité une forme inconsciente d’empathie pour le pirate, dans ce cas même celui qui tient l’arme au poing finit parfois par perdre conscience de son statut de preneur d’otage. Le plus ''abouti'' des systèmes totalitaires n’est pas nécessairement celui qui use de la violence ou de la peur mais en réalité celui qui parvient à obtenir le consentement des individus…Puis tout à coup quand survient l’instant de la libération finale – du moins je l’espère – la victime reprend ses esprits sur sa situation réelle tandis que l’on voit le preneur d’otage tenter de dissimuler son arme avec des embrassades ou des caresses sociales, et même en usant de l’artifice de la dénonciation en pointant l’index dans la direction de ses complices.

Le modèle géoculturel libéral a pu, sous de multiples formes, bien fonctionner d’un point de vue historique, traversant nombre de crises pendant près de deux siècles. Ce fait a principalement résidé dans l’application intelligente de son programme. Il s’est tout d’abord attelé pendant le XIXe et une partie du XXe siècle dans les Etats du centre (Europe occidentale et Amérique) à la domestication des classes dangereuses par la participation aux décisions par l’octroi du suffrage ''universel'' et l’intéressement au revenus de la production via l’augmentation relative des salaires.

Malgré les nombreuses révolutions, il conservait une marge de manœuvre assez confortable en alimentant de façon continue la machine à richesses et à progrès par l’exploitation et l’exclusion des zones périphériques du monde, pour la plupart sous le joug colonial. Ensuite, pour préserver la survie du système au XXe siècle, il a fallu domestiquer ces zones périphériques qui réclamaient de façon de plus en plus insistante leur liberté et leur autodétermination. L’accession à la souveraineté nationale fut le pendant politique sur la scène internationale de l’accession au suffrage des classes laborieuses des Etats-nations du centre. Quelques années après être parvenu en apparence à sortir en vainqueur de la Guerre Froide, le modèle est à bout de souffle. Il est presque mis à nu, ses marges d’action et de progression sont toutes rétrécies maintenant qu’il est seul face à lui-même avec ses contradictions fondamentales. Sous le slogan du progrès pour tous, on a fini par se rendre compte que la devise est plutôt toujours plus de profits pour le plus petit nombre, ce qui est somme toute logique lorsque le but ultime est la maximisation de sa part du gâteau.

Déjà au tout début des années 90 l’historien-sociologue américain Immanuel Wallerstein proposait dans L’Apres-Libéralisme (1) la séduisante théorie que la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS étaient à analyser comme la fin de l’ère 1789-1989 plutôt que celle communément admise de la période 1945-1989 de Guerre Froide. Ce double siècle aura, selon lui, vu l’ascension et le déclin final du libéralisme en tant qu’idéologie globale. A partir de cet instant, la période à suivre de quelques dizaines d’années serait celle d’une grande incertitude systémique ponctuée de multiples et graves crises avant qu’un nouvel ordre mondial ne parvienne à s’instaurer clairement. L’histoire semble plutôt lui donner raison pour l’instant.Pour conclure, en anticipant sur les critiques usuelles des défenseurs acharnés du système quant au contenu et aux propositions réelles des projets alternatifs, nous répondons : énorme programme dont nul ne peut avoir la prétention d’avoir élaboré les contours précis. Par contre quelques points peuvent clairement émerger. Tout d’abord, l’axiome du marché tout- puissant et autorégulé est à remiser pour de bon au placard, sous peine qu’après la prochaine poussée de métastases il ne restera peut-être plus grand monde pour analyser la situation. Ensuite il va falloir inverser le déplacement du curseur des revenus du capital vers le travail. La redistribution équitable du produit généré par tous n’est pas simplement une vision utopique mais est réalisable à bien des égards si l’on s’en attribue les moyens. La justice économique, sociale et politique doit être à la base du nouveau système qui verra le jour. Mais répétons le encore une fois, les citoyens devront être sur leurs gardes afin de démasquer toutes les tentatives de make-up ou de lifting du modèle présent. Et c’est là qu’intervient un volet crucial qui est l’éducation des masses, la véritable et pas celle qui donne l’illusion que la possession de plus en plus de gadgets technologiques ou la généralisation de loisirs superflus sont les signes tangibles du bonheur. C’est cette éducation avec comme ultimes buts l’acquisition, la maîtrise des connaissances et l’élévation culturelle, qui permettra au citoyen dans toutes les zones géographiques sans exception d’apprécier à sa juste valeur le bulletin qu’il tient dans la main au moment de le mettre dans l’urne. (1) : L’Après-Libéralisme, Essai sur un système-monde à réinventer - Immanuel Wallerstein - Editions de l’Aube, 1999.

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