L'Agora du cinéma coréen : 4 ans que ça dure... et c'est de mieux en mieux ! C'est à Rouen, et ce festival organisé par une professeur de l'Université et ses étudiants, soutenus par de nombreux partenaires est un délice.

http://www.acc-rouen.com/Agora3/index.htm

Im Sang-Soo et Mme Kyu-young BEAUMONT (organisatrice du festival)
Je n'ai pas pu autant assister à tous les films que je voulais, mais tout de même, j'ai découvert le cinema d'Im Sang-Soo et le cinéaste lui-même, puisqu'il était présent. Parler de ce cinéma là, c'est comme ouvrir une porte sur la mise en scène et la sociologie et la psychologie ….. oui, une incroyable dose d’analyse sociologique et psychologique de la société coréenne. C’est même parfois difficile sans avoir quelques clefs de lecture historique ou de pratique sociétale, mais la vérité est que la modernité des films de ce réalisateur entraîne tout un chacun dans un sacré parcours initiatique de découverte, que je ne saurai que trop conseiller.
J’ai vu trois de ses films aux univers différents mais cependant la maîtrise affirmée dans les films de la mise en scène m’a stupéfaite. Im Sang-Soo est fils d’un critique de cinéma, est ce qui lui a donné cette fabuleuse faculté de la mise en scène ? Sûrement un peu, mais peut-être aussi son apprentissage auprès de Im Kwon-taek (Ivre de femmes et de peinture). http://www.chihwaseon.com/english/main.html
Difficile à dire, mais cela importe si peu finalement.
Les trois films en question :
Le vieux jardin
The president’s last bang
Une femme coréenne
Ont un point commun : celui d’interroger tant l’histoire récente et passée de la Corée « dite moderne » et sûrement d’aller au contact d’un certain nombres d’idées préconcues que l’on peut avoir de l’extérieur ou de l’intérieur sur ce pays, et ce dans une démarche, qui sans cesse met au centre l’homme ou la femme coréenne dans son individualité, son combat ou sa passivité.

Ensuite rien à voir tant dans les sujets traités que dans la manière de les traiter. Le vieux jardin (si on tient à les prendre dans un ordre plus chronologique) traite de la période 70/80 et des instabilités liées aux protestations étudiantes réprimées par le Président Park Chung-he de manière sanglante. Il existe un roman de dont s’est inspiré le cinéaste d’un opposant politique Hwang Sok-vong (http://www.horscircuits.com/site.php?type=P&id=62 )
Je suis en train de le lire ! Je vous en ferai donc une critique plus tard !
Le vieux jardin revient sur une des pages des plus sombres de l’histoire récente de la Corée du sud en évoquant le massacre de Kwangju survenue en 1980 et les 20 années qui ont suivi la répression. Présent à Kwangju lors de l’insurrection populaire, Hyun - woo, un des chefs de la révolution étudiante réussit à s’enfuir et à trouver refuge dans la montagne auprès de Yoon-hee dont il tombe amoureux. Mais le jeune activiste dissident préférant retourner à ses activités politique que de rester auprès de Yoon-hee rentre à Kwangju où il est aussitôt arrêté par la Police. Après 17 ans d’enfermement Hyun –woo est relâché et apprend la disparition de Yoon –hee. Le vieux jardin est donc le portrait d’un amour sacrifié au nom d’un idéal de justice sociale et pause la question du devoir et du vouloir puisque Hyun –woo n’était pas obligé de retourner à son combat d’autant plus que celui ci présentait un risque pour lui et son amie. Le film entremêle les fils du passé et du présent, alterne le temporel et l'intemporel. Il est construit sur des flashs–backs qui montrent l’histoire d’amour entre Hyun – woo et Yoon –hee et il met admirablement en perspective les répercutions de la grande histoire sur leur histoire personnelle.

Les scènes de vie du couple : quelques mois de sensualité à l'état pur

Dans sa prison : 17 ans. Pourquoi fais tu cela lui demande le gardien.
Parce que je m'ennuie répond t il.
Cette phrase en a choqué plus d'un !

Mais ce qui fait le film, au-delà de l’histoire c’est aussi ce regard porté sur les personnages. L’Homme, la Femme, la jeunesse et l’âge mur. Comment le combat politique s’allie ou non avec les destins personnels des personnes. Comment l’Histoire tord l’amour et la passion à sa manière et je pense que là, Im Sang-Soo réussit le pari difficile d'un film militant, combatif, vu du seul point de vue de la simple humanité des sentiments. Sentiments toujours retenus, jusqu'à la scène finale, sous la neige, d'une beauté bouleversante.

L'Homme réconcilié pendant le tableau peint par son aimée et allant vers sa fille à redécouvrir...

Dans The President’s last bang, c’est à un sacré challenge que s’attèle le cinéaste, d’abord parce que faire un film sur le Président Park Chung-he, c’est en soi une provocation. Si personne ne conteste le fait qu’il s’agit d’un dictateur,ou d'un homme politique aux pratiques dictatoriales... personne ne peut non plus nier qu’il est l’instrument de la construction de la Corée économique d’aujourd’hui ! Le film nous raconte donc les derniers jours, la dernière soirée du dictateur qui sera resté 18 ans au pouvoir et la suite de ce qui a failli être un coup d’état. Vénéré ou craint par le peuple soumis à l’étouffement, le film va nous présenter sur le ton de la comédie grinçante voire délirante des faits qui amèneraient le sourire s’ils n’étaient pas réels. Le président en question Park Chung-hee, est un obsédé, un homme qui avance en âge et qui aime la compagnie de jeunes femmes. Cela serait drôle si lors de sa dernière soirée, il ne mentionnait de lancer son pays dans la voie du nucléaire. Le film va tout au long des 102 minutes voguer entre des scènes qui montrent des hautes personnalités dépassées par les évènements, des exécutants (exécuteurs) souvent proches de la débilité mais aussi des personnes qui sont dans un système, un code dans lequel la démocratie n’est pas encore affirmée.
Nous ne sommes pas dans un documentaire, mais bien dans une fiction qui a fait scandale dans son pays : le prologue et l’épilogue – où l’on voyait en images d’archives le vrai président (qui avait changé la Constitution pour en rester président à vie –une habitude chez ces gens-là) – ont été supprimés suite à la demande du fils du président qui a intenté un procés pour bloquer la sortie du film, finalement sorti mais avec quelques coupes. Il faut dire que Park Geun-Hye, la fille du Président est à la tête d’un des grands partis de la Corée et souhaite se présenter aux futures elections presidentielles coréennes.
Le cinéaste affirme haut et fort que sans ces images d’archives, le film présenté n’est pas son film. Et on le comprend aisément, car sans elles, ce pourrait être n’importe où, n’importe quand un système qui s’emballe où un dictateur sombre sous le coup de la fatigue de son entourage. Il y aurait beaucoup à dire sur les personnages du complot : le chef des services secrets de la KCIA, l’instrument de pouvoir et de contrôle se retournant ironiquement contre son créateur. Sur un coup de tête tout de même savamment concocté, il décide de supprimer Président, Militaire et de prendre la tête dans un idéal peu clair cependant : est-ce un autre dictateur en puissance ou un être animé d’envie démocratique ? A cela le film ne répond pas : à chacun de se faire son idée.

La scène du complot : le Président va mourrir.
Il était interessant d’avoir une présentation au début du film et un échange avec le réalisateur car ce film, pour moi qui ne connaissais rien de l’Histoire de la Corée en’est pas si facile a décrypter, c’est tout l’attrait de ce type de festival à échelle humaine où l’on peut poser ses questions et avoir un véritable échange avec les réalisateurs invités. Par exemple le parcours de vie de ce Président (d’origine paysanne, le président, tout comme ses collaborateurs, appartenait à une élite modelée sous la botte japonaise. Park a servi l’armée japonaise dans l’état fantoche du Manchukuo au début de sa carrière et a été influencé dans sa façon de gouverner la Corée du Sud. C’est lui qui a été l’instrument de la réconciliation diplomatique avec l’ennemi héréditaire japonais, ayant ouvert la porte du pays aux investisseurs japonais, au prix d’une renonciation aux excuses pour crimes de guerre du Japon. Difficile de capter que les chansons de la jolie vedette par exemple sont des chansons traditionnelles japonaises (enka), quand on ne comprend pas les paroles. Ce qui est pourtant les signes qu’envoie le cinéaste pour démontrer cette attirance culturelle du Président !
J’ai été littéralement fascinée par toutes les scènes du palais (lieu du crime). On se croirait chez Hitchcock (plans séquence panoramiques, filmant latéralement les pièces habitées peu avant que le massacre ne se déclenche ouis la caméra qui prend de la hauteur, la contre-plongée latérale filmant la beauté morbide des corps baignant dans de sombres flaques de sang, ajoutant au trouble de la scène). Chapeau au photographe du film…
Cachée dans mon col roulé pour la scène de le tuerie, j’ai quand même eu le temps de m’apercevoir de la qualité de la photographie !
Et dans la mise en scène, cette intercalage d’éléments burlesques (le garde se casse la figure dans l’escalier …. ajoutent à l’absurdité de la farce pourtant tragique.

Le troisième film se passe aujourd’hui en Corée et raconte, comme son titre l’indique, une femme coréenne. Mais aussi un homme coréen ! En tout cas, le point de vue sur le masculin est aussi fort dans ce film que celui sur la femme.

Pour le cinéaste, et nous avons échangé la dessus lors de la séance après le film de l'Agora, l’Homme coréen est malheureux, et c’est parce qu’il est malheureux qu’il provoque d’autres malheurs. La femme, elle, se débrouille toujours. C’est vrai que dans les autres films que j’ai vu du réalisateur, on pourrait le voir ainsi. Finalement, c’est l’Homme qui s’enferre dans son malheur quand la femme trouve plus facilement des portes de sorties…
D’ailleurs je prèfère de loin le titre du film en coréen plus proche de la prise de distance du réalisateur (The good lawyer’s wife : la digne femme de l’avocat ?). Car la dignité n’est pas effectivement là où l’on pense dans ce film !
Le film nous raconte donc l’histoire d’un couple moderne (tellement moderne qu’il a adopté un enfant, chose qui ne se fait normalement pas en Corée.)
C’est un film sur le corps autant que sur la corruption. Bizarre alliance, pas tant que cela. Le petit garçon du couple devait mourir dit le cinéaste ; c’est comme ça, il devait « payer » pour la faute de son père qui a usé de corruption dans le film. Il y a aussi une critique indispensable de ces actes de vie quotidienne (un petit billet et on n’en parle plus !).
La scène de l’assassinat est d’ailleurs … une horreur, qui a choqué la salle où j’étais autant que moi. Impossible ensuite de se décoller de ce non sens. Cette mort semble gratuite à tous, aurait-on par hasard manqué un épisode ? Personnellement, je serais restée sur ma fin si je n’avais pas eu l’explication de texte dans l’échange avec le cinéaste ! Mais non, cette mort n’est pas gratuite, elle est effectivement ce qui fait de ce film ce qu’il est : un moteur à sensations.
En tout cas, moi j’ai eu cette sensation permanente de voir des corps (ceux des personnages : l’avocat, sa femme, le jeune voisin et la maitresse de l’avocat) toujours tiraillés entre l’insatisfaction et la plénitude des sensations, cherchant tous entre quels bras, sous quelle forme, se trouver et être heureux.
Il y a cette phrase que la femme prononce après un acte sexuel avec son mari où elle n’a pas réussi à avoir d’orgasme et où elle dit qu’elle a l’impression d’avoir perdu son point G. Son mari lui répond que son corps a peut-être changé. Elle s’interroge alors : "Est-ce qu’on peut changer de corps, comme on change d’avis ?"
Est-ce qu’on peut changer d’Histoire aussi ? Le film fait référence aux massacres liées à la guerre. L’avocat tombe littéralement au milieu d’un champs de cadavres déterrés lors de fouilles, les familles voulant mettre à jour les crimes commis à une autre époque. C’est dans la mesure coréenne : le passé fait ce que vous êtes, le culte des ancêtres….
La réponse du cinéaste est pour moi (mais cela vaudrait le coup de lui demander directement, un peu tard, je n’y ai pensé que quelques jours après sa venue !!)
La réponse pourrait être, donc, que non, on ne peut pas changer d’Histoire ou de corps.
Mais on peut définitivement en se penchant dessus mieux vivre avec eux.
En tout cas, c’est ce que j’ai fortement ressenti au travers de ce film et des autres films, le Vieux jardin et the President’s last bang.
La fiche allocine sur Im Sang-Soo avec ses films et les extraits : http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=93289.html
Photos de la séance d'ouverture : http://www.flickr.com/photos/tonio_vega/sets/72157609560128310/