Nilgün Tutal Cheviron est maître de conférence à la faculté de communication de l'Université Galatasaray. Elle est l'auteure de trois livres: La Turquie au miroir de la presse française nationale et regionale (2008); Les disccours et les représentations, Comment les Français se souviennent-ils des Turcs ou bien la Turquie dans l'imaginaire français (2006); Mondialisation, communication et interculturalité (2005). Elle écrit regulièrement des articles sur les sciences de l'information et de la communication, le discours médiatique, la spectacularisation et la visualisation de l'information, la communication internationale, l'altérite, l'interculturalité, l'orientalisme, sur la ville d'Istanbul et son identité culturelle dans différentes revues. Elle a également traduit des oeuvres d'André Gorz, Julia Kristeva et Luce Irigaray en turc.
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J'aimerais dans cet article me concentrer sur la façon dont on a lu et on lit L'Orientalisme d'Edward W. Said en Turquie. Je choisis de me limiter à suivre les traces des interprétations turques relatives à cette seule œuvre alors que d'autres de ses livres sont aussi traduits en turc. Car c'est bien avec cette œuvre-là que naît un domaine de discours (au sens foucauldien du terme) critique formé autour du positionnement orientaliste de l'Occident.
L'Orientalisme (publié en1978 en anglais et traduit en français en 1981) est traduit du français au turc par Nezih Uzel et publié par les éditions Pınar en 1982. Certains intellectuels connaissaient déjà bien avant cette date les travaux d'Edward W. Said. Elle semble néanmoins importante du fait qu'un public plus large que celui des érudits maîtrisant une langue étrangère a dès lors pu faire connaissance avec les idées de Said. Il est à noter que cette première traduction de L'Orientalisme provient de la maison d'édition Pınar, de tendance islamiste. Le sous-titre utilisé en couverture de cette première traduction met l'accent sur le colonialisme. Il dit littéralement ceci: "À la découverte du colonialisme", alors que dans l'édition française le sous-titre est: "L'Orient créé par l'Occident". On pourrait semble-t-il supposer un intérêt particulier des intellectuels musulmans en Turquie pour la pensée de Said, d'abord vue comme un acte intellectuel anti-colonialiste (parfois même anti-occidental) et donc politique.
L'Orientalisme sera de nouveau traduit en 1999 par Berna Ünler pour les éditions Metis, qui en est aujourd'hui à sa quatrième édition et dont la politique éditoriale s'oriente plus vers la théorie critique à tendance post-marxiste et post-structuraliste/post-colonialiste. On suppose qu'est né ainsi un deuxième type d'intérêt et de public pour L'Orientalisme, sans pour autant signifier que celui-ci ne s'intéressait pas à la pensée de Said avant les années 2000. On peut remarquer une différence dans le sous-titre utilisé pour cette deuxième traduction.: Les conceptions occidentales de l'Orient, qui fait écho avec le titre original (Orientalism: Western Conceptions of the Orient). On peut se demander si l'intérêt d'ordre plutôt politique de la première traduction ne se déplace pas dans la deuxième vers une préoccupation plutôt conceptuelle.
Deux maisons d'édition et deux aventures de traduction dans des moments historiques et politiques différents, et peut-être même deux communautés d'intellectuels et de lecteurs divergentes me laissent penser qu'il y a du sens à s'arrêter sur les discours et textes produits, autour de L'Orientalisme de Said relativement aux différents types de questionnements identitaires liés à la perception de l'Occident et de la modernité occidentale dans la Turquie contemporaine.
Pour cela, j'aimerais prendre en compte ce qui a déjà été dit et écrit par des sociologues éminents comme Şerif Mardin et Cemil Meriç tout en suivant d'une part les écrits et les dits des intellectuels à tendance conservatrice et, de l'autre, ceux d'intellectuels reconnus dans le paysage scientifique turc comme des spécialistes de la théorie sociale critique et considérés comme influencés par les travaux de Said et la théorie post-coloniale. La liste des noms retenus repose pour une large part sur mes lectures et intérêts personnels. Ainsi, je ne prétends pas à l'exhaustivité, ni ne propose une analyse achevée de tout ce qui a été produit sur le livre en question.
I. La rencontre avec Edward Said dans les années 1980
L'Orientalisme est publié en 1982 aux éditions Pınar. La même maison d'édition a également fait traduire Covering Islam en 1984: (Haberlerin Ağında İslam, 1984), par Alev Alatlı, fameuse écrivaine et romancière turque. L'Orientalisme est traduit une deuxième fois par un autre traducteur (Selahattin Ayaz) et publié par les Editions Pınar en 1989. La traduction dans les années 1980 des livres de Said par une maison d'édition de tendance islamiste peut être associée à un renouveau en Turquie de l'intérêt pour les thèmes de l'identité religieuse. Elle est, semble-t-il, liée aux changements mondiaux caractérisés par la légitimation des particularités locales, culturelles, ethniques et religieuses. C'est aussi pendant ces années-là que commence à surgir le mouvement islamiste politique et intellectuel, qui vient porter sur la scène politique l'urgence de la reconnaissance de l'identité musulmane dans un pays à la population très majoritairement musulmane, mais se voulant laïc depuis la fondation de la République turque au début du XXe siècle. Les années 1980 constituent une ère de changements pour la Turquie, qui se libéralise profondément dans ses structures économiques en s'ouvrant au monde et dans l'expérience de la diversité culturelle, ethnique et religieuse. Cette dernière transformation s'accentuera encore dans les années 1990 et 2000 en prenant appui sur la critique de la modernité occidentale (politique et théorique) formulée dans les œuvres des penseurs "post-modernistes". La plupart des penseurs que l'on peut qualifier de postmodernes sont aussi traduits par les nouvelles maisons d'édition de tendance islamiste et sont lus avec un intérêt particulier par les intellectuels musulmans.
C'est dans ce contexte que les éditeurs utilisent comme sous-titre à la traduction de L'Orientalisme l'expression "à la découverte de l'impérialisme", formulée dix ans auparavant, soit dans les années 1970, par le sociologue turc Cemil Meriç (1916-1987). Celui-ci a dit avoir conçu cette expression alors qu'il lisait les travaux d'un orientaliste sur Ibn-i Haldun, sous la forme suivante: "L'Orientalisme: à la découverte de l'impérialisme". Le sociologue a exprimé dans une critique, publiée par la revue littéraire Türk Edebiyatı, de cette première traduction de L'Orientalisme son étonnement quand il a découvert que ses propres propos figuraient sur la couverture de l'ouvrage. Il a cru au début que Said avait eu la même inspiration que lui, qui l'avait conduit à nommer dans les mêmes termes la réalité qu'ils souhaitaient décrire (1982:40). Ce sous-titre témoigne en tout cas de l'influence considérable qu'a exercé Meriç sur l'intelligencia musulmane turque.
On peut considérer que Cemil Meriç a été la figure intellectuelle la plus influente dans la perception de Said en Turquie (Çoruk, 2007: 197-198). Par son biais, Said a été perçu comme un défenseur des intérêts de l'Orient et le porte-parole des Orientaux. Intéressé par les questions de l'occidentalisation et de la modernisation de la Turquie, préoccupé par la critique de l'impérialisme occidental et des travaux orientalistes -surtout la représentation de l'Islam et de la Turquie en Occident-, Meriç a notamment lu La fascination de l'Islam de Maxime Rodinson. Il a présenté ses idées sur L'Orientalisme un an avant la traduction turque de l'ouvrage lors d'une conférence organisée à l'Université du Bosphore, en 1981. Soulignant que L'Orientalisme était une œuvre clé pour comprendre l'impérialisme occidental, il y a fait référence à Edward Said dans les termes suivants: "Le professeur de littérature anglaise à l'Université de Californie E. Said a de la haine contre l'impérialisme occidental et il se montre très fâché et profondément critique à l'égard des orientalistes. L'Orientalisme est un manuel servant à la découverte de l'impérialisme. Le concept d'Orient est une invention de l'Occident. Il est le costume chic couvrant les intérêts misérables de l'Europe." Tout en soutenant les thèses de Said exprimées dans L'Orientalisme, Meriç se dit sceptique quant à la possibilité, à partir de ce point de vue critique sur l'orientalisme considéré comme un domaine des sciences sociales, de "faire la différence entre l'Europe cannibale et l'Europe de la réflexion". Il est donc contre l'idée que l'on "brûle entièrement les travaux orientalistes, il est faux de les condamner radicalement", selon ses propos. "Même si l'Europe a pu massacrer l'Orient, est-ce que pour autant les Orientaux sont tous innocents?" (1993: 346 ).
Dans les propos de Cemil Meriç, on discerne deux positions: l'une concerne l'Europe: la deuxième les Turcs. De la première position se produisent deux évaluations de l'attitude de l'Europe à l'égard de l'Autre /Orient. L'Europe est entièrement critiquée dans son projet et acte colonialiste et impérialiste. Elle est méprisée dans sa recherche infinie d'hégémonie sur les autres cultures, résultant du refus de connaître l'autre pour ce qu'il est. Cette même Europe est toutefois sujette aux éloges lorsqu'elle est considérée et pensée comme le lieu de la civilisation, de la connaissance et des savoirs. Dans ce projet européen du progrès humain qu'estime et respecte Meriç, il est important d'essayer de connaître les autres cultures et les autres civilisations. Par rapport à cette idée, Meriç s'installe en défenseur de l'Europe puisqu'un intellectuel comme lui a pu apprendre sur sa propre culture à travers les travaux des orientalistes en raison de l'absence d'intérêt chez ses compatriotes pour l'histoire, la culture et la religion de leur propre pays. La deuxième position, liée à ce regard que le sociologue porte sur les siens, est ainsi profondément critique de l'attitude des Turcs par rapport à leur perception de l'Occident, qui les rend aveugles aux valeurs de leur propre culture et de leur histoire. Il s'agit d'une critique de l'élite pro-occidentale et pro-occidentalisation de la Turquie moderne, qui a sous-estimé les structures culturelles du pays et qui n'a plus d'intérêt, de connaissance ou de savoir concernant l'aire culturelle islamique et ottomane. Cette même élite turque a de la même façon surestimé la civilisation occidentale. L'Orient est coupable, selon le sociologue, d'une méconnaissance de soi et d'une surestimation de l'autre.
L'Orientalisme trouve sa valeur référentielle dans sa critique de la relation de l'Occident à l'Orient. Par cette critique; le livre permet aux Orientaux de retrouver une estime de soi en mettant en évidence que si les Orientaux sont décrits comme méprisables et inférieurs dans leurs modes d'existence aux Occidentaux, c'est parce que ces derniers ont pour objectif d'étendre leur pouvoir économique, politique et culturel sur les autres peuples et continents dans un désir inextinguible de soumettre l'autre à leur ordre. On lit dans la critique de L'Orientalisme rédigée par Cemil Meriç (1982:37-40) qu'Edward Said se fait le porte-parole d'un Orient réduit au silence par l'hégémonie matérielle et intellectuelle occidentale: "Le livre de Said démolit un par un les mensonges hypocrites et traîtres qui ont été élevés au rang de vérités absolues. Un livre de réflexion claire et pédagogique qui invite à la réflexion. Il réveille les esprits mous avec des claques. La défense des millions qui sont restés dans le silence... L'Orientalisme est un livre comme une bombe, qui démolit et éclaircit. Vous lirez et vous vous fâcherez contre vous-même à plusieurs reprises. L'ennemi nous est commun à tous: L'Europe menteuse et l'homme oriental inconscient. L'Orientalisme est un livre dont on parle beaucoup, ou bien il faut que l'on en parle beaucoup. Un Arabe palestinien met en évidence l'ignorance terrible dans laquelle le tiers-monde se désoriente; il se dresse contre une horde de spécialistes qui, avec leur réseaux, accaparent les universités et les presses mondiales" (37-38). Comme nous l'avons souligné, l'inconscience de l'Orient est une figure discursive de Cemil Meriç qui a exercé une influence considérable dans l'intelligentsia turque de tendance islamiste pour l'interprétation de L'Orientalisme de Said (Çoruk, 2007: 197). Il s'agit d'une interprétation plutôt non-érudite et, si on peut dire, "populaire" de L'Orientalisme.
II. L'Occidentalisme comme l'égal de l'Orientalisme
L'Orientalisme réhabilite l'Oriental par son discours critique à l'égard de l'Occident. Il rejoint sur ce plan d'autres types de discours: les discours critiques de l'eurocentrisme, de l'anthropocentrisme, les théories post-coloniales et celles qui insistent sur les changements économique, politique et culturel qui on fait que l'Europe ou l'Occident n'est plus l'unique centre d'un monde devenu multipolaire. Dans ce sens-là, il est intéressant de remarquer qu'en Turquie une question traverse de temps à autre la scène intellectuelle: Pourquoi un domaine de connaissance semblable à l'Orientalisme, que l'on peut qualifier d'Occidentalisme, ne s'est-il pas constitué dans notre pays? Edward Said avait aussi posé cette question dans son Orientalisme. Son objectif était de mettre à jour l'aspect asymétrique de la relation hégémonique entre l'Orient et l'Occident. Deux auteurs turcs posent la même question dans deux revues importantes de la vie intellectuelle turque: Oğuz Adanır (sociologue) dans Doğu Batı et Cemal Bali Akal (politologue) dans Toplum ve Bilim. Adanır, dans un article intitulé "L'Occidentalisme!" constate que la Turquie, engagée dans le processus de rapprochement avec l'Europe, ne la connaît pas très bien. Il propose donc l'ouverture d'un centre de recherche occidentaliste. Pour définir les fonctions de ce centre, Adanır définit l'Orientalisme et ses objectifs. "D'une façon innocente, l'Orientalisme commence à exister à l'époque de Louis XIV pour comprendre les mystères de la puissance économique et politique détenue durant des siècles par l'Empire Ottoman alors qu'avec Napoléon Bonaparte il change de mission et devient une source de connaissance pour l'invasion des pays du Moyen et Proche Orient tout en aidant à la disparition de l'Empire ottoman". Après avoir évoqué le sort de l‘Orientalisme devenu un outil aux mains du pouvoir politique, Adanır privilégie la formule d'un statut privé pour un centre de recherche occidentaliste qui serait sous le contrôle non du pouvoir étatique mais de la TUSIAD (l'Association des industriels et des hommes d'affaires de Turquie) afin de lui conserver son autonomie scientifique. On aperçoit que le bon orientalisme se distingue du mauvais orientalisme. Une mise en parallèle du savoir et du pouvoir ou bien de la science et de la puissance politique n'est pas un cadre théorique qui intéresse Oğuz Adanır.
Puisque la conception d'un monde bipolaire et divisé entre pays développés et sous-développés ou bien entre pays orientaux et occidentaux a évolué, il est nécessaire pour la Turquie, selon Adanır, de cesser de réagir sentimentalement et de devenir rationnel et réaliste. Dans la formulation de cet argument, Adanır se réfère à l'éminent sociologue français, Jean Baudrillard. Ainsi se définissent les missions d'un centre de recherche occidentaliste: la construction de relations rationnelles avec les pays européens en fonction des intérêts de la Turquie et la production de savoirs pour accroître la connaissance de l'Europe en Turquie. Dans ces lignes, il est facile de distinguer une certaine définition du savoir, qui le dépouille de ses charges émotionnelles: une définition positiviste de la connaissance scientifique. Il s‘agit donc de plaider pour une connaissance neutre de l'Europe et un savoir sans pouvoir qui doivent être les guides de la Turquie dans ses relations avec l'Europe.
Deux aspects sont à souligner dans le discours de Oğuz Adanır. D'abord, la Turquie ne doit plus se sentir inférieure à l'Europe; sous-développée et en retard dans le progrès par rapport à l'Occident puisque la suprématie que celui-ci dit avoir sur l'Orient est une suprématie fictive, puisque Marcel Mauss, Louis Dumont, R. Benedict, E. Pritchard, Lévi-Strauss et Karl Polonyi ont fait tomber le masque qui lui permettait de se sentir supérieur au reste du monde. Ainsi, en se basant sur une nouvelle conception du monde non oppositionnelle formulée par les anthropologues et sur la critique de la modernité occidentale, Adanır pense que l'écart entre l'Orient et l'Occident s'est comblé. En tout état de cause, la Turquie doit se débarrasser de ce sentiment d'infériorité inutile et sans fondement vis-à-vis de l'Occident.
Ensuite, nous devons en Turquie, selon Adanır, mettre à profit le savoir à la façon occidentale et l'utiliser pour déchiffrer l'Occident. On pourrait ici émettre l'idée que les travaux de Said et ceux des dits anthropologues occidentaux ont créé une estime de soi et un sentiment de confiance en soi chez les penseurs turcs,. En se référant à la critique de la conception eurocentrique du monde, ils s'approprient légitimement les caractéristiques locales. En effet, cette critique de l'Occident représenté comme une culture de la technique et de la mécanique n'est pas très étrangère à l'intellectuel turc puisque même le poète de l'hymne national, Mehmet Akif Ersoy, avait désigné l'Europe au début du XXè siècle comme un monstre mécanique qui ne possède qu'une seule dent pour mordre: l'Europe des Alliés de la Première Guerre mondiale était définie comme la représentante d'une civilisation mécanique et méprisable qui n'avait rien d'authentique et d'original pouvant la désigner comme l'ultime avancement de la civilisation. On peut dire que cette critique ancienne de l'Europe se trouve justifiée par les critiques "post-modernes" formulées contre l'Occident.
Cemal Bali Akal discute du même sujet en des termes différents. Il attire l'attention sur le fait que l'Empire ottoman, un centre de puissance à l'Est de l'Europe, avait attiré sur lui la curiosité et l'intérêt de l'Espagne, de l'Italie et de la France et qu'il existe approximativement deux mille œuvres rédigées sur les Turcs. Sur la valeur scientifique de cette bibliothèque, Akal émet l'idée que beaucoup d'entre elles ont pour visée de créer une image négative de l'autre mais que certaines ont quand-même pour objectif de "connaître l'autre" et peuvent servir in fine à comprendre le destin commun de l'humanité (2002:105). Akal rejoint ici les arguments de Oğuz Adanır quand celui-ci fait une distinction entre un Orientalisme innocent et un Orientalisme suspect. Akal s'interroge sur le fait que, contrairement à cette volonté de connaître l'autre née en Occident, les Ottomans n'ont pas eu un intérêt réciproque pour l'Occident. Akal n'interrogera pas le lien entre le savoir et le pouvoir puisqu'il lui importe d'avantage de s'arrêter sur la façon dont la pensée occidentale s'est transmise en Turquie et les questions pratiques et conceptuelles occasionnées par cette transmission.
Aussi bien chez Adanır que chez Akal, il faut qu'une société ait de la curiosité et de l'intérêt pour les sociétés puissantes qui l'entourent, à l'instar de l'Occident; qui n'a jamais été fermé à l'entreprise de "connaître l'autre". Adanır essaie de mettre en interrogation le fait pour l'Orient de se mesurer à l'Occident pour déterminer son niveau civilisationnel, acte inutile à l'origine selon lui d'un sentiment d'infériorité, une problématique qu'Akal n'aborde pas. L'argument commun de ces deux auteurs est que les Ottomans et les Turcs ont manqué et continuent à manquer d'intérêt pour la connaissance de l'Europe ou de l'Occident. Ni l'un ni l'autre n'envisage qu'il puisse y avoir une forme d'intérêt pour l'Autre différente de celui exprimé en Europe/Occident. Il est surprenant de constater que des discours de ce type ne prennent pas en compte le processus de modernisation sur le modèle européen en cours depuis l'époque des Tanzimat (ère de réformes dans l'Empire ottoman au milieu du XIXe siècle) jusqu'à aujourd'hui: modernisation des systèmes militaires, éducatifs, juridiques, politiques, économiques et culturels. Ce processus ne peut-il pas être considéré comme un biais par lequel aussi bien les Ottomans que les Turcs ont eu de la curiosité et de l'intérêt pour tous les progrès et développements d'ordre économique, politique et culturel en Europe? Il y a entre la Turquie et l'Europe une différence dans la perception de l'Autre qui semble être liée à leur relation inégale: la première est là pour admirer ou copier la deuxième alors que celle-ci, sûre de sa supériorité, méprise l'autre et se propose comme un modèle à suivre. Aussi bien Adanır qu'Akal connaissent l'histoire de la modernisation de la Turquie. Mais ce qui traverse leur discours est un reproche à la Turquie de ne pas savoir se comporter comme l'Occident quant à la connaissance scientifique de l'Autre.
Alors que, c'est cette relation inégalitaire que nous montre L'Orientalisme de Said. Il y a aussi une remarque à faire sur un point commun entre ces deux auteurs par rapport à leur perception de l'Orientalisme comme une forme "neutre" de connaissance scientifique de l'Autre: Alors que celui-ci est une forme de savoir ou connaissance à prétention scientifique dont l'Orient est l'objet; il est développé du point de vue de l'Occident et même pour les intérêts de domination de l'Occident sur l'Orient, qu'il représente tantôt avec des images positives tantôt avec des images négatives. L'hégémonie culturelle qu'instaure la connaissance orientaliste permet à l'Europe de coloniser l'Autre. Dans ce sens-là, une perception plus juste des propos de Said est formulée par Keyman, Mutman et Yeğenoğlu (1996:14) : "l'Orientalisme est un processus idéologique d'une importance fondamentale qui construit les sujets dans une relation de comparaison comme "centraux et périphériques" et Orientaux et Occidentaux". Et dans cette comparaison, l'Orient est positionné comme une entité subalterne à l'Occident.
III. Une dévalorisation de Said
Şerif Mardin, sociologue turc, dont les travaux sont reconnus aussi bien en Turquie qu'à l'étranger, refuse en bloc tous les concepts et arguments d'Edward Said. Selon Mardin, les notions empruntées à Michel Foucault sont dépourvues de fondement scientifique. Said est vu comme une personne mettant en cause l'Humanisme européen parce qu'il cherche à construire, en remontant le plus loin possible dans l'histoire, une identité oppositionnelle entre l'Orient et l'Occident. Cette problématisation de l'Humanisme, idéologique et fausse, est inventée selon Mardin par Edward Said afin de promouvoir son identité palestinienne et arabe car il se sent attaché à la communauté palestinienne (musulmane) (2002:112). Les thèses de Said ne sont pas pour Mardin d'une nouveauté inouïe puisqu'elles prennent leur source dans une littérature ancienne sur le despotisme oriental. Mais, nous dit Mardin en prenant pour exemple la perception de l'Empire ottoman des XVIIe et XVIIIe siècles en Europe chez des auteurs comme Jean Bodin, le Marquis d'Argenson, Anquetil Dupeyron et Henri Linguet, l'Empire ottoman n'a pas été vu seulement comme un symbole du despotisme oriental: il a aussi été traité comme une monarchie et même parfois une démocratie. Said est accusé d'extraire des propos seulement négatifs sur l'Orient. Il s'agit pour Mardin de propos qui doivent être contextualisés. Le sociologue souligne qu'il ne faut pas ignorer à des fins idéologiques la diversité de la perception de l'Orient en Occident (2002:115)
Pourquoi les travaux de Said sont-ils si appréciés et suivis par les intellectuels turcs? A cette question, Şerif Mardin répond en interrogeant l'attitude de ces derniers à l'égard de la représentation de la Turquie ou de l'Orient. "L'Orientalisme a été facilement admis par nos intellectuels. Ceci est explicable par le fait que le discours hégémonique dans la thèse de Said trouve son écho dans un état d'âme qui existe depuis longtemps chez nous. Nous croyons que qu'un tel cadre de discours occidental est utilisé pour nous signifier. Il existe dans notre vie intellectuelle un principe fondamental selon lequel nous devons nous dresser contre le fait que l'Occident nous considère comme ses subalternes" (2002:112). Avec cette attitude, les penseurs turcs se montrent selon Mardin moins ironiques que les anciens penseurs ottomans, qui savaient ne pas prendre au sérieux le point de vue orientaliste. Ce positionnement de Mardin par rapport à L'Orientalisme de Said est partagé par les chercheurs spécialisés dans l'histoire de l'Empire ottoman, qui interrogent les arguments de Said dans leurs recherches en créant une différence entre la perception de l'Empire ottoman et celle des pays colonisés par l'Europe. Il arrive que l'Orientalisme soit ainsi signifié comme une pratique occidentale de représentation qui ne concerne pas l'Empire ottoman ni la Turquie, mais les Autres, les Orientaux.
IV. L'Orientalisme est une référence ultime
Adanır et Akal ne prennent pas Said comme une référence directe. Alors que pour certains intellectuels turcs, la référence à Said est plus qu'une nécessité; il est une référence en soi et par excellence. Ainsi, Said devient le père fondateur d'une façon de penser la relation de l'Occident à l'Orient. C'est à cette fonction conceptuelle et nominatrice du travail de Said que Mahmut Mutman (1996:33) accorde de l'importance. Pour Mutman, Said transforme l'Orientalisme en un objet d'étude en mettant en évidence le principe organisateur et central de tout type de discours sur l'Orient. Il s'agit donc d'un principe en tant que distinction ontologique et épistémologique entre l'Orient et l'Occident à travers la littérature, les sciences naturelles et sociales et des pratiques comme le journalisme ou les récits occidentaux de voyage. Nous le lisons dans la préface du livre de Keyman, Mutman et Yeğenoğlu intitulé Hégémonie, Orientalisme et Différence Culturelle, publié en 1996: "Ce travail approche le livre d'Edward Said sur l'orientalisme comme une œuvre fondatrice de paradigme et les différentes critiques adressées à Said ont pour objectif non de refuser la qualité prédatrice et fondamentale de son œuvre mais de la renforcer".
Fuat Keyman et Hasan Bülent Kahraman (1998) ont une approche très positivante et valorisante dans un article rédigé pour la revue Doğu Batı sur L'Orientalisme et La Culture et l'İmpérialisme.de Said. L'Orientalisme y est défini comme "une conception de l'histoire consistant en la construction discursive de l'hégémonie globale de la modernité". L'intérêt pour les propos de Said commence à se différencier de celui des autres auteurs cités jusqu'ici. Pour Keyman et Kahraman, cette conception de l'histoire peut être analysée à travers le cas de la modernisation turque. (1998:64). Au cours du processus turc de modernisation, qui a été entrepris pour combler le retard par rapport à l'Occident et ne pas retourner en Asie, l'Occident a assumé des fonctions d'extérieur fondateur et d'élément intérieur. Cette place de l'Occident dans la modernisation turque amène les deux auteurs à s'interroger sur la façon dont il faut comprendre l'opposition entre l'Orient et l'Occident. Dans cette quête, l'Orientalisme de Said donne le point de départ pour la formulation de plusieurs catégories permettant de définir l‘Occident: l'Occident comme un discours; comme un système d'images, comme un modèle de comparaison des sociétés, comme un système de représentation. L'Occident assume donc dans l'ordre du discours des fonctions qui servent dans l'évaluation des pays non-occidentaux comme un cadre de jugement, comme un système de représentation, d'image et d'interprétation. Keyman et Kahraman ne pensent pas l'impérialisme et la colonisation en termes d'"expansionnisme économique et politique de l'Occident" (1998:68) et considèrent qu'il est désormais réducteur de penser la relation entre l'Occident et l'Orient en ces termes-là. İls se positionnent ainsi dans les théories post-coloniales ou post-structuralistes, qui critiquent la conception de l'histoire progressiste et la notion de raison instrumentale de la modernité occidentale. De ce positionnement théorique, ils critiquent d'un côté la modernité occidentale, la conception de l'histoire liée à cette modernité qui pose l'Occident comme "le" modèle de la modernité en créant une opposition absolue entre l'Occident civilisé et l'Orient barbare; et de l'autre côté la modernisation turque prenant comme modèle cette modernité occidentale (le kémalisme, le nationalisme turc, les conceptions de l'État et de la laïcité) pour son autoritarisme et ses aspects antidémocratiques.
Nous retrouvons le même type de questionnement de la modernisation turque formulé à partir de la référence théorique à Edward Said chez d'autres auteurs. Ainsi Meyda Yeğenoğlu, dans un article qu'elle a publié en 1995 dans la revue Toplum ve Bilim, constate que la distinction entre l'Orient authentique, vrai et indigène et l'Orient orientaliste est proprement une distinction créée par l'Orientalisme lui-même. Selon elle, le discours orientaliste se reproduit dans le monde oriental par les projets nationalistes, qui cherchent à créer une différenciation à visée impériale entre l'Occidental et l'Oriental (1995:169). Les nationalismes algérien et turc plaident pour une différence culturelle et une authenticité indigène. Cette prétention à une authenticité indigène coïncide avec la fiction d'un Orient vrai et authentique du discours orientaliste. La perspective orientaliste se trouve même à la source de la quête de différence culturelle et nationale du nationalisme. Mettant à profit des concepts développés par Edward Said dans L'Orientalisme, Yeğenoğlu propose de lire la position de la femme dans les projets nationalistes. Pour que l'identité nationale puisse se construire comme une différence pure et absolue à l'égard de l'Occident, il lui faut passer par l'intermédiaire de la femme, en tant que différence en soi. De là se formule une reconnaissance et une critique contre L'Orientalisme de Said. Tout en restant au point de départ des théories postcoloniales, les œuvres de Said montrent leur limite lorsqu'il faut penser la façon dont fonctionne la différence sexuelle dans la production du discours orientaliste (Yeğenoğlu, 2003 ve Erdoğan, 2000:127). En partant de cette limite de Said, Yeğenoğlu dit ceci du nationalisme turc, de la situation de la femme et de la modernisation en Turquie: "Pour comprendre comment le discours nationaliste aborde la question de la femme, il faut l'inscrire dans le mouvement de la modernisation et de la sécularisation auquel l'occidentalisation sert d'idéologie dominante. Le projet nationaliste né à la fin du XIXe et au début du XXe siècle était sous la puissante influence du modèle de la modernité occidentale. La femme a été la source principale des discussions et des prétentions idéologiques déterminant le complexe processus historique du passage du monde féodal de l'Empire à l'Etat-nation" (1995:174). Le discours nationaliste a produit des oppositions telles qu'arriéré-barbare/civilisé, islamiste/laïc, voilée/non-voilée, national/universel, moderne/ traditionnel, Orient/Occident. Selon Yeğenoğlu, ces oppositions déterminent des "limites sur lesquelles la nouvelle identité nationale se construit". Tout naturellement, ce processus fonctionne "grâce à l'assujettissement des corps et des subjectivités des femmes" (1995:183). Yeğenoğlu écrit du point de vue post-structuraliste et post-colonial. Il est intéressant de souligner que Said est à la fois "dépassé" théoriquement et continue d'être un point originel d'où part la réflexion critique sur l'histoire de la construction de l'identité nationale turque.
ConclusionSommes-nous orientaux ou occidentaux? La question de savoir "qui sommes-nous et que sommes-nous" est d'abord une question d'identité. Elle a également une autre particularité puisqu'elle nous montre que les deux entités (Orient et Occident) se nourrissant l'une de l'autre recherchent à partir d'elles-mêmes les ressemblances qui les unissent et les différences qui les séparent. Cette interrogation identitaire met donc à l'ordre du jour un questionnement fondamental consistant à être semblable ou différent vis-à-vis de quelque chose. L'Orientalisme de Said semble être redevable de son existence à cette impossibilité qu'a l'Orient à exister par soi-même. L'entremêlement discursif de l'Orient et de l'Occident crée un labyrinthe sans issue dans lequel l'Orient ne pourrait exister comme une unicité et une entité, comme un tout unique et une différence en soi à la façon de l'Occident. Le livre de Said prend toute son importance dans l'acte de nomination de cet état d'âme labyrinthique et irrésolu en ce qui concerne l'identité orientale.
Par rapport à cet état d'âme, on peut relever encore les traces de lectures liées directement ou indirectement à L'Orientalisme: Avec Cemil Meriç et ses continuateurs, on constate que se formule une critique aussi bien de l'occidentalisation de la Turquie dans son oubli du Soi que de l'Occident lui-même dans son projet impérial. Dans cette critique, ce qui se présente comme un fil conducteur est la légitimation et la nécessité du retour à Soi, à sa propre culture. Mais dans ce retour, l'Occident n'est pas déclaré absolument Autre. Au contraire, il faut nuancer les critiques adressées aux travaux orientalistes.
Une deuxième trace de lecture se profile avec la demande de connaissance de l'Europe en Turquie (mieux connaître l'Autre avec l'Occidentalisme). Ici on voit ressurgir une attitude occidentaliste qui veut que la Turquie ait le courage des Grandes nations d'Europe dans le positionnement à l'égard de l'Autre puissant de son époque. Ainsi, certains intellectuel turcs se prononcent pour une meilleure connaissance de l'Europe en utilisant les mêmes principes que l'Orientalisme. Les critiques de l'Orientalisme et de l'eurocentrisme créent une confiance en Soi , c'est ce qui favorise une ouverture à l'Autre.
Une troisième position radicalement critique à l'égard de l'Orientalisme se formule dans les discours des historiens et sociologues travaillant sur l'Empire ottoman et la Turquie moderne. Ils formulent un discours de spécialiste consistant à défendre leur terrain et leur cadre de recherche. On peut pourtant constater qu'il y a aussi dans ces discours une volonté de distinguer l'Empire ottoman et la Turquie du reste de l'Orient, de les considérer comme différents des pays arabes colonisés. Il s'agit donc de se valoriser en se distinguant des Orientaux ordinaires qui sont, eux, l'objet du discours orientaliste. Ici se formule un refus absolu de reconnaître L'Orientalisme de Said comme un livre fondateur.
Une dernière trace, différente des trois premières, se pose comme une critique du Soi (de la modernisation turque) et de l'Autre (du colonialisme et de l'impérialisme de l'Occident) dans leur projet commun et hégémonique inspiré des principes de la modernité occidentale. Il ne s'agit ici ni d'un retour à Soi ni à l'Autre. Ainsi peut-on suggérer qu'il y a une disparition d'un Nous local au profit d'un Nous plus universel mais ni Oriental ni Occidental. Un entre-deux et une reconnaissance de la différence pour ce qu'elle est se profilent dans une position théorico-politique post-coloniale.
Par rapport à cette façon de penser et de critiquer la modernisation turque, le sociologue des courants des pensées en Turquie Kurtuluş Kayalı (2000) se montre sceptique. Il attire l'attention sur ce qu'il appelle une question structurale du monde de la pensée turque: le fait que malgré les critiques visant l'Occident, celui-ci garde son statut de centre conceptuel. De ce fait, les concepts occidentaux sont utilisés pour comprendre la Turquie et les phénomènes sociaux-culturels et économico-politiques en Turquie. On décèle, dans le scepticisme de Kurtuluş Kayalı, une interrogation fondamentale sur les transmissions et les usages des concepts venant de l'extérieur, souvent de l'Europe et des États-Unis, déterminant souvent les réflexions et les recherches dans les sciences humaines. Une interrogation qui doit être poursuivie pour mieux comprendre l'Histoire et les enjeux du monde de la pensée en Turquie.
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*Je remercie l'Université de Galatasaray pour son aide financière qui m'a permis de réaliser cet article.