Billet de blog 18 mars 2014

Pascal Hingamp
Biologiste
Abonné·e de Mediapart

Zéro sur 20 à "Mon Quotidien" (playBac) qui écrit "Zéro mort à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi"

Pascal Hingamp
Biologiste
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Trois ans après le début de l'accident nucléaire à Fukushima, voici les chiffres officiels si l'on s'en tient au seul décompte des décès:

  • 7 morts sur le site de la centrale nucléaire parmi les travailleurs1
  • 1656 morts des suites de l'évacuation dans la préfecture de Fukushima2
  • 15-1100 morts prévisibles des suites des irradiations3

Dans ce contexte, comment expliquer ce laconique "Zéro mort à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi"4 - zéro mort imprimé en gras dans l'article - destiné aux jeunes lecteurs du quotidien?

Contacté au sujet de ce qui peut apparaître comme une erreur, François Dufour éditeur en chef de Mon Quotidien, explique que la formule "Zéro mort" dans le numéro spécial du 9-10 mars 2014 est un choix éditorial délibéré: "Je vous confirme qu'aucun mort n'est lié au grave accident nucléaire. Vous pouvez vérifier ce fait sur le site de l'IRSN par exemple, sinon dans toute la presse japonaise". Chiche. La lecture du dernier rapport de l'IRSN publié en mars 2014 indique toutefois que 7 décès ont été officiellement déclarés par TEPCO sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi1. Ces chiffres sont connus de Mon Quotidien, puisque c'est François Dufour m'a transmis le rapport de l'IRSN.

Du côté de la presse japonaise vers laquelle l'éditeur en chef conseille de vérifier son affirmation "Zéro mort", le Asahi Shimbun annonce le 7 mars 2014 que la préfecture de Fukushima, qui héberge la centrale nucléaire accidentée, a recensé 1660 morts des suites de l'évacuation de 130.000 personnes depuis trois ans2. Le Japan Times quant à lui relève que les 1656 décès constatés parmi les évacués dépassent déjà les 1607 victimes directes du tsunami dans la préfecture de Fukushima2.

Enfin, les études scientifiques publiées au sujet des effets sanitaires de la contamination radioactive3 chiffrent entre 15 et 1100 le nombre de cancers mortels prévisibles. A ce sujet, l'éditeur en chef de Mon Quotidien explique ne pas pouvoir se "lancer sur des morts « prévisibles » avec des lecteurs dont les plus jeunes ont 10 ans". Quitte à faire une comptabilité des morts, il est pourtant aisé d'imaginer des formulations simples à comprendre pour les enfants de 10-14 ans, par exemple: "Sept morts à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, mais aucun directement dû aux radiations. L'évacuation de 100.000 habitants suite à la pollution radioactive a indirectement causé 1656 morts, en particulier des personnes âgées. La population autour de la centrale est suivie médicalement car le risque de cancers est augmenté par la radioactivité, notamment chez les enfants". Bien plus simple à comprendre qu'un schéma de fonctionnement de centrale nucléaire publié dans ce même journal en 2009 où il était question de circuit primaire et secondaire, d'eau pressurisée, d'uranium 235, d'atomes instables émettant des rayonnements...

Pour terminer, comparons la formule "Zéro mort à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi" (que justifie François Dufour par "Mon angle, c’est les morts avérés de radiation, « morts à la centrale »") avec les choix éditoriaux des autres titres de la presse quotidienne française au même moment:

  • "Si personne n'est décédé à cause des explosions d'hydrogène et radiations dégagées dans les heures et les jours suivants l'accident, quelque 1.650 personnes sont mortes par la suite, lors de l'évacuation ou à cause d'une brutale dégradation de leurs conditions de vie."5 (Nouvel Observateur, 10 mars 2014)
  • "Officiellement, aucun décès n'a été enregistré comme conséquence directe des émissions radioactives de la centrale. Pourtant, selon des statistiques officielles relayées par l'AFP, 1 656 personnes sont mortes dans la préfecture de Fukushima de stress, de suicides ou de complications de santé. Du côté des 3 000 à 4 000 travailleurs qui se relaient jour et nuit sur le site de la centrale, sept décès ont été enregistrés depuis le 11 mars 2011, mais aucun ne serait attribuable à une exposition radioactive selon Tepco." 6 (Le Monde, 11 mars 2014)
  • "Bien que les rejets radioactifs aient été importants et qu’ils se poursuivent, aucun décès lié directement aux radiations n’a été rapporté officiellement. Mais l’expérience montre que la survenue de pathologies, notamment les cancers, après une exposition à des éléments radioactifs met plusieurs années à se manifester. Les services de santé japonais ont donc mis en place un système de surveillance incluant les travailleurs du site accidenté, la population générale et qui cible tout particulièrement les enfants." 7 (Radio France International, 10 mars 2014)
  • "Officiellement, aucun décès n'a été enregistré suite aux conséquences directes des émissions radioactives, notamment chez les personnes travaillant à la centrale, les plus exposées. Jean-René Jourdain rappelle qu'à Tchernobyl (Ukraine) 28 personnes travaillant à la centrale avaient péri à cause des radiations. Il ajoute toutefois que la prudence est de mise, citant des risques accrus, à plus long terme, «de cancers de la thyroïde, mais aussi de leucémie, de cataracte». Par ailleurs, selon des statistiques officielles publiées la semaine dernière, 1656 personnes sont mortes dans la préfecture de Fukushima de stress ou d'autres causes liées à la catastrophe."8 (Le Figaro, 11 mars 2014)
  • "dans les trois préfectures les plus touchées (Iwate, Miyagi et Fukushima), 2 973 personnes étaient mortes à la suite d’une fatigue physique ou psychologique ou de stress depuis le 11 mars 2011. Ces décès, qui concernent en majorité des individus seuls ou âgés, ont dépassé en nombre ceux directement causés par séisme et le tsunami dans la préfecture de Fukushima. Parmi les survivants, les enfants figurent parmi les victimes. Ainsi, 33,8% des garçons et filles âgés de 3 à 5 ans souffrent de stress et de dépression post-traumatique, d’après le ministère de la Santé qui a mené une étude dans les trois préfectures concernées. Plus inquiétant, la préfecture de Fukushima a annoncé en février que les cas confirmés ou suspectés de cancers de la thyroïde chez 254 000 enfants contrôlés atteignaient le chiffre de 75."9 (Libération, 11 mars 2014)

Le jeune lecteur - qui fait confiance à son journal pour lui proposer une vision fidèle du monde - le refermera sur "Zéro mort à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi". Au vu des articles et numéros spéciaux de Mon Quotidien dédiés à la guerre de tranchées ou à l'holocauste, il ne peut pas s'agir ici d'épargner la sensibilité des enfants. A la différence de l'affaire du même tonneau dans Libération (zéro contamination lors de la fusion de coeur à Three Mile Island), écrire à la rédaction de Mon Qutotidien a permis d'engager un échange avec le rédacteur en chef du journal. François Dufour mettra toutefois fin à cet échange par un ferme "ma réponse ne change pas. Pas d’erreur. Pas d’erratum". Il ne reste qu'à exprimer son indignation. C'est chose faite.


[1] IRSN, "Les conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima, Point de la situation en mars 2014" http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2014/Pages/consequences-sanitaires-accident-fukushima-en-2014.aspx
[2] http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/life_and_death/AJ201403070057
http://www.japantimes.co.jp/news/2014/02/20/national/post-quake-illnesses-kill-more-in-fukushima-than-2011-disaster
http://www.japantimes.co.jp/opinion/2014/03/01/editorials/fukushimas-appalling-death-toll/
http://www.japantoday.com/category/national/view/post-tsunami-deaths-due-to-stress-illness-outnumber-disaster-toll-in-fukushima
[3] "Worldwide health effects of the Fukushima Daiichi nuclear accident" (2012) Energy & Environmental Science, Vol.5, p8743-8757 http://pubs.rsc.org/EN/content/articlelanding/2012/ee/c2ee22019a
"Global and local cancer risks after the Fukushima Nuclear Power Plant accident as seen from Chernobyl: A modeling study for radiocaesium (134Cs & 137Cs)" (2014) Environment International, Vol. 64, p17–27 http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412013002808
"Radiation dose rates now and in the future for residents neighboring restricted areas of the Fukushima Daiichi Nuclear Power Plant" (2014) Proc Natl Acad Sci U S A, 111(10):E914-23 http://www.pnas.org/content/early/2014/02/19/1315684111.abstract
[4] Mon Quotidien, playBac Presse, numéro photo "Retour au Japon 3 ans après le tsunami", 9-10 mars 2014, page 7
[5] http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20140310.OBS9127/grand-format-tsunami-fukushima-le-japon-face-a-la-tragedie.html
[6] http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/03/11/la-catastrophe-nucleaire-de-fukushima-trois-ans-apres_4380367_3244.html
[7] http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20140310-japon-fukushima-trois-ans-apres-sante-enfants-cancer-thyroide/
[8] http://www.lefigaro.fr/international/2014/03/11/01003-20140311ARTFIG00011-fukushima-trois-ans-apres-il-reste-encore-enormement-a-faire.php
[9] http://www.liberation.fr/monde/2014/03/11/fukushima-trois-ans-de-desastre_986141

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