Le festival d’Avignon du IN au OFF
Un reflet de l’état alarmant de la création artistique en France...
Dernier jour du Festival d’Avignon. Une chaleur de plomb pèse sur la ville. Le In est terminé depuis plusieurs jours, les salles du Off dont les dates n’ont pas coïncidés cette année avec celles du IN sont vides, l’atmosphère est sinistre. Pour beaucoup d’artistes, fatigue, découragement et colère.
Au sol, des affiches déchirées laissent les traces de l’incroyable vulgarité qui a envahi cette année le festival.
Un sentiment d’amertume semble conclure l’édition 2008.
Certains partent peut-être satisfaits : les boites de prod parisiennes de plus en plus nombreuses à investir « le marché d’Avignon », les one-man show style TF1 et les spectacles qui caressent dans le sens du poil… Surtout ne pas penser.
Car les marchands ont envahi le temple !
Comment en est-on arrivé là ?
A l’origine , en 1947, ce fut une formidable aventure artistique, humaine et politique. Le metteur en scène Jean Vilar, fasciné par le potentiel de la Cour d’honneur du Palais des papes, quitte pour un mois la scène parisienne et crée un événement culturel en Avignon.
Ce qui ne fut au départ qu’une « semaine de l’art dramatique » allait devenir le plus grand Festival de théâtre. Un acte politique de décentralisation et de démocratisation de la création théâtrale. Vilar était déjà animé par ce qui deviendra sa mission au TNP (Théâtre National Populaire) à Chaillot de 1951 à 1963 : la création d’ un théâtre à la fois accessible et ambitieux, ouvert au public le plus large possible : Le théâtre, service public. Il demande, le premier, qu’ 1% du budget soit consacré à la culture.
Il fallut attendre 1966 pour qu’André Benedetto , metteur en scène avignonnais, « ose » jouer une de ses pièces pendant le Festival, faisant sauter ce qu’il nomme lui-même une sorte de « verrou mental ». Nous sommes dans le bouillonnement intellectuel contestataire des années qui précèdent 1968. Vilar ne s’y oppose pas. Au contraire, il fait confiance à la jeunesse .Il cherche en permanence à donner la parole aux poètes contemporains . Il s’ouvre à toutes les formes artistiques : il accueille la danse qui aura tant de mal a être, à nouveau, admise dans la cour du Palais des papes .Dans une démarche totale d’ouverture à l’autre, à la différence, il fait venir en Avignon en 1968 le très contestataire « Living Theatre » de Julian Beck qui créa le scandale.
Vilar monte des classiques pour parler du monde moderne. A côté de son Festival se produisent alors des jeunes compagnies qui désirent monter des auteurs contemporains, sont en recherche, se situent dans l’avant garde et souvent en rupture avec le Festival officiel. Cela finit par s’appeler le OFF en 1971, l ’année où meurt Vilar.
Peu à peu le Festival IN va s’institutionnaliser et le OFF va grossir jusqu’à atteindre cette année le chiffre incroyable de 1000 spectacles. Tout ce que compte la ville de garages, hangars, caves, cours, de locaux même improbables se transforme, pour un mois, en théâtres.
Le fossé se creuse avec le IN et le Off qui s’ organise. En particulier grâce à Alain Léonard qui met en place le premier programme du Off en 1982.
Pendant un certain temps on put se réjouir de ce foisonnement de la jeune création. Le public vient nombreux, autant pour le In que pour le Off. Les diffuseurs se déplacent et viennent choisir leur future programmation. Pour les Cies c’est un moyen de les rencontrer et de faire découvrir leur travail. Mais c’est aussi un risque financier énorme. Le spectateur imagine-t-il lorsqu’il assiste à un spectacle que l’utilisation d’un plateau pour une heure et demi peut coûter jusqu’à 1000 euros par jour. Et il faut loger toute l’équipe dans une ville qui pratique des prix de locations touristiques. A quoi bien sûr, il faudrait ajouter les salaires des artistes. Mais est-ce toujours le cas ?
Alors qu’arrive-t-il lorsque le succès n’est pas au rendez vous ? Qui peut dire combien de Cies se sont fracassées contre les remparts d’Avignon ?
Alors pourquoi sont elles de plus en plus nombreuses malgré tout à prendre ce risque ? De plus, ce qui fut le lieu de la création d’avant garde est devenu un incroyable souk où « on en trouve pour tous les goûts » dit-on et où il est devenu bien difficile de se retrouver.
La réponse ne se trouve pas à Avignon qui n’est que le symptôme de la maladie qui contamine la création artistique en France depuis une vingtaine d’années : diminution des budgets culturels, désinvestissement de l’Etat en région et enfin remise en question du statut de l’artiste.
En 2003 , face à la réforme du fonctionnement de l’intermittence qui menace les artistes et les techniciens (30 000 disparaîtront d’après la Coordination Nationale) Avignon devient un lieu de résistance. La culture est déclarée en danger. Le Festival doit être annulé comme la plupart des Festivals en France. Les intermittents font émerger un nouveau type de contestation, ludique et inventive qui n’est pas sans rappeler 1968 .
Quatre ans plus tard, rien n’est réglé. Le temps et l’inertie ont eu raison des efforts des artistes que la nouvelle réforme met de plus en plus en difficulté. Le mouvement est écrasé par la doctrine libérale qui s’accompagne de séries de mesures administratives répressives. Les contrôles tatillons se multiplient auxquels ne peuvent survivre que les Cies très organisées.
Avec à la tête de l’état Nicolas Sarkozy qui, dans un premier temps, s’est prononcé pour la suppression du Ministère de la Culture et l’actuelle ministre Christine Albanel qui déclare que « beaucoup a été fait », la soumission, l’acquiescement ont fini par prendre le pas sur la révolte.
En 2007 la contestation se manifeste encore par la flamme vacillante symbolique de la résistance que tentèrent en vain de faire luire jusqu’à la fin du Festival, sur la place du Palais des papes, quelques volontaires à bout de force : artistes, techniciens mais aussi spectateurs.
2008 : plus la moindre flamme. La technocratie du divertissement a envahi de nombreuses salles avignonnaises balayant la démocratie culturelle porteuse d’utopies. Une programmation à la TF1 a envahi de ses affiches racoleuses les rues d’Avignon.
Parmi les débats passionnants qu’organisent l’association AF&C qui tente héroïquement de faire face à la situation, pas un seul n’est consacré aux moyens de lutter contre ce qui est en train de se mettre en place en France : la fin d’une société qui accorde non seulement un statut social mais une place symbolique centrale à ses artistes. Les Cies devront désormais devenir de petites entreprises ultra compétitives, mise en concurrence.
Voilà quelques éléments pour essayer de comprendre comment on en est arrivé là.
C’est cet état de la création en France que symbolise parfaitement le Festival d’Avignon. Le IN, totalement institutionnalisé et « élitiste » . Le OFF que la politique culturelle asservit par la contrainte et la paupérisation et qui est peu à peu envahi par les marchands d’idées toutes faites si délicieuses en ces temps difficiles.
(Rappelons-nous que les spectacles à succès de l’Allemagne nazie avant la guerre de 40 étaient les opérettes et les comédies légères … )
Mais les créateurs n’ont pas dit leur dernier mot. On découvre dans le OFF des artistes faisant preuve d’inventivité, d’innovation, de réflexion, fidèles à la vocation du théâtre depuis sa création : faire face aux mystères et conflits qui nous inquiètent créant ainsi un miroir social, un reflet de la société, qui permet de mieux la comprendre, et de mieux dénoncer ses failles. Cet art cependant ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir.
Les marchands du temple font beaucoup de bruit mais les véritables artistes sont encore majoritaires. Il va leur falloir beaucoup de courage pour dépasser parfois leurs vaines querelles et tenter de résister.
Je me souviens de la nuit étoilée où, adolescente éblouie, j’ai découvert, dans la cour du Palais des Papes, la blanche silhouette de Gérard Philippe dans « Le Prince de Hombourg ».
Je ne crois pas avoir bien compris alors cette pièce de Kleist qui raconte l’histoire d’un jeune révolté qui s’accomplit par le rêve mais finit par se soumettre au despotisme du réel. Ce moment sublime a décidé de ma vie.
Puisse Avignon, regarder vers son passé et poursuivre demain ce rêve formidable rendu possible par Jean Vilar, tous ceux qui l’ont accompagné et ont poursuivi son oeuvre …
Micha Cotte
Metteuse en scène.
Théâtre en l’R (Montpellier)