Billet de blog 23 mars 2011

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Bertrand.Monthubert

Mathématicien, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche

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Dépasser le nucléaire

«Revenir à une maîtrise totalement publique du nucléaire», financer la recherche et intégrer au nécessaire débat à venir «l'ensemble des éléments de la question environnementale»: le point de vue de Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche.

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«Revenir à une maîtrise totalement publique du nucléaire», financer la recherche et intégrer au nécessaire débat à venir «l'ensemble des éléments de la question environnementale»: le point de vue de Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche.

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La catastrophe nucléaire japonaise est un traumatisme pour le peuple japonais, mais aussi pour tous ceux qui s'inquiètent de leur sécurité face aux installations nucléaires dans leur pays ou dans les pays voisins. Il est juste de rappeler aujourd'hui qu'il n'y a pas de risque zéro en matière d'énergie nucléaire. Mais il faut aussi prendre en compte les spécificités de la catastrophe japonaise, et le fait que la question de la sortie du nucléaire ne peut se régler sans une prise en compte de l'ensemble des paramètres environnementaux.
Une des spécificités de la situation japonaise est le fait que les centrales aujourd'hui en cause appartiennent à un opérateur, Tepco, qui est le premier producteur d'électricité nucléaire privé dans le monde. Cette entreprise est connue pour avoir déjà maquillé des incidents, et a négligé la sécurité notamment en ne tenant aucun compte du signal d'alerte lancé par le sismologue japonais Ishibashi Katsuhiko, comme Mediapart l'a justement révélé. Les Japonais étaient en droit d'attendre que Tepco fasse passer leur sécurité avant son profit, même si, hélas, nul ne saura jamais ce qui se serait produit si tel avait été le cas.

La France est-elle à l'abri ? Sans doute pas. Le nucléaire quitte progressivement le cadre du service public pour se réduire au rang d'une industrie comme une autre. Quand Nicolas Sarkozy se déplace à l'étranger, il se fait le VRP de nos avions mais aussi de nos centrales nucléaires. La tentative de vente d'une installation à la Lybie en est un exemple édifiant. Quant aux entreprises du secteur, on se soucie –comme pour n'importe quelle autre entreprise– de leur cours en Bourse. Tout cela introduit un élément financier qui conduit à mettre en balance les investissements de sécurité et la rentabilité... une dérive inacceptable. La première des choses à faire, comme le réclame le Parti socialiste, est de revenir à une maîtrise totalement publique du nucléaire, et de mettre en œuvre une transparence exemplaire, assortie d'un audit des installations françaises. Le gouvernement préfère s'enferrer dans sa stratégie de l'autruche et de dénégation des risques majeurs dans lesquels la perte progressive du contrôle public nous entraîne.

Au delà, un vaste débat doit avoir lieu autour du nucléaire dès aujourd'hui. Un vrai débat qui ne saurait se résumer à une interrogation binaire «pour ou contre la sortie du nucléaire», ne serait-ce que parce qu'il ne peut y avoir de « sortie » immédiate : nos partenaires écologistes eux-mêmes ne l'envisagent qu'à l'horizon de 25 ans. La question qui se pose est en réalité celle du dépassement du nucléaire. Dépasser le nucléaire, c'est se donner les moyens de satisfaire nos besoins énergétiques autrement, tout en les réduisant. C'est, dès maintenant, modifier progressivement le mix énergétique de la France au profit des énergies renouvelables, et favoriser la sobriété énergétique, notamment dans les bâtiments.

Le débat sur le nucléaire devra intégrer l'ensemble des éléments de la question environnementale: le morcellement de ces problèmes ne peut entraîner que des réponses contradictoires. Le changement climatique est global, la réponse doit l'être aussi. On entend beaucoup, depuis le début de la catastrophe japonaise, évoquer l'Allemagne qui compte fermer plusieurs de ses centrales nucléaires. Mais pour les remplacer par quoi? Certes, ce pays a pris de l'avance sur nous en matière d'habitat énergétiquement sobre, et sa part des énergies renouvelables est bien plus importante que celle de la France. Mais l'utilisation de centrales thermiques pour produire de l'énergie a un impact négatif sur l'environnement. Tout compris, les émissions de gaz à effet de serre étaient de 11,7 tonnes de CO2 par personne en Allemagne contre 8,2 en France. Si une sortie rapide du nucléaire se traduit par une détérioration en termes de changement climatique, ou encore par l'acidification des océans dont on parle trop peu, la planète n'y sera pas forcément gagnante.

Dépasser le nucléaire, cela suppose évidemment de soutenir l'industrie des énergies renouvelables, aujourd'hui torpillée par un gouvernement qui ne tient pas ses engagements. Mais c'est aussi faire plus de recherche, et dans toutes les directions. Or nous vivons une stagnation globale de nos moyens de recherche depuis plusieurs années, et une obsession politique de la concentration des dépenses sur quelques thèmes à la mode. Résultat : les crédits de base que le CNRS va octroyer à ses laboratoires baisse de 12% cette année. Certes, il y a des programmes spécifiques sur les questions énergétiques. Mais le propre de la recherche est qu'elle est imprévisible. Des problèmes massifs se posent aujourd'hui, comme la question du stockage de l'énergie. Une des grosses difficultés des énergies comme le photovoltaïque et l'éolien est leur caractère intermittent. Pour éclairer et chauffer la nuit, il faudrait donc pouvoir stocker cette énergie. On ne sait pas vraiment faire ça aujourd'hui. La solution dépend sans doute d'avancées en recherche fondamentale en physique, chimie, ingénierie, on ne sait pas. La focalisation sur des financements très ciblés que nous vivons aujourd'hui va donc à l'encontre d'un soutien à la recherche dans sa diversité, et risque de nous faire passer à côté des ruptures scientifiques qui pourraient avoir des retombées décisives pour les questions énergétiques.

Pour que le débat puisse se tenir dans des conditions démocratiques, il faudra veiller à ce que les intérêts particuliers soient tenus à l'écart, faute de quoi c'est l'échec assuré. Ce qui s'est passé sur le terrain des nanotechnologies récemment, avec des débats qui ont été sabotés, montre que les difficultés sont grandes. Une fois de plus, la question des conflits d'intérêts des experts est au premier plan. Pour qu'un débat constructif ait lieu, il est indispensable que la parole des experts qui interviendront soit dénuée de tout soupçon de collusion avec des lobbies. Les évolutions du financement de la recherche sont préjudiciables, car les laboratoires dépendent de plus en plus de contrats privés. Dans le secteur du médicament, j'ai montré il y a quelques semaines comment la politique gouvernementale renforce les problèmes plutôt que de les réduire. Les arguments sont aisément transposables, malheureusement.

Les socialistes s'engagent aujourd'hui pour apporter leur contribution à ce débat complexe. Il devra associer les citoyens le plus largement possible, et n'en doutons pas, il participera à la campagne présidentielle, qui sera le meilleur référendum sur cette question comme sur les autres.

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