
Après ses premiers films classés dans la gastro-cinématographie « sérieuse » (bouleversant avec De l’autre côté, sombre avec Head-On, documentaire avec Crossing the Bridge…), place à Soul Kitchen, le croustillant dessert de Fatih Akin, dans un genre jusque-là inédit pour lui : la comédie.
Natif du pays où la feta est reine, Zinos adore son boui-boui aux allures de hangar industriel, dans la banlieue de Hambourg. Ses clients se lèchent les babines de mets « junk-food » bien roboratifs et sa copine Nadine irrigue son cœur. Tout va bien. Jusqu’au jour où... sa moitié s’envole en Chine, son frère, « le taulard poisseux », lui demande de l’embaucher pour bénéficier d’une semi-liberté et son nouveau cuistot névrotique effraie la clientèle avec ses plats trop « fancy »… Sans oublier la cerise sur le gâteau : une hernie discale et un promoteur véreux qui tente de lui ravir son Soul Kitchen…
Au fil de ses aventures déjantées, Zinos, interprété par Adam Bousdoukos, co-scénariste du film et complice de longue date de Fatih Akin, est parfait dans son rôle de bougon instable, amoureux (et aveugle), à l’esprit trituré, prêt à tout pour sauver sa gargote. Son côté râleur et sa gaucherie provoquent les rires, autant que les mésaventures de son frère Illias, campé par Moritz Bleibtreu. L’acteur de La Bande à Baader surprend dans le registre de la comédie, avec ce rôle de petite frappe dévorée par la tentation du poker, si détestable et si attachant en même temps.
Mais sans le chef caractériel Shayn, joué par Birol Ünel (héros de Head-on), le menu serait incomplet. Son arrivée transforme le Soul Kitchen en un lieu prisé de tous. Et celui qui oserait critiquer ses plats essuiera l’une de ses classiques montées d’adrénaline, à l’image de celle où il plante un couteau sur la table quand un client commet le crime de « bouffe-majesté » : commander un gaspacho réchauffé au micro-ondes ! Le promoteur véreux, fouine, froid comme son teint crayeux de cadavre et ses airs de reptile, est al dente. Tout comme Nadine, la copine de Zinos, « typique » germanique aux traits fins, blonde et élancée… Même les personnages secondaires comme Anna la Kiné, Sokrates le papy locataire qui ne paye jamais ses loyers ou le Turc « briseur de dos » dépassent le cadre de la figuration.

Le rythme du film est déchaîné, la bande originale éclectique, quasi-anthologique. Notes jazzy excitées (Brown bag), ligne de bass hip hop (Kool & The Gang), délires des Balkans (Shantel)… un son pour chacune des scènes qui s’enchaînent au fil des péripéties de Zinos. Le tout, filmé avec originalité : gros angle de sortie lors des états alcoolisés, travelling en biais et style épuré emprunté au genre asiatique lorsque Zinos apprend à couper les légumes, façon samouraï…
Le scénario peut néanmoins laisser un goût doux-amer. Sourires en coin au début, sentiment de déjà-vu à la fin. Heureusement les gags parfois potaches, telle la classique scène de l’orgie où les convives se transforment en prédateurs sexuels après avoir avalé une mystérieuse écorce du Honduras, sont vite digérés par les plans de Hambourg, une ville en effervescence à qui Fatih Hakin « rend hommage », un lieu qu’il « ne quitterait même pas pour New-York ».
Au terme de plusieurs années d’écriture du scénario, inspiré par La Taverna du quartier Ottensen gérée par l'un de ses copains, le réalisateur turc nous ramène aux fondamentaux de la vie avec Soul Kicthen. Manger, danser, échanger, boire, vivre… plaisirs éphémères, plaisirs éternels. Et le plus important : se sentir bien dans un lieu. Peu importe qu’il soit froid comme un hangar industriel. Peu importe la nationalité, que l’on soit un Allemand adorateur de choucroute, un Grec friand de houmous, ou un Turc gourmand de baklavas…
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